La lettre de Meirieu aux jeunes profs, opus 2

Deuxième note consacrée à l’ouvrage de Meirieu « Lettre à un jeune enseignant ». Rappelons que l’auteur a eu le bon gout de mettre en ligne certaines pages de ce livre sur le site de l’association Education & Devenir afin de susciter le débat …

 

http://education.devenir.free.fr/MeirieuLJP.htmm

 

 

Culture de résultats ou culture de l’évaluation ?

 

Pour Philippe Meirieu, il n’existe pas d’évaluation objective. Une évaluation sous tend toujours des valeurs implicites. Un résultat ne peut être une finalité, il doit interpellé et être évalué; de l’évaluation dépend ensuite l’analyse, la régulation, l’infirmation ou la confirmation des choix émis.

 

Verbatim

Nous arrivons ainsi au cœur du problème. Une véritable « culture de l’évaluation » doit développer une attitude réflexive et critique sur « les valeurs » : valeurs des « programmes » et des « actions », valeur des « indicateurs » de réussite, valeur des « résultats », quels qu’ils soient. C’est là où, précisément, se différencient la « culture des résultats » et la « culture de l’évaluation » : la « culture des résultats » totémise les « résultats » et, en particulier, les résultats tels qu’ils sont définis par la hiérarchie. La « culture de l’évaluation » interroge les résultats, se demande le sens qu’ils ont, débusque les biais dus aux outils de mesure et, surtout, confronte ces résultats aux finalités éducatives que doit se donner une société démocratique…

 la régulation ne peut être décrochée des finalités (on ne régule que pour améliorer le « fonctionnement pour… ») ; l’évaluation ne contient jamais les moyens de la régulation comme la coquille contient la noix. On a beau décortiquer les symptômes d’un dysfonctionnement, on ne peut se dispenser du travail d’invention, d’imagination, de conception qui permet d’améliorer les choses.

 

L’éducation d’un sujet n’est pas la fabrication d’un objet

 

« Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son coeur » disait Aragon; pour Meirieu s’il y a des objets finis, il ne peut y avoir d’élève fini ou terminé. La pédagogie est un moyen de lutter contre ce qui peut apparaitre comme une fatalité.

 

Verbatim

L’élève serait « le produit » des actions que l’on exerce sur lui et n’aurait aucune responsabilité dans ses propres résultats. Comme vous, cette attitude m’insupporte et j’ai toujours plaidé pour le « principe d’éducabilité » : « Tout élève peut y arriver et, en cas de difficulté, je ne dois jamais désespérer de lui.

Je dois, au contraire, toujours inventer de nouveaux moyens, de nouvelles méthodes pour, comme disait Alain, « redonner vie à ses parties gelées »… Je n’ai jamais fini de travailler à rendre le savoir accessible…

 

L’élève au centre du système, cela ne date pas d’hier ou de 68 …

 

Petit règlement de compte à OK Corral. Pour Meirieu, il y a prescription , le nombre d’enseignants qui ont connu directement le joli mois de mai, comme le chantait Gainsbourg, arpentent désormais plus les salons de tourisme ouverts au troisième âge que les salle de profs.

Il rappelle également opportunément que le concept de l’élève au centre du système (ce qui ne signifie pas pour autant l’enfant roi), ne date pas d’hier puisqu’il est antérieur à la seconde guerre mondiale …
Un bon pédagogue doit manier selon Meirieu la motivation et le travail (ou le bâton et la carotte), même si pour certains élèves leur milieu social (merci Bourdieu) induit une motivation supplémentaire pour apprendre à apprécier le travail … Pour Meirieu la systématisation de la « démagogie pédagogique » bien dans l’air du temps (Luc Ferry n’est pas loin) est une attitude partielle et partiale. L’ombre du socle commun des savoirs plane également derrière cette analyse.

(cf note précédente : Education en devenir http://jmorer.hautetfort.com/trackback/67329 )

 

Verbatim

« L’élève au centre du système » est […] un principe de bon sens dans une société laïque et démocratique qui veut transmettre à tous ses enfants les fondamentaux de la citoyenneté. Principe rappelé en 1938 par Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, qui conclut l’une de ses principales circulaires par cette interrogation : « Vers l’enfant, centre commun, tous les efforts ne doivent-ils pas converger ? »

 

Qui, en effet, pourrait prétendre le contraire ? Or, pour entrer dans le « comment faire ? », il faut d’abord se débarrasser des fausses questions qui nous encombrent… Ainsi en est-il, par exemple, de l’opposition entre « la motivation » et « le travail ».

Passons sur l’ignorance de la réflexion, dans ce domaine, de tous les grands penseurs de « l’École moderne » et, en particulier, de Célestin Freinet et de son ouvrage majeur L’Éducation du travail…

Passons sur les assimilations rapides entre la motivation et le jeu

Passons sur le schématisme prêté au pédagogue qui s’imaginerait pouvoir obtenir de l’enfant un travail scolaire « sans la moindre contrainte » … Tout professeur sait qu’il doit conjuguer en même temps la motivation et le travail, sans établir de préalable entre les deux, ni faire de l’un des deux éléments la condition de l’autre.

C’est pourquoi il y a quelque chose d’insupportable dans cette dénonciation systématique et permanente de « la démagogie pédagogique » de la part des intellectuels bien-pensants.
Ils nous accusent de rabaisser les savoirs, de brader l’ambition de l’École, de priver nos élèves des connaissances et de la culture auxquelles ils ont droit. Ils moquent nos tentatives, pitoyables à leurs yeux, pour prendre appui sur leurs centres d’intérêt, leur faire réaliser des panneaux sur les effets spéciaux au cinéma ou des exposés sur Harry Potter…

On voudrait croire que, derrière de tels propos, ne se cache pas une quelconque velléité d’abandon : « Enseignons la vraie culture à ceux qui la méritent et en sont dignes… Et renvoyons les autres de l’école le plus vite possible ! […]

 

Construire un monde à hauteur d’homme

 

Le pédagogue engagé doit avoir une démarche vulgarisatrice et salvatrice … Quand l’art du savoir rejoint celui d’enseigner (Cicéron).

 

Verbatim

Sous prétexte que le monde nous donne, chaque jour, le spectacle lamentable de foules qui se prosternent aux pieds de tyrans ou s’avachissent devant le crétinisme des médias, trop d’intellectuels se retirent sur l’Aventin : ils n’en finissent pas d’excommunier le monde… mais sans jamais rien proposer pour nous permettre de le transformer.

On peut ainsi, être, tout à la fois, révolté et résigné, bénéficier du prestige de la dissidence et de la tranquillité du renoncement. Et gagner sur tous les tableaux…

On rejette alors, avec mépris, « les illusions pédagogistes » de ceux qui se coltinent, tant bien que mal, l’éducation des barbares. L’on se satisfait très bien – même si on ne l’avoue guère – d’un monde où cohabitent la démagogie et l’élitisme, le mépris pour les uns et la suffisance des autres, l’apartheid entre les exclus et les élus… (…)

Et, en matière scolaire, ce comportement trouve une application facile : on se contente d’enseigner la minorité d’élèves qui connaît déjà la saveur du savoir et de déverser les autres dans des garderies plus ou moins déguisées.

 

N’ayez crainte : je ne vous demande surtout pas d’abandonner la moindre parcelle de votre projet initial. De renoncer à enseigner les disciplines pour lesquelles vous vous êtes engagé dans ce métier. Bien au contraire. C’est au cœur même de cet enseignement, et en assumant pleinement votre mission de transmission des savoirs, que vous « enseignerez l’École ». Vous deviendrez ainsi, en même temps un professionnel de l’apprentissage et un militant politique – au sens le plus noble du terme – engagé, au quotidien, dans la construction d’un monde à hauteur d’homme.

 

 

En guise de conclusion

 

Concernant la discrimination positive, selon Meirieu, pour qu’elle soit réellement positive, il faut mettre réellement les moyens … Sinon on pratique du Darwinisme social, on peut apprécier, mais de la à dire que c’est la panacée …

 

Verbatim

Je ne crois pas, bien sûr, que nous puissions réinventer le monde au quotidien. Mais, peut-être, peut-on travailler au quotidien à ce qu’il demeure ou devienne “à hauteur d’homme”: c’est-à-dire que les enjeux soient bien posés au niveau de l’avenir des hommes, et non de ceux de la marchandise, des “mécaniques institutionnelles” aveugles, des intérêts de quelques minorités mieux informées ou plus fortunées, des carrières politiques ou médiatiques de quelques uns, etc…

Il ne faudrait pas, pour autant, s’en contenter et oublier d’apporter aux “établissements difficiles” l’aide dont ils ont besoin pour faire face aux défis qu’ils doivent relever. Je ne voudrais pas que “la discrimination positive” se solde par l’organisation de la concurrence entre les exclus pour que “les plus méritants” puissent quitter des ghettos considérés comme définitivement abandonnés.

La lettre de Philippe aux jeunes enseignants, opus 1 …

Belle initiative que celle prise par Philippe Meirieu de mettre en ligne des pages de son dernier ouvrage « Lettre à un jeune enseignant » sur le site de l’association Education & Devenir et de susciter un débat passionnant avec ses lecteurs internautes …

http://education.devenir.free.fr/MeirieuLJP.htm

 

 

Retour sur quelques points soulevés tant par l’auteur, son ouvrage que par les internautes …

 

 

Le syndrome du Lucky Luke

 

Aprés s’être opposé à une « école-machine » déshumanisée, ou le face à face pédagogique serait absent, l’auteur présente le rôle du professeur face à l’institution et d’un syndrome dont seraient atteints certains enseignants : celui de Lucky Luke …

 

Verbatim :

 

Quand on place la réussite des élèves comme projet fondateur de l’Éducation nationale, on ne peut que condamner les états d’âme d’enseignants qui ne songent qu’au plaisir de professer et refusent de rendre des comptes sur les résultats qu’ils obtiennent comme sur leur implication dans le fonctionnement de l’institution scolaire !

Il y a, chez certains professeurs … une fascination pour un exercice purement solitaire de leur mission… tel le « poor lonesome cow-boy » qui n’est encombré par aucune contingence et peut se livrer librement à sa passion…

qui met sa liberté individuelle au-dessus de toute contrainte institutionnelle ! … Cette vision des choses est, évidemment, très grave : c’est une vision d’avant l’émergence de l’État de droit, un retour à l’illusion selon laquelle on pourrait exercer son métier en dehors de tout cadre et récuser d’avance toutes les exigences du collectif… On en est même arrivé à ce paradoxe extraordinaire : les professeurs sont, en même temps, des anti-libéraux farouches sur le plan idéologique et des libéraux absolus sur le plan de leur comportement.

 

Une question suit obligatoirement ces propos, qui peut créer la contreverse, celle de la quête de l’efficacité

 

Verbatim :

 

Nul ne saurait décemment prétendre que l’institution scolaire doit renoncer à toute efficacité. …

Et ce que nous nommons « didactique » n’est rien d’autre que la recherche par laquelle nous tentons de comprendre « comment ça marche » dans la tête d’un élève afin qu’il s’approprie au mieux les connaissances du programme. il n’y a rien de vraiment nouveau dans ces propositions.

C’est, en effet, Jules Ferry lui-même, dans un discours prononcé le 2 avril 1880, qui affirmait : « Les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement, tendent à se répandre et à triompher : ces méthodes consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui faire trouver. Elles se proposent avant tout d’exciter et d’éveiller la spontanéité de l’enfant, pour en surveiller et diriger le développement normal, au lieu de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il ne comprend rien. » […]

 

 

L’efficacité ne se mesure qu’à l’aune des finalités,

 

Abordant la dernière enquête PISA (OCDE), Philippe Meirieu aborde les résultats obtenus sur les performances des élèves de quinze ans, sur un angle inédit … Trois pays arrivent en tête de cette anquête : la Finlande, le Japon et la Corée du Sud. Avec des résultats à peu près similaires mais des contextes radicalement différents …

 

Verbatim :

 

En Finlande, les élèves sont scolarisés dans des classes hétérogènes jusqu’à seize ans. Ils n’ont aucune note chiffrée, mais des évaluations qualitatives leur permettant d’orienter leurs efforts ; ils bénéficient de parcours personnalisés en fonction de leurs besoins et n’ont aucun travail à la maison. .. ils occupent une grande partie de leur temps scolaire à des recherches documentaires, seuls ou en petits groupes. Ils sont systématiquement encouragés à participer à des troupes de théâtre, à des chorales ou à des activités culturelles de toutes sortes. L’après-midi, les écoles restent ouvertes et accueillent des clubs d’astronomie, de reliure ou d’informatique qui réunissent élèves, parents, enseignants et habitants du quartier ou de la région… Au Japon ou en Corée du Sud, en revanche, après des études primaires assez semblables aux nôtres, les élèves sont triés à dix ou onze ans, de manière draconienne. Ils passent un examen d’entrée au collège et, s’ils sont reçus, sont soumis à un rythme scolaire d’une extrême dureté. De plus, la plupart d’entre eux doivent, pour réussir, prendre de nombreuses leçons particulières. Très vite, ils abandonnent toute activité extrascolaire pour ne vivre que dans l’obsession des bonnes notes. Le taux de dépressions et de tentatives de suicide augmente d’année en année…

 

Pour Meirieu, la question des indicateurs est posée :

 

Verbatim :

 

pouvons-nous, dès lors qu’il s’agit d’éducation, réduire l’évaluation de nos écoles et de nos établissements aux seuls indicateurs habituels de réussite scolaire ? … Qui ne voit que ces indicateurs de réussite pourrait être multipliés à l’infini ? Qui ne voit qu’aucun choix, ici, n’est innocent et que chacun d’entre eux renvoie, tout à la fois, à un projet d’homme et de société… qu’il promeut des pratiques pédagogiques spécifiques et s’appuie sur une conception implicite de notre métier ? Et qu’on ne dise pas que les objectifs alternatifs que nous proposons conduiraient à une baisse catastrophique du niveau : les exercices scolaires et les examens traditionnels n’ont pas le monopole de l’exigence de rigueur et de qualité.

Une « école juste », explique François Dubet, ne peut ajouter l’humiliation à l’échec. Elle ne peut pas, non plus, faire l’impasse sur des savoirs sans lesquels les plus démunis perdent toute chance de comprendre un peu ce qui leur arrive…

 

Nous reviendrons dans une autre note sur deux cultures complémentaires pouvant à l’analyse se révéler quelquefois contradictoires … La culture de l’évaluation et celle du résultat …

 

 

Attention danger : la LOLF, une véritable révolution en marche

 

Meirieu présente les transformations que va entraîner le LOLF (Loi organique sur les lois de finances) qui ne financera plus les structures mais des « programmes » (des domaines d’activités au service des citoyens), opérationnalisés en « actions » correspondant à des « projets » précis.

Ce qui permettra selon le législateur de piloter l’action publique en fonction de buts identifiés, et de faciliter la transparence budgétaire, toutes dépenses comprises… car l’ignorance du coût réel de tous les « projets » impulsés ou financés par l’État est un facteur majeur de « déresponsabilisation » des citoyens.

 

Le financement se fera désormais sur la base d’indicateurs de réussite, au risque de tomber dans l’arbitraire qu ‘on prétendait combattre… Il faut pour Meirieu que ces indicateurs soient élaborés, au niveau le plus opérationnel possible, en concertation étroite avec les acteurs, et non imposés de manière technocratique par les administrations (un voeu pieux ?).

 

La LOLF va entrainer trois points positifs :

 

– les parlementaires disposeront d’un tableau de bord plus précis et plus proche des personnes pour décider de l’usage de l’argent public ;

– les citoyens, au sein d’un « programme » décidé par les parlementaires, auront les moyens de peser lucidement sur les choix des « actions » qu’ils entendent mener à bien ;

– les acteurs pourront dire à quoi ils veulent être évalués…

 

 

 

Tout cela, bien évidemment,dans le meilleur des cas, si la LOLF n’est pas « récupérée » par l’administration pour accroître, de manière arbitraire, son emprise technocratique. Ce qui a commencé à se produire … Qui est étonné ?

 

 

 

 

Un texte important par les réactions et le débat qu’il peut susciter (Meirieu laisse rarement indifférent) et qui mérite une autre note, un opus deux en quelque sorte …

Zone d’Education Prioritaire, qu’en est il réellement ?

Que penser de l’étude publiée aujourd’hui par l’Insee dans sa revue Economie et statistique sur les ZEP et intitulée : « Z.E.P, quels moyens pour quels résultats ? Une évaluation sur la période 1982-1992 »

 

 

Les Zones d’Education Prioritaire ont été créées par Alain Savary en juillet 1981, dans la foulée de la victoire de François Mitterrand afin de «donner plus à ceux qui ont moins». Si ce dispositif était censé n’avoir une durée de vie que de quatre ans, le temps pour les établissements concernés (363) de rattraper leur retard, il fête en 2005, son 24eme anniversaire.
Etat des lieux :  En 2003, un élève sur 5 (soit 1 700 000 élèves) était scolarisé dans une des 911 ZEP, même si depuis ces Zones d’Education Prioritaire sont devenus des Réseaux d’Education Prioritaires, le R insistant sur la nécessité de travailler en complémentarité et sur l’idée de maillage (911 REP regroupant 5 651 écoles , 874 collèges, 92 lycées professionnels et 38 lycées généraux).

Rappelons que les moyens supplémentaires dégagés sont essentiellement de deux natures : heures d’enseignement et des crédits indemnitaires. Des moyens qu’il est bon de relativiser comme le rappelle excellemment Emmanuel DAVIDENKOFF dans son article dans le quotidien Libération du 16/09. Car si statistiquement un élève de ZEP revient 8% plus cher à l’institution, sur le terrain une classe de collège de ZEP compte seulement deux élèves de moins et le surcoût de la masse salariale des enseignants est quasiment nul, ces enseignants étant pour la plupart plus jeunes. L’étude de l’Insee souligne le fait que «les salaires moins élevés de ces professeurs compensent probablement, en partie, le surcoût des ZEP résultant des postes supplémentaires et crédits indemnitaires». Paradoxalement, l’Etat dépense en effet plus pour les collèges ou les lycées privilégiés qui attirent les enseignants en milieu et fin de carrière. Fait souligné par l’étude «Les primes ou avantages en termes de promotion attribuées aux enseignants de ZEP n’ont pas permis de stabiliser le personnel de ces établissements.». De fait, le turn-over s’est même accru au fil des ans.

Si avec raison, cette étude fait grand bruit, il serai regrettable de ne s’arrêter qu’aux conséquences et de ne pas aborder les causes de ce succés trés relatif.

Un point essentiel, l’enquête évalue le fait d’appartenir à une ZEP, plutôt que la politique ZEP elle même. Elle ne tient pas compte du contexte pour le moins « particulier » de ces quartiers. Le déterminisme social cher à Bourdieu est une réalité quotidienne qu’on ne peut balayer avec quelques statistiques …
Preuve en est que si en 1995, 18% des CE2 en zone non prioritaire ne maîtrisait pas les compétences de base de la lecture à l’entrée en CE2, ce pourcentage en ZEP montait à plus de 37% !

Quelques remarques après la lecture de cette enquête passionnante …

Soulignons tout d’abord l’intérêt d’évaluer les politiques publiques. Il est impératif de mesurer l’efficacité des politiques mises en place sur le terrain avec les deniers publics afin de pouvoir effectuer si nécessaire les arbitrages, les cadrages ou les rectificatifs qui s’imposent.
Le rôle joué par des acteurs désormais incontournables de notre système éducatif, au premier plan la D.E.P, est absolument remarquable à cet effet. Cette tendance répond à un besoin général qui dépasse l’hexagone, pour preuve l’audience revêtu par la dernière enquête PISA dans l’ensemble des pays concernés.

Insistons également sur l’originalité du dispositif Z.E.P « premier exemple français de politique de discrimination positive et de territorialisation des politiques éducatives » mais plus encore premier exemple concret de politique visant à réduire les inégalités sociales par une dotation inégalitaire de moyens. Une allocation supplémentaires de moyens qu’il faut relativiser car plutôt que concentrer en un temps court des moyens importants, l’institution a préféré dispersé des moyens limités de manière progressive au fil des ans …

Autre point mis en évidence, l’hétérogénéité des résultats sur le terrain. Elle dépend en grande partie de trois facteurs : l’accent mis sur les apprentissages, la stabilité des équipes pédagogiques et le dynamisme du pilotage local.

L’exemple vécu depuis plus de 15 ans au quotidien dans un des 92 Lycées Professionnels classé ZEP m’incite à penser que la stabilité des équipes est un facteur essentiel. Les équipes stables sont plus expérimentées, plus solidaires et plus motivées, elles acquièrent au fil des ans un savoir faire déterminant dans la réussite de leurs élèves. Les techniques accumulées et utilisées au quotidien tenant compte du particularisme des élèves, des contextes locaux et des potentiels des établissements.
Soulignons que la transdisciplinarité, le travail en équipe et l’innovation pédagogique font partie intégrante de cette culture maison et que nombre d’innovations pédagogiques expérimentées en Lycée Professionnel et en ZEP notamment ont depuis enrichi la doctrine éducative et contribué à remodeler l’ensemble du système éducatif.

Enfin et surtout, comme l’indique cette étude «Les ZEP peuvent paraître n’avoir aucun effet, simplement parce qu’elles ont réussi à maintenir les écarts de résultats observés en 1981, alors même que les difficultés des élèves et les conditions de travail des enseignants empiraient.»

Ce qui au regard de la situation vécue dans certaines de ces ZEP n’est déjà pas si mal …

 

Lien : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es380a.pdf

Education en devenir

10 février 2005

La FOCEL de Seine et Marne a pris la bonne habitude d’organiser un colloque sur l’Education chaque année en invitant des intervenants de qualité et souvent dans le feu de l’actualité.

Un thème on ne peut plus approprié
Après la thématique de l’Islam, abordé l’année dernière, le thème 2005 « L’Education en devenir », était on ne peut plus approprié quelques mois aprés les conclusions de la Commission Thélot et au moment des maifestations contre le texte de loi Fillon.
L’importance du sujet, la qualité des intervenants de ce colloque, des pointures de la « chose pédagogique » (ne manquait guère à l’appel que Meirieu, Prost et Houssaye) étaient autant de facteurs qui auraient du attirer un nombre important de participants ; il n’en a rien était, ce qu’on ne peut que regretter au regard des interventions qui ont marqué cette journée et dont beaucoup de propos sont à méditer.

L’unanimité des intervenants a critiqué le texte de loi Fillon et a montré qu’en aucun cas ce texte est une traduction législative des propositions de la Commission Thélot.
Ils voient plutôt dans cette loi, un texte ayant pour seule finalité de réduire le Budgert de l’Education au mépris des conclusions de la Commission Thélot et de l’avis de l’ensemble des spécialistes des « choses de l’Education »

Les interventions marquantes

Claude Lelievre

Ce spécialiste, un des meilleurs historiens actuels du système éducatif, auteur de nombreux ouvrages, membre éminent et actif de la Commission Thélot a indiqué avec beaucoup d’opportunité lors de son intervention que le débat actuel autour du socle commun de connaissance ne date pas d’hier.
Rappelant certaines prises de position de Jules Ferry, trop méconnues, il a montré le coté novateur de cet icone trop souvent érigée en statue du commandeur.
Pour Jules Ferry l’école est plus une institution qu’un service public ; une position liée sans nul doute au contexte historique particulier des premières heures de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Le nouvel état Français, laïque et républicain supplante à la fois la monarchie et l’Eglise et met fin au monopole de fait de cette dernière sur l’Education de la Nation. La république française, état laïque s’il en est, doit grâce à ses instituteurs (hussards de la république) former des citoyens en « co-souverains éclairés » (selon Condorcet) et défenseurs de l’esprit laïque.
Il distingue l’Education (cœur, populaire, prolétaire) de l’Instruction (« lumière de l’esprit », culture du jugement, élite républicaine), et place le rôle d’éducateur avant celui de professeur : « le professeur doit s’élever au rang d’éducateur » et condamne sans appel l’importance accordée à l’orthographe, préconisant un enseignement plus libre, vivant et substantiel. Avant « les disciplines mécaniques de l’esprit » (Lire, Ecrire, Compter), il défend d’autres disciplines importantes pour l’épanouissement des élèves qui doivent également être des citoyens « Ne pas embrasser tout ce qu’il est possible de savoir, mais bien apprendre ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ». Elle doit mener au citoyen qui est
Claude Lelièvre a insisté également sur la nécessité de redéfinir une culture de base. « Il ne s’agit pas, en effet, d’établir une culture pour les « pauvres », une « culture pauvre », mais de rechercher et de décider ce qui est basique pour une culture de notre temps, pour la culture de tous.

La définition précise d’une « culture plancher » et la diversification des recours à des « champs disciplinaires » différents vont dans le même sens à condition de limiter rigoureusement leurs apports à « ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ».

Jean Michel Zakhartchouk

Ce militant de terrain qui enseigne dans un collège ZEP depuis une vingtaine d’années est un des animateurs principaux du Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques (CRAP) qui édite les Cahiers pédagogiques. Il a centré son intervention principalement sur les différentes « figures » de l’enseignant et ses misions.

François Dubet

Cerise sur le gâteau, son intervention a marqué la fin de cette journée. Professeur de sociologie à l’université de Bordeaux, membre de la commission Thélot, François Dubet est certainement un des meilleurs connaisseurs de notre système scolaire. Ses recherches ont porté sur les mouvements sociaux, les problèmes urbains, la marginalité juvénile, la délinquance, l’école, la socialisation, le travail et la théorie de l’action. Initiateur des ateliers de découverte et de la réforme des collèges, il a été également conseiller de Ségolène Royal au Ministère de l’Education Nationale

Pour lui, la France n’a aucune tradition historique démocratique (transposition du religieux à la république). L’Ecole Républicaine a simplement dépossédé l’Eglise du monopole sur les esprits et promeut depuis sa création un élitisme républicain, sorte de darwinisme méritocratique … Une « compétition équitable » qui n’en est pas une ; car l’école favorise en fait les favorisés.

Pourtant paradoxalement « il n’y a pas d’alternative à l’égalité » (Condorcet), le problème est de rendre vivable le modèle : par égalité de l’offre, par des mesures de carte scolaire, par une politique de discrimination positive.

Il souligne que pour notre société l’école est sacrée … Et qu’on négocie mal les symboles, que le débat autour de l’école devient quasiment un débat théologique (Vatican 2 reste à accomplir). On parle de « sanctuaire scolaire » ; l’espace n’est pas réellement laïque …

Il insiste sur les notions de vainqueurs et de vaincus. Les décideurs sont des vainqueurs … Pourquoi changeraient ils les règles du jeu ? D’autant que l’échec scolaire rend indigne et empêche de parler ceux qui ont perdu …

Pour avoir plus d’éléments, le fichier joint regroupe certaines des notes prises lors des interventions de Jean Michel Zakhartchouk et François Dubet; l’intervention de Claude lelievre a été rapporté en partie et celle de Jacqueline Costa-Lascoux m’a moins passionné …

education_en_devenir_annexes.rtf