La lettre de Meirieu aux jeunes profs, opus 2

Deuxième note consacrée à l’ouvrage de Meirieu « Lettre à un jeune enseignant ». Rappelons que l’auteur a eu le bon gout de mettre en ligne certaines pages de ce livre sur le site de l’association Education & Devenir afin de susciter le débat …

 

http://education.devenir.free.fr/MeirieuLJP.htmm

 

 

Culture de résultats ou culture de l’évaluation ?

 

Pour Philippe Meirieu, il n’existe pas d’évaluation objective. Une évaluation sous tend toujours des valeurs implicites. Un résultat ne peut être une finalité, il doit interpellé et être évalué; de l’évaluation dépend ensuite l’analyse, la régulation, l’infirmation ou la confirmation des choix émis.

 

Verbatim

Nous arrivons ainsi au cœur du problème. Une véritable « culture de l’évaluation » doit développer une attitude réflexive et critique sur « les valeurs » : valeurs des « programmes » et des « actions », valeur des « indicateurs » de réussite, valeur des « résultats », quels qu’ils soient. C’est là où, précisément, se différencient la « culture des résultats » et la « culture de l’évaluation » : la « culture des résultats » totémise les « résultats » et, en particulier, les résultats tels qu’ils sont définis par la hiérarchie. La « culture de l’évaluation » interroge les résultats, se demande le sens qu’ils ont, débusque les biais dus aux outils de mesure et, surtout, confronte ces résultats aux finalités éducatives que doit se donner une société démocratique…

 la régulation ne peut être décrochée des finalités (on ne régule que pour améliorer le « fonctionnement pour… ») ; l’évaluation ne contient jamais les moyens de la régulation comme la coquille contient la noix. On a beau décortiquer les symptômes d’un dysfonctionnement, on ne peut se dispenser du travail d’invention, d’imagination, de conception qui permet d’améliorer les choses.

 

L’éducation d’un sujet n’est pas la fabrication d’un objet

 

« Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son coeur » disait Aragon; pour Meirieu s’il y a des objets finis, il ne peut y avoir d’élève fini ou terminé. La pédagogie est un moyen de lutter contre ce qui peut apparaitre comme une fatalité.

 

Verbatim

L’élève serait « le produit » des actions que l’on exerce sur lui et n’aurait aucune responsabilité dans ses propres résultats. Comme vous, cette attitude m’insupporte et j’ai toujours plaidé pour le « principe d’éducabilité » : « Tout élève peut y arriver et, en cas de difficulté, je ne dois jamais désespérer de lui.

Je dois, au contraire, toujours inventer de nouveaux moyens, de nouvelles méthodes pour, comme disait Alain, « redonner vie à ses parties gelées »… Je n’ai jamais fini de travailler à rendre le savoir accessible…

 

L’élève au centre du système, cela ne date pas d’hier ou de 68 …

 

Petit règlement de compte à OK Corral. Pour Meirieu, il y a prescription , le nombre d’enseignants qui ont connu directement le joli mois de mai, comme le chantait Gainsbourg, arpentent désormais plus les salons de tourisme ouverts au troisième âge que les salle de profs.

Il rappelle également opportunément que le concept de l’élève au centre du système (ce qui ne signifie pas pour autant l’enfant roi), ne date pas d’hier puisqu’il est antérieur à la seconde guerre mondiale …
Un bon pédagogue doit manier selon Meirieu la motivation et le travail (ou le bâton et la carotte), même si pour certains élèves leur milieu social (merci Bourdieu) induit une motivation supplémentaire pour apprendre à apprécier le travail … Pour Meirieu la systématisation de la « démagogie pédagogique » bien dans l’air du temps (Luc Ferry n’est pas loin) est une attitude partielle et partiale. L’ombre du socle commun des savoirs plane également derrière cette analyse.

(cf note précédente : Education en devenir http://jmorer.hautetfort.com/trackback/67329 )

 

Verbatim

« L’élève au centre du système » est […] un principe de bon sens dans une société laïque et démocratique qui veut transmettre à tous ses enfants les fondamentaux de la citoyenneté. Principe rappelé en 1938 par Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, qui conclut l’une de ses principales circulaires par cette interrogation : « Vers l’enfant, centre commun, tous les efforts ne doivent-ils pas converger ? »

 

Qui, en effet, pourrait prétendre le contraire ? Or, pour entrer dans le « comment faire ? », il faut d’abord se débarrasser des fausses questions qui nous encombrent… Ainsi en est-il, par exemple, de l’opposition entre « la motivation » et « le travail ».

Passons sur l’ignorance de la réflexion, dans ce domaine, de tous les grands penseurs de « l’École moderne » et, en particulier, de Célestin Freinet et de son ouvrage majeur L’Éducation du travail…

Passons sur les assimilations rapides entre la motivation et le jeu

Passons sur le schématisme prêté au pédagogue qui s’imaginerait pouvoir obtenir de l’enfant un travail scolaire « sans la moindre contrainte » … Tout professeur sait qu’il doit conjuguer en même temps la motivation et le travail, sans établir de préalable entre les deux, ni faire de l’un des deux éléments la condition de l’autre.

C’est pourquoi il y a quelque chose d’insupportable dans cette dénonciation systématique et permanente de « la démagogie pédagogique » de la part des intellectuels bien-pensants.
Ils nous accusent de rabaisser les savoirs, de brader l’ambition de l’École, de priver nos élèves des connaissances et de la culture auxquelles ils ont droit. Ils moquent nos tentatives, pitoyables à leurs yeux, pour prendre appui sur leurs centres d’intérêt, leur faire réaliser des panneaux sur les effets spéciaux au cinéma ou des exposés sur Harry Potter…

On voudrait croire que, derrière de tels propos, ne se cache pas une quelconque velléité d’abandon : « Enseignons la vraie culture à ceux qui la méritent et en sont dignes… Et renvoyons les autres de l’école le plus vite possible ! […]

 

Construire un monde à hauteur d’homme

 

Le pédagogue engagé doit avoir une démarche vulgarisatrice et salvatrice … Quand l’art du savoir rejoint celui d’enseigner (Cicéron).

 

Verbatim

Sous prétexte que le monde nous donne, chaque jour, le spectacle lamentable de foules qui se prosternent aux pieds de tyrans ou s’avachissent devant le crétinisme des médias, trop d’intellectuels se retirent sur l’Aventin : ils n’en finissent pas d’excommunier le monde… mais sans jamais rien proposer pour nous permettre de le transformer.

On peut ainsi, être, tout à la fois, révolté et résigné, bénéficier du prestige de la dissidence et de la tranquillité du renoncement. Et gagner sur tous les tableaux…

On rejette alors, avec mépris, « les illusions pédagogistes » de ceux qui se coltinent, tant bien que mal, l’éducation des barbares. L’on se satisfait très bien – même si on ne l’avoue guère – d’un monde où cohabitent la démagogie et l’élitisme, le mépris pour les uns et la suffisance des autres, l’apartheid entre les exclus et les élus… (…)

Et, en matière scolaire, ce comportement trouve une application facile : on se contente d’enseigner la minorité d’élèves qui connaît déjà la saveur du savoir et de déverser les autres dans des garderies plus ou moins déguisées.

 

N’ayez crainte : je ne vous demande surtout pas d’abandonner la moindre parcelle de votre projet initial. De renoncer à enseigner les disciplines pour lesquelles vous vous êtes engagé dans ce métier. Bien au contraire. C’est au cœur même de cet enseignement, et en assumant pleinement votre mission de transmission des savoirs, que vous « enseignerez l’École ». Vous deviendrez ainsi, en même temps un professionnel de l’apprentissage et un militant politique – au sens le plus noble du terme – engagé, au quotidien, dans la construction d’un monde à hauteur d’homme.

 

 

En guise de conclusion

 

Concernant la discrimination positive, selon Meirieu, pour qu’elle soit réellement positive, il faut mettre réellement les moyens … Sinon on pratique du Darwinisme social, on peut apprécier, mais de la à dire que c’est la panacée …

 

Verbatim

Je ne crois pas, bien sûr, que nous puissions réinventer le monde au quotidien. Mais, peut-être, peut-on travailler au quotidien à ce qu’il demeure ou devienne “à hauteur d’homme”: c’est-à-dire que les enjeux soient bien posés au niveau de l’avenir des hommes, et non de ceux de la marchandise, des “mécaniques institutionnelles” aveugles, des intérêts de quelques minorités mieux informées ou plus fortunées, des carrières politiques ou médiatiques de quelques uns, etc…

Il ne faudrait pas, pour autant, s’en contenter et oublier d’apporter aux “établissements difficiles” l’aide dont ils ont besoin pour faire face aux défis qu’ils doivent relever. Je ne voudrais pas que “la discrimination positive” se solde par l’organisation de la concurrence entre les exclus pour que “les plus méritants” puissent quitter des ghettos considérés comme définitivement abandonnés.