2/2 Assises des Petites Villes : Deux enjeux absolument vitaux

Une partie de l’équipe de l’APVF à Millau autour de son Président Christophe Bouillon & de la Ministre

Les défis auxquels nos communes sont confrontés ont été au cœur des débats de Millau, défis que les maires se doivent d’aborder à 360 degrés tant leurs enjeux sont de plus en plus liées. Si l’élu n’est que le premier maillon de différentes chaînes de partenaires, il se doit d’appréhender au mieux les différentes dimensions d’une problématique donnée, afin tout en intervenant sur les conséquences, d’agir dans le même temps sur ses causes.

Deux enjeux ont occupé la majeure partie de nos échanges y compris si d’autres priorités mobilisent également les élus au quotidien telles la question lancinante du logement véritable bombe à fragmentation pour la société avec un risque sérieux d’effet domino ou
les mobilités, priorité partagée par tous les territoires. Être ou non en capacité de se déplacer conditionne l’accès aux études, au travail, à la santé, est surtout permet de ne plus être assigné à résidence. L’intervention volontariste de la Présidente de l’Occitanie, Carole Delga a été très appréciée des élus …

L’enjeu essentiel que nous devons affronter aujourd’hui et sans doute encore plus demain, tant il est systémique et universel est celui de la transition climatique et écologique. Nous sommes dans le dur, beaucoup d’ailleurs disent dans le mur.
2022 marque incontestablement une étape clé dans la prise de conscience collective du phénomène, notamment et surtout en Europe : incidents météos extrêmes, méga incendies, canicules, stress hydrique … Si Christophe Béchu, Ministre de la transition écologique qualifie son ministère comme celui de l’impossible (et qui peut objectivement lui donner tort ?) nous n’avons cependant plus le choix, nous sommes collectivement condamnés à réaliser l’impossible, d’autant que le contexte empire chaque année.
C’est apparu dans beaucoup de nos échanges à Millau notamment l’accès à l’eau qui devient critique dans un nombre croissant de nos territoires. Une situation qui rabat toutes les cartes : économiques, agricoles, environnementales ou sociales ; la question de la soutenabilité est posée tant la gouvernance de cette ressource vitale constitue désormais pour nombre de mes collègues une priorité quasi obsessionnelle.

Autre problématique majeure, tout aussi angoissante : la santé … la faillite est totale et globale : désertification médicale, urgences, dégradation de l’offre, crise hospitalière … le modèle hexagonal est non seulement à bout de souffle mais littéralement en fin de cycle et le pire est sans doute à venir. Six millions de Français ne disposent pas aujourd’hui de médecin traitant et une quarantaine de départements sont sous le seuil critique de 40 médecins pour 100 000 habitants ; dés lors, avoir accès ou non à un médecin généraliste devient un marqueur insupportable d’inégalité territoriale. Une nouvelle fracture se dessine, terrible car vitale : la fracture médicale. Concrètement elle se traduit par une perte de chance intolérable entre habitants selon leur lieu de résidence !

Ne nous y trompons pas, nous devrons dans les prochains mois faire pivoter nombre de nos modèles afin de pouvoir simplement apporter quelques réponses à ses enjeux vitaux . Les élus locaux en ont conscience, ils savent que cela nécessite l’obligation d’embarquer le plus grand nombre de nos concitoyens, non de les diviser

Entrons dans le vif de ces deux sujets …

Intervention de Carole Delga aux assises de Millau

S’adapter à la transformation climatique

Si pour Christophe Bechu « rien ne se fera sans les territoires » force est de reconnaitre que ces derniers ne disposent pas aujourd’hui des moyens nécessaires pour répondre à un enjeu qui exige des investissements massifs et rapides.

Nos pays doivent impérativement accélérer l’allure au sujet de leur résilience à la transformation climatique, et ce pendant qu’ils ont encore les moyens et le temps de le faire qui est compté, sinon cela risque fort d’être trop tard.
Comme le souligne Jancovici, s’adapter dans une économie sans trop de croissance se traduit par « consommer moins et (re)construire plus ». D’autant que les modèles prédictifs actuels n’intègrent pas tous les effets combinés de la transformation climatique et la diminution de la résilience de tel ou tel écosystème. Rappelons que se baser sur une moyenne c’est prendre le risque de ne pas prendre en compte l’effet des écarts types et de la variabilité des températures. La notion même de réchauffement moyen est à mettre en perspective.

S’adapter au changement climatique pour atteindre les objectifs de la « neutralité carbone » impose aux collectivités de financer plus de 12 milliards d’euros d’investissements annuels d’ici 2030 selon l’Institut de l’économie pour le climat soit plus de la moitié de l’investissement public actuel ! Soulignons la fragilité budgétaire de collectivités ne disposant quasiment plus d’autonomie fiscale et confrontées à un contexte budgétaire tendu et incertain, leur capacité d’autofinancement sont plus que réduites. Pour illustrer le propos, le budget cumulé de toutes nos régions dites « XXL » (37,7 milliards en 2021) est de très loin inférieur à celui du seul Land allemand de notre ville jumelée Engen ( Bade-Wurtemberg : 57,4 milliards) !

Réduire l’empreinte carbone, nécessite d’apporter également des réponses contextualisées, l’économie circulaire repose avant tout sur les ressources locales. Si cette capacité diffère selon les régions, des gisements existent partout, encore faut il les repérer, ce qui implique un travail sur le fond (veille, audit, cartographie, accompagnement …), en étant en résonance avec un territoire donné, identifier contraintes et potentialités, puis innover, expérimenter, déverrouiller, libérer, pour enfin apporter et développer de nouvelles réponses …
C’est ce que nous cherchons à faire à notre niveau, ici à Trilport, que ce soit sur l’agriculture et sa diversification, la protection des ressources naturelles et de l’eau, l’action concrète sur les mobilités, le bâti, l’énergie, le soutien aux filières bio sourcés … Chaque territoire dispose d’un potentiel, encore faut il l’identifier, accompagner les énergies parfois même les impulser et faciliter la mise en réseau etr les synergies, parfois mêmes improbables …

Dans ce contexte, si le « fonds vert » (subventions de l’Etat destinées à financer les investissements ) constitue un signal positif, il nécessite pérennisation, montée en puissance et simplification dans les procédures d’attribution mises en place.
Les collectivités ont besoin d’une lisibilité pluri annuelle des crédits accordés ou non par l’Etat afin de s’organiser, planifier, optimiser et pérenniser sur la durée leurs investissements.
Leur situation budgétaire est de plus en plus contrainte, aussi l’indexation des subventions de l’État à l’inflation semble incontournable, tant adapter nos territoires à la nouvelle donne climatique exige des investissements massifs et rapides.
Arrêtons les faux procès en sorcellerie, les élus connaissent la situation financière du pays et son endettement comme les conséquences d’une hausse des taux d’intérêts qu’ils vivent également. Est il raisonnable décemment de les tenir responsables de la dérive des déficits publics, alors que les collectivités sont soumises à la règle d’or budgétaire et ne s’endettent que pour investir et non pour fonctionner ?
Restons sérieux, au delà de toute démagogie, traitons du fond. Il devient urgentissime pour l’Europe de se positionner sur la dette climatique. Est il raisonnable d’intégrer par dogmatisme, les emprunts consacrés à la transition écologique au calcul des déficits publics des États membres afin de ne pas inquiéter les agences de notation ? Les investissements réalisés en ce domaine sont porteurs d’économies futures sur la consommation de combustibles fossiles, d’externalités positives pour l’économie et l’emploi et une garantie de souveraineté économique !

Jean Pisany Ferry dans son dernier rapport appelle à faire en 10 ans ce que nos pays n’ont pas réalisé en trente et certaines des pistes qu’il évoque semblent dignes d’intérêts : mise en place d’un système de tiers financement (un tiers financeur porte un investissement et se rembourse sur les économies réalisées) ou d’un ISF vert provisoire. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles,

Outre la question financière, le changement climatique pose de manière aiguë la problématique de la ressource eau, de son modèle économique et de sa gouvernance. Dans les territoires victimes de stress hydrique, cete question devient majeure. Les modèles économique et institutionnel du financement de l’eau, vu l’accélération du réchauffement climatique et le développement de la sécheresse mérite d’être entièrement revu et adapté à la nouvelle donne climatique et à ses impératifs et priorités, vu les conflits d’usage et frictions croissantes sur ce sujet.

Satish Kumar, fondateur du Schumacher College i estime que « la crise climatique est le symptôme, pas le problème ». Nous devons effectivement repenser nos différent modèles, tenir compte du monde qui nous entoure et du vivant, pour les Maires des Petites Villes, ces modèles doivent surtout veiller à ne pas opposer fin du monde et fin du mois !

Le défi de l’accès à la santé

Autre problématique sensible, la désertification médicale. A Millau la parole s’est libérée avec des échanges directs, sans jeu d’acteurs, ni éléments de langage..
La situation est documentée depuis bien longtemps : le nombre de médecins atteindra son plus bas niveau en 2024, puis se stabilisera avant une légère augmentation due à l’arrivée chaque année de 8 700 étudiants admis en deuxième année de médecine et de 1 200 praticiens diplômés à l’étranger commençant à travailler en France (vous avez dit immigration ?). Si après 2030, la hausse devrait être significative (+1,5 % / an) elle ne permettrait pas de compenser les départs vu la demande croissante décrite par Emmanuel Vigneron « les besoins ne cessent d’augmenter, avec une population qui vieillit et une demande de soins en hausse ».
Ce contexte est tout sauf une surprise. Les Petites Villes de France avait déjà alerté sans succès dans leur 4eme livre blanc « Approche Territoriale de la santé » de mars 2013. La situation s’apparente plutôt à « chronique d’une mort annoncée », fruit de la double incapacité des gouvernements successifs depuis trente ans et du Conseil de l’Ordre à agir, décider et anticiper, englués dans un corporatisme et un conservatisme délétère et suicidaire.
Le débat se cristallise aujourd’hui autour de trois notions : incitation, régulation, coercition … aucune ne fait l’unanimité et ne semble réellement décisive eu égard à la gravité de la situation, y compris si la pire chose est le statu quo. Comme l’a souligné Frédéric Valletoux : « répartir différemment la misère n’améliorera pas foncièrement la situation. » . De plus en plus d’élus sont partisans de mesures coercitives mais pas le gouvernement comme l’a rappelé Agnès FIRMIN-LE BODO Ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé.

Je voulais saluer l’intervention d’un collègue Maire, médecin généraliste également. Il a parlé cash, avec des mots justes, demandant à ce que chacun fasse sa part de chemin, y compris les professionnels de santé, rappelant le coût d’une formation de médecin (120 000 euros soit 20 000 euros annuel pour 6 ans d’études), soulignant que c’est la Sécurité Sociale qui solvabilise les patients ; quitte à ne pas être coercitif, il a suggéré de ne plus conventionner les professionnels s’installant dans des secteurs trop bien pourvus (rappelons que pharmaciens, infirmiers, kinés respectent une régulation à l’installation).
Il a également insisté sur la nécessité de renforcer l’attractivité du métier en tenant compte des aspirations des nouvelles générations de médecins : temps de travail, amplitude, désir de travailler collectivement.

Constat implacable, la désertification médicale s’étend et progresse partout, il convient d’en finir avec les discours d’impuissance, et de changer de modèle pour améliorer l’accès aux soins.
Il est indispensable de rapprocher les formations au plus près des territoires, mettre en place de nouvelles complémentarités et synergies, redéfinir le périmètre des missions des uns et des autres à l’aune de la réalité du terrain et de la nécessaire adéquation entre besoins et ressources (faut il rappeler la position du Conseil de l’Ordre sur la vaccination au moment du COVID), digitaliser le suivi administratif kafkaien actuel, est ce bien le rôle d’un médecin ?
Il faut acter toutes les potentialités ouvertes par le numérique, que ce soit au niveau des capteurs de santé, des objets connectés, de l’IA et de la Data, d’optimiser le temps médecin, de favoriser, contrôler et sécuriser l’inter opérabilité des équipements et l’exploitation des données. Anticipons afin de ne pas laisser le champ libre au savoir faire d’acteurs majeurs comme les GAFAM, pour qui l’e-santé constitue un formidable marché stratégique et porteur de business à venir.
Malgré toute cette tech, rappelons qu’en matière de santé, le lien humain est essentiel, tant la relation, la confiance, la qualité et l’intensité de l’échange entre patient et praticien sont également au cœur de la problématique.
« Il n’y a de richesses que de femmes et d’hommes », aussi il est impératif de réfléchir sur des éco systèmes de santé reposant sur des réseaux locaux de soins, mêlant différentes professions médicales et para médicales, et d’agir dans les différents domaines de la médecine : préventive, prédictible ou curative, en privilégiant les liens indissociables entre médecine de ville et médecine hospitalière.

Nous devons nous bouger et vite, car comme le disait Michel Serres « Le temps réel rend dinosaure le temps d’autrefois » et chacun sait ce qu’il advint des dinosaures …