Grand Paris : L’intensité urbaine à l’ordre du jour

jardin-abbe-pierre_s.jpgLa 1ere soirée débat des « Conversations Métropolitaines » (cf note précédente), consacrée à l’intensité urbaine a été inaugurée par le tout nouveau Président de l’Atelier International du Grand Paris, Pierre Mansat dans un lieu totalement adapté au sujet des tables rondes, et certainement pas du au hasard,  puisqu’il s’agit de l’amphithéatre de l’Université Paris Diderot, implanté en plein cœur de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) « Paris Rive Gauche ».

Cette  ZAC constitue l’opération urbaine la plus ambitieuse menée à Paris depuis le 19 eme siècle. Nous sommes déjà dans la ville post Kyoto : tours résidentielles, jardins durables, celui de l’abé Pierre est un modèle de gestion différenciée des espaces, passerelle pour piétons, réutilisation d’anciens bâti industriels emblématiques, telle l’ancienne halle des Grands Moulins de Paris abritant l’amphithéatre, le Paris d’Hausmann est bien loin …

Nous sommes incontestablement dans un morceau de ville qui se régénère … Manque cependant à proximité de l’amphi,  des parcs à vélo, comme quoi la durabilité est un long combat !
Aujourd’hui plus de 5.000 habitants y vivent, 15 000 salariés y travaillent, à terme ils seront prés de 20 000 habitants pour 60.000 salariés !

C’est dire l’importance de ce chantier hors norme de plus de 130 hectares, situé à un jet de pierre de la Très Grande Bibliothèque de France. 

Force est de constater que les trois tables rondes qui se sont succédées, animées par Cyrille Poy, journaliste des plus spécialisés, nous ont plongé au cœur des thématiques liées à l’intensité urbaine, et des freins entre cet objectif encore lointain est la situation actuelle ressentie par les acteurs du terrain.

Constat, l’intensité urbaine doit intégrer deux  paramètres : la multiplication des recours juridiques due à une complexité incroyable des procédures et l’échelle des temporalités …

 

 

 

De la boite à outils règlementaire appliquée à l’intensité

Christian Curé (Directeur Adjoint du Développement Durable de la Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement) a fait un point d’étape sur la relation entre les besoins urgents et croissants en matière de logements (nombre, diversité, mixité sociale et générationnelle, durabilité du développement  …) et l’évolution du contexte règlementaire. Une relation duale qui du fait d’une complexité croissante des textes et des procédures ralentit considérablement les réponses à apporter à un besoin vital de notre société, celui de se loger.

Il note l’accumulation de textes règlementaires de ces dernières années en lien avec la construction de logements. La boite à outil est désormais bien garnie, trop bien garnie au regard de la complexité juridique croissante et de la longueur des procédures. Le besoin de simplification devient urgent, notamment et surtout face à la multiplication des recours. Pour un élu, notamment de petite ville, le moindre PLU est un vrai parcours du combattant, l’intérêt général étant souvent mis à mal par certains intérêts particuliers contrariés.

Force est de constater que le temps du Plan d’Occupation des Sols de géomètre est bien révolue. Le Schéma de Cohérence Territorial (SCOT), le Plan Local d’Urbanisme sont véritablement porteurs d’une véritable stratégie territoriale à moyen et long terme permettant d’anticiper certaines tendances ou exigences, notamment environnementales.

Ils constituent des outils précieux de gestion du temps long et de la mutabilité et permettent d’avoir d’authentiques perspectives territoriales.

Dans cette gamme d’outils, soulignons :

  • la place croissante prise par les Plans locaux de l’Habitat, qui apporte une approche réellement sociale qui permet d’infléchir les politiques territoriales sur la problématique du logement, ses exigences et ses contraintes, 
  • l’utilité des Etablissements Publics Fonciers, véritables facilitateurs pour définir des stratégies urbaines territoriales adaptées à chaque localité en tenant compte de ses particularités. Un constat  que nous vérifions chaque jour à Trilport depuis la signature de notre partenariat local avec l’EPFIF.

Olivier Waintraub (Directeur du Développement île-de-France de Nexity) est revenu sur le contre point de cette complexité règlementaire, la multiplication des recours juridiques, «véritable poison » qui met en danger  trop d’opérations, le temps du recours étant toujours supérieur à celui de la promesse de vente. Il regrette également la formation quelquefois insuffisante des magistrats en urbanisme, notamment vu l’involution incessante des textes juridiques …

Problématique rappelée par beaucoup d’élus présents,  dénonçant le véritable chantage exercé par certains concitoyens confondant intérêt particulier et intérêt général, usant jusqu’à en abuser du contentieux juridique. La complexité croissante des procédures faisant du moindre document d’urbanisme un véritable parcours du combattant semé d’embuches juridiques, terrain de chasse privilégié d’avocat en mal de clientèle, faisant du contentieux une niche très rémunératrice.

Situation qui a pris une telle ampleur, qu’une panoplie de parades est en élaboration au Ministère,  afin de faire évoluer le contexte règlementaire et de passer d’un urbanisme de normes à un urbanisme de projet.
Méthode employée celle « des petits matins », aux antipodes du grand soir parait il, à voir …

  • 70 mesures retenues, la plus médiatisée consistant à doubler la surface maximum pour laquelle une simple déclaration préalable suffit (de 20 à 40m2) en lieu et place d’un permis de construire, autant dire qu’elle ne fait pas la joie des architectes.
  • Quatre groupes de travail : planification, Mise en œuvre Opérationnelle, Fiscalité et Finances, Stratégies Foncières
  • Deux leviers : agir sur la fiscalité et sur l’action juridique, afin de limiter les recours abusifs contre les permis de construire, parfois d’origine frauduleuse.

Cette nouvelle réforme, intitulée « urbanisme de projet » devrait être présentée au Conseil des ministres d’ici septembre 2011, autant dire qu’elle est attendue notamment sur l’aspect simplification des procédures par beaucoup d’acteurs du terrain.

 

« Le paradigme de l’intensité face à l’échelle de temporalité »

Après le versus juridique, la seconde table ronde, a abordé sinon le sens de la vie, du moins celui des mots dédiés à la question de l’intensité urbaine.

Sabri Bendimérad, architecte de l’équipe Winy Maas (MVRDV), a rappelé l’éthymologie de certains mots clés, permettant ainsi de dégager les différences (bien plus que les nuances) entre certains concepts employés par les uns et les autres : 

  • Densité : Emprunté du latin densus, « épais, serré, compact, condensé ».
  • Intensité : Emprunté du bas latin intensus, « fort, violent ».
  • Compacité : Dérivé de compact, sur le modèle de capacité, efficacité, opacité.

Pour faire sens, il associe le concept de densité à celui d’addition et le concept d’intensité à celui de la multiplication, tant ce dernier conjugue selon lui, programmation et temporalité, du fait de la possibilité de revenir en arrière ou d’inverser certaines utilisations ou usages … Quatre principes sont selon lui, révélateurs de l’intensité et de sa connectivité à la société :

  1. ·      L’optimisation des ressources
  2. ·      La croissance des logiques urbaines et locales
  3. ·      La conjugaison des temporalités et la standardisation des usages
  4. ·      La réversibilité

Sur l’importance prise par certains mots, Pierre Paulot (directeur de l’architecture et de l’environnement du groupe immobilier I3F) a quelque peu brocardé, la jargonite des urbanistes … Il est vrai que parler du « paradigme de l’intensité », fait classieux, muais n’interpelle pas forcemment le citoyen lambda. Il l’associe plus simplement à certaines fonctions de la ville : le logement, l’équipement et le transport, si la densité se mesure, l’intensité se ressent par la porosité des formes urbaines, l’échelle également des discontinuités …

Il faut redonner envie de ville, à partir d’un véritable projet de ville en apportant des réponses appropriées aux difficultés en financement, en matière grise ou en gouvernance.

 

Une interrogation qui n’est pas qu’hexagonale, c’est ce qu’à rappeler Vincent Fouchier, DA de l’IAU RIF, en responsabilité au niveau de l’OCDE, du groupe de travail planchant sur l’urbain, en Europe, c’est la notion de compacité, qui a été retenue, avec des formes différentes selon les latitudes.

Il est important de se livrer à un véritable benchmarking  et d’expérimenter plusieurs types d’organisation. La difficulté selon les retours d’expériences portent plus, au niveau de l’intensité sur la gestion des flux, l’animation dans la ville, les usages que dans l’organisation physique de l’espace.  Certaines expériences de forme urbaine (bimby notamment) constituent des « signaux faibles » à prendre en considération, cars pouvant enrichir la perception de notre environnement et inciter à certaines anticipations ou choix prospectifs.

Il insiste plus que jamais, devant les priorités environnementales de revenir à une forme moderne et intelligente, de planification, notamment au niveau du moyen long terme, afin d’assurer la plus grande cohérence, le phasage et le pilotage (accélérer, ralentir), de des évolutions urbaines en cours et sur l’importance de ne pas remettre en cause des espaces ouverts pouvant être déterminant pour les générations futures.

La dernière table ronde, celle des élus a rappelé certaines vérités :

La ville ne cesse de se construire, mais notre société doit fait face à certains aléas : judiciarisation croissante des relations sociales, problème de financement … Elle doit répondre à l’angoisse des habitants face à un avenir incertain, et à un  véritable problème identitaire et de valeurs avec la ville, sa culture n’étant pas urbaine, mais rurale.

Une perspectives et des valeurs qui sont toujours encouragées par des discours politiques à contre courant pourtant de l’évolution environnementale de la société et de ses priorités essentielles : réchauffement climatique que de la protection de la bio diversité.

Il faut donc changer de Graal !

Enfin, la difficulté la plus existencielle, tant elle nous rappelle notre triste condition humaine, est celle  de l’échelle des temporalités, qui décidemment n’est pas la même entre les différents acteurs : promoteurs, aménageurs, élus, habitants,

mais aussi entre la ville elle même et la planète.

 

Mais comme il est écrit,  ceci est une autre histoire