Adapter nos mobilités à la société complexe

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Assises de la mobilité #1

Contribution d’un élu local de la Grande Couronne Francilienne à la réflexion sur les Assises de la mobilité. Une analyse placée sous l’éclairage nécessairement réducteur d’un quotidien partagé par un grand nombre de concitoyens ayant trop souvent le sentiment de vivre dans la pampa, avec une pensée particulière pour la ligne P d’un certain Transilien …

Le droit d’aller et venir constitue une liberté fondamentale, encore faudrait il qu’elle concerne chaque citoyen, ce qui aujourd’hui n’est pas le cas. L’accès à des mobilités dites inclusives est devenu un véritable marqueur social ou/et de lieu de résidence. Un comble pour une république qui se veut égalitaire, d’autant que la question des transports devient absolument centrale :

  • notre société est de plus en plus nomade. En France, chaque habitant parcourt en moyenne 40 km / jour, soit plus de 14 000 km dans l’année, que cette mobilité soit choisie ou subie, ce qui est le plus fréquent,
  • les transports sont responsable du tiers des émissions de Gaz à Effet de Serre, c’est le seul secteur où ces émissions continuent d’augmenter,
  • toute l’organisation sociale d’un territoire et de ses habitants repose sur la qualité de ses réseaux de transports et leur complémentarité.

Ne pas être en capacité de se déplacer librement aujourd’hui dans une société de plus en plus mobile (mobilis in mobili) conduit inexorablement à l’exclusion et au déclassement, avec pour conséquences directes : des contraintes quotidiennes insupportables, l’aléa professionnel, l’absence de perspective à court, moyen et long terme, un ressentiment de plus en plus marqué à l’égard des métropoles ou des « élites » et in fine, des comportements électoraux de rupture (abstention ou vote extrémiste)…

L’initiative prise par le gouvernement d’organiser des Assises de la Mobilité, comme sa volonté de privilégier les transports du quotidien, arrive à point nommé … Encore faut il attendre les suites concrètes qui seront données à cette initiative.

Une métropolisation à la française

Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans une ville, c’est une tendance de fond : en 1900 10 % des habitants étaient citadins, 1960 33%, en 2050 ils seront plus de 60%.

La France suit le mouvement général, avec cependant une particularité, c’est l’un des pays européens les moins denses. Ce qui s’explique par sa géographie, son histoire, sa culture institutionnelle et la place singulière occupée par la commune. Les petites villes sont effectivement une des composantes d’une métropolisation qui s’est développée en mode « léopard ». Si aujourd’hui 80% des français vivent dans des territoires « urbanisés », ceux ci sont souvent de fait des petites villes péri urbaines ou rurales.

Ce qui se répercute sur des besoins en mobilités qui sont plus souvent subies que choisies. 61% des citoyens ne résident pas là ou ils travaillent et le nomadisme fait partie intégrante de leur univers quotidien. Ils se déplacent dans une société « d’identités multiples », entre le territoire où ils vivent, celui où ils travaillent et tous les autres… Cette réalité est également un fait social, les classes dites populaires ou moyennes s’éloignant de centres-villes urbain de plus en plus inabordables au niveau foncier et pouvant accéder à la propriété en rejoignant les espaces périurbains ou ruraux.

La géographie sociale du pays se distend également, la connexion ou non à un réseau ferré efficient prend une importance essentielle d’autant que l’effet TGV a une traduction concrète pour le moins disruptive. La banlieue proche peut se retrouver désormais, en temps de transport, plus éloignée de la « capitale régionale » que la province lointaine. Tendance de fond qu’il faut souligner, contrairement aux idées reçues, l’augmentation de vitesse ne fait pas forcément gagner de temps aux usagers du quotidien, mais se traduit plutôt par une augmentation des distances parcourues.

En matière de mobilité, le véritable étalon n’est plus la distance, mais le temps de transport, ce paramère influe directement sur les choix résidentiels et la dynamique des territoires.

Répondre aux fractures sociales & territoriales

Dans les espaces péri urbains et ruraux la dépendance à la voiture particulière est une réalité pour le moins « addictive ». En 2015, la voiture a représenté prés de 80% de la mobilité individuelle (voyageurs / kilomètres).

Les habitants sont face à un dilemme quasi schizophrénique : moins leurs moyens financiers sont importants, plus ils s’éloignent des bassins d’emplois et deviennent dépendants de la voiture au quotidien. Conséquence, la part de leur budget consacré aux mobilités explose, les contraintes se font croissantes (stationnement, stress …), ils sont culpabilisés, considérés comme des pollueurs qui contribuent au réchauffement climatique, un cocktail anxiogène qui renforce leur sentiment d’exclusion et de déclassement.

Les  problématiques de relégation et d’exclusion sociale ne se limitent plus aux seuls quartiers de politique de la ville, elles concernent également les espaces péri-urbains ou ruraux qui connaissent une forte croissance démographique. Les habitants de ces territoires ghétoïsés, généralement mal desservies se retrouvent « assignés à résidence ».

Les mobilités ont un effet multiplicateur sur des fractures territoriales et sociales qui ont tendance à s’élargir.

 

Il est essentiel de replacer l’équité au cœur de la république, d’agir pour renforcer une cohésion sociale aujourd’hui malmenée ne tenant qu’à un fil qui menace de rompre à tout moment. Le fil des mobilités peut et doit devenir ce lien fédérateur qui permettrait de répondre à l’impératif républicain, en connectant tous les espaces du pays : métropolitains, urbains, péri urbains ou ruraux. Nous en sommes très éloignés aujourd’hui …

Les mobilités sont plus que jamais au cœur de nos vies, trop souvent de nos angoisses quotidiennes lorsque l’on est assigné à résidence, situation littéralement intolérable en 2017, tant se déplacer est vital pour accéder à l’emploi, la culture, les loisirs. Être mobile est la condition sine quanun de l’épanouissement individuel et collectif, vecteur de liberté et d’émancipation au sens le plus global.

Encore faut il adapter l’organisation de nos transports aux besoins et contraintes de tous les territoires, sans exclusive.

Auparavant, tout semblait simple, immuable. Les transports étaient cadencés sur les flux pendulaires de la trinité métro / boulot / dodo, reposant sur un modèle industriel de masse, standardisé. C’est ainsi que la SNCF, la RATP, les sociétés de bus ont prospéré au fil des décennies, développant leur mono activité en mode silo, sans se préoccuper des connections possible avec les autres opérateurs.

C’était à l’usager de s’adapter.

Le développement des territoires ruraux et péri urbains, l’arrivée de nouveaux habitants majoritairement issus du monde urbain, la mutation d’une société de plus en plus nomade et obsédée par le temps qui file, ont non seulement déclenché une véritable révolution des besoins, mais bouleversé toutes les approches précédentes et mis à mal le modèle dominant, « mono canal ».
C’est une approche multi modale qui s’impose désormais et mêle plusieurs modes de transport, qui s’articulent et se complètent selon le contexte et les caractéristiques d’un territoire donné. Nous ne sommes plus en présence d’un réseau hiérarchisé à la logique descendante, mais de plus en plus décentralisé, interconnecté et qui se doit d’être en résonnance avec le terrain. Aux paradigmes anciens, le silo, le périmètre, il convient de substituer une logique de ligne, de connections, de bassins de mobilités rassemblant plusieurs bassins de vie connexes et transverses, d’interactions entre éco systèmes locaux multiples …

Révolution copernicienne, c’est au réseau désormais de s’adapter à l’usager

Il devient essentiel de contextualiser, d’innover en privilégiant l’intelligence collective et en s’appuyant sur une véritable résilience territoriale, tant chaque territoire a un métabolisme urbain qui lui est propre et qui dépend de plusieurs paramètres : acteurs locaux, histoire des lieux, géographie, urbanisme…

Toute collectivité, bassin de vie, ou plus largement de mobilité, est par définition un corps vivant qui évolue, interagit avec plusieurs écosystèmes qui se régulent entre eux, et se connectent à d’autres territoires ou réseaux constitués.

La souplesse, l’agilité, la réversibilité, la mobilité composent l’ADN d’une société de plus en plus complexe qui doit s’adapter à l’aléa, l’improbable, et développer d’autant sa capacité à rétro agir, voir à anticiper …

« Le principe de simplicité impose de séparer et de disjoindre alors que le principe de complexité enjoint de relier tout en distinguant. » Edgar Morin

Voilà pour le constat,

Nous vivons dans une société désormais complexe, ce n’est un scoop pour personne.

Comment répondre à cette complexité en matière de mobilités, aujourd’hui et demain ?