Admettre le fait péri urbain

Trilport, une ville à la campagne, entre Marne et Forêts

Avec le vote du Schéma Directeur régional d’Ile de France, la création de la Métropole du Grand Paris, la publication de récents ouvrages ou l’envolée du vote FN dans certains territoires, le fait péri urbain est devenu une réalité incontournable qui fait désormais l’actualité. Indéniablement il existe, je l’ai rencontré, le vis au quotidien comme citoyen mais aussi élu local.

Prenons l’Ile de France, région la plus riche du pays (18% de la population nationale, 30% des richesses). Si toutes ses communes appartiennent à l’aire urbaine de Paris, plus des trois quart (85%) avec moins de 2000 habitants, notamment en Seine et Marne, sont considérées comme  péri urbaines. Peut on pour autant les classer en France métropole (note précédente)?
Non, un seine et marnais ne dispose pas tout à fait des mêmes facilités qu’un habitant de Paris ou de la Petite Couronne; et encore il existe une Seine et Marne des villes et une Seine et Marne des champs ! Ce département connait une croissance démographique ininterrompue depuis plus de 20 ans : foncier disponible, prix attractif, proximité apparente avec la région parisienne …

Autant d’arguments qui attirent de nombreuses familles, mais au quotidien, la réalité se révèle plus contrastée. La proximité avec Paris est toute relative, au regard de la congestion routière, du manque d’infrastructures en transport en commun, de la saturation d’un réseau ferré sous dimensionné et de l’absence quasi totale de multi modalité. L’organisation actuelle des transports remonte aux années 70, c’est dire, et ce, malgré les efforts déployés par le STIF depuis 2006. Trop souvent, dans le 77 se déplacer s’apparente à un parcours du combattant, que ce soit en voiture ou en transport en commun !

Comment en période de disette budgétaire rattraper 50 ans de sous investissement et financer dans le même temps le réseau du Grand Paris ?

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Pour les services à la population, le constat n’est guère plus réjouissant. Les collectivités locales ne sont pas toutes en mesure de répondre aux demandes croissantes de leurs nouveaux habitants et aux exigences de l’Etat. Contexte, qui, avec la baisse des recettes annoncée risque de s’aggraver, d’autant que les besoins en structures et services (petite enfance, écoles, péri scolaires, loisirs …) augmentent sans cesse.

Autre signal alarmant, la santé économique des habitants se fragilise. Devenir propriétaire en grande couronne induit des charges nouvelles, souvent non anticipées, qui se cumulent : remboursements d’emprunts, énergie, il faut chauffer des logements souvent mal isolés, mobilités, la voiture est quasi incontournable. La moindre variation économique met à mal un équilibre financier fragile : prix du gazole, de l’énergie, traites, imposition …  si jamais une perte d’emploi ou une séparation survient, c’est le drame, d’autant que ces familles, urbaines à l’origine, sont coupées de leur réseau de solidarité familiale.
Des populations qui vivent dans un paradoxe, propriétaires elles privilégient à priori un mode de vie individualiste, mais désirent dans le même temps bénéficier des aménités de la ville, dont elles ont le plus grand mal à se passer, alors que la simple mise en oeuvre des services attendus nécessite une taille critique d’habitants et des ressources financières et logistiques que leurs collectivités n’ont pas.

Inexorablement, le mouvement démographique initié s’amplifie, véritable vase communiquant : les habitants des grandes villes migrent en périphérie,  notamment rurale et une nouvelle géographie urbaine s’esquisse, qui n’est pas sans conséquence sur les besoins en infrastructures et les politiques publiques à mettre en oeuvre, qui doivent absolument se renouveler à l’aune de ce nouveau contexte …

Dans l’attente, vu l’inertie, ces territoires délaissés risquent si l’on y prend garde de devenir de véritables espaces de déliaison sociale … « 

Alors comment agir pour changer durablement et surtout concrètement cette donne ?

Le fait péri urbain

Le fait périurbain n’est pas qu’une spécificité française, dans les autres pays européens de tels territoires sont considérés comme «espaces hybrides» ou «intermédiaires» (EUROSTAT). Le péri urbain résulte du mode de développement de sociétés de plus en plus urbaines, la ville cependant se disloque. En France, l’émergence de ces nouveaux espaces, qu’ils soient urbains, résidentiels ou d’activités, n’a pas été suivi d’une réelle prise en compte de leurs spécificités, et surtout, des besoins de leurs habitants.

L’évolution démographique en cours, profonde, n’a pas eu jusque là de traduction concrète, tant sur l’organisation territoriale que les infrastructures ou services adaptés à mettre en place. Moralité, leurs habitants ressentent un véritable sentiment d’abandon, exacerbé par le manque de moyens de leurs collectivités. Si les inégalités territoriales avaient décru jusqu’à la crise, c’est vrai, cette dernière a rompu depuis lors cette tendance vertueuse.
Pire, on assiste à un véritable « bloodshift territorial » des collectivités riches au détriment des plus nécessiteuses. Les ressources se faisant rares, les collectivités les mieux armées se les réservent, c’est cal crainte de beaucoup de territoires devant l’émergence des métropoles. Les « périphéries » ont le sentiment de devenir de véritables terres de relégation.
Constat brutal, la fracture territoriale s’élargit « grave », et touche de plus en plus les territoires péri urbains qui doivent dans ce contexte, et malgré tout, créer des infrastructures indispensables aujourd’hui absentes, et mettre en place les services de proximité dont les habitants ont le plus grand besoin au quotidien.

Il est essentiel de réconcilier deux France, qui ne doivent pas être en compétition mais se développer en  complémentarité et surtout solidairement. Force est de constater que malheureusement aujourd’hui nous en sommes loin, des rivalités existent, les difficultés rencontrées par Maryse Lebranchu pour moderniser l’organsiation territoriale du pays en témoignent, c’est la division qui règne !

Tant que des réponses concrètes n’auront pas été apportées, et vite, le sentiment d’abandon prévaudra auprès des habitants des territoires «délaissés» qui sont ressentis comme de véritables « terreaux d’angoisse » ou des terres de relégation. Il ne faut pas s’étonner dés lors, que ces habitants ensuite soient réceptifs aux idées des partis « anti systèmes» tel le Front national, qui même s’ils n’apportent pas de solution concrète et durables, porte le raz le bol de beaucoup. C’est pourquoi une des cibles privilégiés du parti d’extrême droite est justement cette population des « invisibles », qui se sentent exclus des priorités des élus nationaux et dont le FN aspire à devenir un porte voix.

Trois axes d’action m’apparaissent prioritaires et doivent selon moi être pris très au sérieux par le politique national, tant ils peuvent changer une donne mal partie et apporter de vrais perspectives, non seulement à ces territoires, mais surtout à leurs habitants : agir sur les conditions de transport, réussir la transition énergétique et renouveler  les services de proximité …

Agir sur les conditions de transport

Se déplacer aujourd’hui est devenu, que ce soit pour le business ou des raisons privés, plus qu’un besoin, un véritable droit de la personne, conséquence directe de la mondialisation … Pour les nomades d’aujourd’hui la planète est de plus en plus globale (« la terre est plate »), ces derniers s’affranchissent allégrement des milliers de kilomètres (avions, trains à grande vitesse) séparant pays ou continents, y compris lorsque la nature les rappelle à l’ordre : évènements climatiques ou météorologiques… Pourtant paradoxalement, dans le même temps, pour l’habitant de grande couronne ce sont les dizaines de kilomètres le séparant de son domicile qui posent problème et s’apparentent trop souvent à un véritable parcours du combattant.

Les concepts autour de la “ville en mouvement” se développent dans l’inconscient collectif, attisant ce profond sentiment d’injustice. La “mobilité” et le “nomadisme” sont des réalités concrètes pour les habitants de la France des métropoles alors qu’ils apparaissent comme des illusions ou de lointains mirages pour ceux de la France périphérique, qui avec l’application de la loi SRU seront de plus en plus nombreux. Une réalité qui impose d’intervenir afin de concilier habitat, activités et mobilités. A ce stade on ne peut plus parler d’anticipation mais de réaction !

Il faut agir, et vite, améliorer la performance des réseaux de transport en commun du quotidien, notamment en grande couronne, les dimensionner aux besoins réels, mettre en place les conditions qui permettront l’émergence et le développement de vraies multimodalités reposant sur des schémas de desserte cohérents, basés sur des bassins de vie regroupant plusieurs structures intercommunales.

L’Ile de France avec le STIF a la chance d’avoir un acteur essentiel, qui peut et doit être un vecteur de dynamique mais surtout de cohérence territoriale. Le STIF est en capacité de coordonner et connecter de multiples opérateurs privés et publics autour de schémas locaux qui intègrent et tiennent compte des réalités des différents contextes, mais qui soient, condition sine quanun, complémentaires et surtout inter opérables.

Autre évidence pour les habitants des territoires péri urbains, la nécessité de réhabiliter le rôle et la place de la route et des transports routiers (lignes de bus, voiture …). Ils constituent un élément incontournable de  la multi modalité. Ce constat nécessite la création d’infrastructures (contournements, parc de stationnement relais, transport en commun à site propre, gares routières …),  la mise en place d’un véritable « éco système » (réseau de bus, transport à la demande …) basé et reposant, non sur la France des années 1970, mais préfigurant bien celle des années 2020 ou 2030, pour reprendre l’objectif du Schéma régional d’Ile de France.
Soulignons également, et ce n’est pas un détail secondaire, que ce réseau routier doit être entretenu, c’est malheureusement de moins en moins le cas aujourd’hui devant les problèmes budgétaires rencontrés par les départements. Il y a désormais urgence eu égard aux rigueurs climatiques à poser ce problème sur la table, et à donner aux collectivités les moyens d’entretenir ces réseaux. Sinon l’addition risque fort de s’alourdir et vite.

La multimodalité ne doit pas être un gros mot, un objet techno, une usine à gaz, un concept creux mais bien une réalité partagée, lisible, compréhensible, fluide et surtout concrète.
Force est de constater que malheureusement aujourd’hui nous en sommes à des années lumière. C’est e coté techno et usine à gaz qui prédomine !  Il est inadmissible que des projets d’infrastructures, la mise en place de services dont lla réalisation est indispensable pour améliorer la vie de milliers d’usagers et l’efficience de notre économie, soient bloqués durant des années pour des raisons administratives ou encore la mauvaise volonté d’un acteur incontournable, notamment en Ile de France, comme l’est RFF ! Tous les opérateurs impliqués doivent accompagner et porter ce mouvement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et décridébilise les efforts de tous ceux qui cherchent à améliorer les choses. Le statu co n’est plus envisageable, il faut faire évoluer la donne et vite !
Sinon la situation risque d’être de plus en plus bloquée et les travaux autour du Grand Paris apparaitront alors à beaucoup comme une vraie provocation. On ne peut d’ailleurs imaginer que ce nouveau réseau puisse s’exonérer encore longtemps d’une réflexion forte sur la nécessité de dimensionner ou mettre en place les infrastructures et structures induites par sa création, notamment au niveau du rabattement des usagers de la Grande Couronne et des franges franciliennes.

Réussir la transition énergétique

L’étalement urbain entraine l’augmentation de la précarité énergétique. Prés de 4 millions de ménages, dont de nombreux habitent en grande couronne ou dans le monde rural vivent dans de véritables « passoires thermiques », sources de dépenses importantes.
Le taux d’effort consacré à l’énergie est  supérieur à 10 %  de leur revenu, ce qui les situe statistiquement en situation de précarité énergétique. Constat dramatique, car toutes les études prospectives unanimes indiquent que le prix de l’énergie augmentera considérablement dans les prochaines années.

Si rien n’est fait, la situation risque de devenir critique pour des millions de familles et la précarité touchera de plus en plus de nos compatriotes. Il est impératif d’agir afin d’améliorer l’efficacité énergétique du vieux bâti, que ce soit en hiver ou en été afin de tenir compte du réchauffement climatique, tant pour des raisons sociales, que budgétaires (balance du Commerce Extérieur) ou environnementales (limitation du CO2).
La difficulté est qu’actuellement les travaux d’isolation reviennent chers et le retour sur investissement est bien trop long pour que les familles disposant de peu de moyens financiers s’y lancent. Si aucune initiative d’envergure n’est prise, rien ne bougera.
Il faut lancer au plus vite une politique publique nationale ambitieuse, incitative (déductions fiscales significatives, bonus …), réactive, simple à mettre en place, que cette dernière devienne une vraie priorité nationale, tant agir en ce domaine est essentiel au devenir du pays.
Il s’agit d’un enjeu fort de cohésion sociale, mais aussi de dynamisme et de dynamique économique qui permettra la création d’emplois non délocalisables, l’émergence et le développement de filière courtes autour du bois, des matériaux bio sourcés et du BTP, mais aussi d’agir sur le pouvoir d’achat des français,  le budget national et la balance du Commerce Extérieur (limitation de la consommation d’énergie).

Il serait utile et pertinent qu’une grande partie des investissements et des aides dédiées à la transition énergétique alimentent dans un premier temps et en priorité l’action en faveur d’une meilleure efficacité énergétique.

Renouveler les services de proximité

Ce n’est pas un  scoop, les territoires péri urbain accueillent de nombreuses familles et conséquence directe, de plus en plus de jeunes. Un statut et une réalité qui nécessitent la présence de politiques publiques de proximités efficaces, dynamiques et surtout cohérentes dépendant de moyens financiers et d’une masse critique d’habitants que beaucoup de collectivités n’ont pas. C’est bien là que le bas blesse.

Il faut bâtir des schémas de développement pour rendre ces politiques plus efficientes. Jouer sur les mutualisations, les complémentarités et synergies et remettre à plat les actuels modèles économiques qui ne correspondent plus au contexte et à l’urgence. Le périmètre des espaces de solidarité doit être également revu.
Le désengagement de l’Etat (police, tribunaux, écoles, hôpitaux) a été non seulement un mauvais signal, mais a représenté une véritable catastrophe pour beaucoup de collectivités, qui ont tenté de pallier à cette déficience subite. Si jusque là, elles étaient en capacité de prendre le relais, du moins partiellement, afin de permettre simplement à leurs habitants de disposer des services auquels tout citoyen d’une même république a droit, désormais, et encore plus après les baisses de recettes annoncées qui risquent d’impacter durement les plus pauvres, elle ne sont plus en état de le faire. Perspective  angoissante et inquiétante, le bouclier territorial et protecteur évoqué il y a quelques années se fissure de plus en plus.

Il nous faut travailler à l’émergence d’un nouveau modèle économique qui permette, tout en tenant compte de la nouvelle donne budgétaire, d’assurer malgré tout, les services de proximité indispensable qui permettront aux dynamiques territoriales de contribuer à une cohésion sociale du pays très malmenée ces derniers temps, notamments sur les territoires les moins riches !

Lier péri urbain à France périphérique est une réalité dans beaucoup de contextes locaux. Mais opposer cette dernière à la France des métropoles ne constitue pas une fatalité. Plus que de concurrence, nos territoires ont besoin de complémentarité et de solidarité.

La situation actuelle nécessite d’agir, et vite, tant le degré d’exaspération de  ceux qui se sentent aujourd’hui abandonnés et exclus de toute perspective positive est fort. Agir leur permettrait  d’abandonner idées noires, votes extrémistes ou abstentionnisme, mais plus important, ils pourraient de nouveau recommencer à croire dans la société, à autrui, en l’avenir, en ayant retrouvé la capacité et la faculté de se projeter dans un futur dans lequel ils seraient intégrés afin de construire de manière commune et durable.

Cela exige, au préalable, de les prendre, tout simplement, en considération en ayant la volonté sincère et l’énergie de changer concrètement la donne actuelle. Il faut pour cela, esprit d’innovation, efficience, ténacité, sens de la solidarité et du service public mais surtout redéfinir un pacte territorial pour les prochaines années qui tienne compte et intègre toute la gravité et la réalité de la fracture d’aujourd’hui.

Il est plus que temps d’agir, les habitants de la France périphérique ont grand besoin de justice, d’écoute, d’attentions et de redevenir, enfin, une vraie priorité pour le pays.

Ouvrages récents

Fractures françaises, par Christophe Guilluy

François Bourin,

La crise qui vient, la nouvelle fracture territoriale, par Laurent Davezies

Seuil, Collection République Des Idées

Le Mystère français,  par  Herve Le Bras et Emmanuel Todd

Seuil, Collection République Des Idées

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