Carte postale de Berlin (2/2) : de la commune

Berlin_1.jpgAprès avoir décrit l’organisation territoriale allemande de manière globale, (cf note précédente), je vous propose d’analyser la collectivité de base du système, la commune, quoi de plus normal pour le Maire que je suis  !

Remarque préalable, les situations divergent considérablement d’un land à l’autre ; entre ceux du nord marqués par la tradition prussienne privilégiant l’autonomie communale, et ceux du sud (Bavière, Bade-Wurtemberg…) plus centralisateurs, bien des nuances existent. La loi fondamentale permet à chaque land de déterminer son système d’administration territoriale.
Cependant les collectivités sont sous la tutelle des länder, qui décident des compétences attribuées aux communes et aux districts (ou « Kreise »), l’équivalent de nos départements, qui ont en charge les routes, l’aménagement du territoire, l’action sociale, la jeunesse, les hôpitaux, l’enseignement secondaire, les ordures ménagères … Ce sont les länder, qui attribuent les dotations financières ou valident les budgets.
Obligation, les budgets des collectivités doivent être équilibré en fonctionnement et l’emprunt n’est autorisé que pour investir ou alimenter sa trésorerie, mais contrairement à la France ou ce principe est respecté, outre Rhin il est surtout théorique, les communes utilisant leurs crédits de trésorerie, à court terme, comme des emprunts à moyen et long terme, les länder ayant « laisser-faire » ce dérapage. Conséquence, l’endettement atteint désormais un seuil critique  (130 milliards d’euros de dette), une situation paradoxale, vu la santé de l’économie du pays et le dogmatisme budgétaire pour le moins «intransigeant» dont fait preuve la Chancelière.

Les collectivités allemandes sont à des années lumière de la règle d’or, pourtant respectée avec application par les communes françaises. En Nord Westphalie, seules 10% des communes ont un budget équilibré en 2011. Une étude du cabinet d’audit Ernst & Young publiée ces derniers jours noircit ce tableau déjà sombre. Une commune allemande sur deux estime que son endettement va se creuser dans les trois prochaines années, et une sur trois qu’elle ne sera pas en capacité de rembourser ses emprunts.

Un surendettement qui constitue une bombe à retardement, tant une brusque augmentation des taux ou une baisse de la croissance du pays peut avoir de graves conséquences. D’autres clignotants sont également au rouge dont celui de la croissance démographique, en berne. Menace très sérieuse pour les prochaines décennies, à laquelle il faut ajouter la hausse continue des dépenses sociales et les besoins d’entretenir et de développer les infrastructure du pays. Devant la gravité de la situation, l’Etat a lancé un « Agenda 2020 » en explorant diverses pistes de réforme (fiscalité, répartition des compétences).

Les données quantitatives  2011 de cette note sont issues principalement de l’intervention de Roland Schaffer, Maire de la ville de Bergkamen, et Président de l’Association des villes et municipalités allemands « petites et moyennes communes d’Allemagne » (« Deutscher Städte- und Gemeindebund ») devant notre délégation. Il était déjà intervenu à Castelnaudary en septembre dernier lors des assises des Petites Villes de France.
Son organisation est une des trois associations de collectivités du pays avec celle des « grandes villes » (« Deutsche Städtetag ») et des « départements » (« Deutscher Landkreistag »).

Il s’est exprimé dans un français remarquable. Pour l’anecdote, il décrit sa relation avec notre langue, passionnée, comme celle avec sa femme «  je l’aime mais ne la maitrise pas … », ce qui est excessif, vu la qualité de son intervention …

Attention cette note est du genre … dense et longue, mais le sujet s’y prête !

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La croissance actuelle de l’Allemagne apporte aux collectivités des rentrées fiscales satisfaisantes, mais insuffisantes pour diminuer le stock de dettes accumulé.
Problème structurel : les dépenses des collectivités sont supérieures aux recettes (voir illustration jointe plus loin), du fait de transferts de charge non compensés, de l’augmentation des dépenses sociales. Leur progression est estimée à 2 milliards € par an pour les collectivités; si elles représentaient 26 milliards € en 1999, elles devraient atteindre plus de 45 milliards € en 2013.

Les relations financières entre Bund / lander / collectivités, respectent deux principes fondamentaux :

  • la subsidiarité : seules sont « transférées à un niveau administratif supérieur les fonctions ne peuvant être remplies efficacement par l’instance inférieure ».
    En décodé, cela signifie que le compromis optimal est à trouver entre efficience de l’action publique (son rapport « qualité/ prix » nécessitant souvent une « masse ou un périmètre critique ») et proximité avec le citoyen. Ce mixt varie selon les länder, situation totalement étrangère à la culture politique et administrative jacobine des français. Base line cependant : toute fonction doit être assumée au niveau le plus proche du citoyen.
  • la connexité : les obligations imposées aux communes par la loi (qu’elle soit du Bund ou du Land) pour remplir des objectifs politiques, donnent lieu à une compensation financière intégrale.
    Principe théorique : »celui qui paye, achète; et celui qui veut acheter, doit payer. Chez nous, il y a de nombreux secteurs dans lesquels la Fédération ou le land achète, et ce sont les collectivités locales qui doivent payer». L’association des communes allemandes estime cette couverture en moyenne à 50 %, l’exemple type évoqué est celui des dépenses pour la construction et l’exploitation de crèches et jardins d’enfants…

De nombreux recours juridiques sont déposés par les collectivités. Le Bundesrat vote les lois mais défend les länder, pas les communes (cf note précédente), constat rappelé par les  parlementaires du Bundestag qui nous ont reçu. Ils veulent protéger les collectivités de l’hégémonie des  «rois des länder», d’autant que les réformes prises depuis la réunification ont diminué considérablement les ressources des communes, situation qui pourrait s’aggraver avec les prochaines réformes sur le financement des dépenses sociales.

Concernant le cumul des mandats, la réaction de la parlementaire interrogée a été sans équivoque, «my job is a full time », elle a d’ailleurs été surprise de la question, pas de cumul donc pour les parlementaires.
En Allemagne, être Maire d’une ville (à partir de 5000 habitants, à peu prés) est souvent une profession, le bourgmester est un fonctionnaire élu, dont le salaire varie selon la taille de sa commune. On parle ici réellement de salaire et non d’indemnité (Roland Schaffer nous indiquant qu’il est compris entre 5000 euros (communes ), 8 500 € (villes de 40 000 à 60 000 habitant) et ce jusqu’à 11 000 euros), mais chacun des seize Länder a sa constitution mais l’assemblée municipale, est élue au suffrage universel.
Le Maire en revanche (président du conseil municipal ou président de l’exécutif collégial, élu par le conseil ; bourgmestre, élu par la population ; directeur de l’administration locale, désigné par le conseil…) n’est pas nécessairement issue du conseil municipal et doit souvent satisfaire aux conditions (de diplôme par exemple) requises pour l’entrée dans la fonction publique, la durée de son mandat est identique à celle du conseil et varie de 4 à 6 ans.

De l’endettement

Selon le cabiner Ernst & Young, l’endettement des collectivités, malgré la bonne santé économique du pays, s’aggravera du fait principalement de l’augmentation des dépenses sociales (3,9 % cette année et 3,6 % en 2013).
Selon la Destatis (l’Insee allemand) en 2011 seul l’Etat fédéral a réduit son endettement, la dette des Länder augmentant de 2,5% et celles des autres collectivités locales de 4,9%. L’endettement des communes est passé de 72 milliards € (1991) à 130 milliards € en 2011.

Plus problématique, l’endettement du aux dépenses de Trésorerie. Ce faux nez du déficit des dépenses de fonctionnement qui atteint plus de 30 milliards. Il est désormais structurel.
La mise en place du plan fédéral de retour à l’équilibre (« l’Agenda 2020 ») apparaît difficile, vu le peu de marge des collectivités (autonomie fiscale très faible). Réduire la dette, signifie non seulement ne plus emprunter mais moins agir, paradoxalement les charges augmentent de manière croissante.
De plus la proximité financière des collectivités et des landesbank (banques des länder, ou « caisses communales d’épargne ») a mis beaucoup de ces dernières dans le rouge (spéculation, volume des emprunts consentis …), avec une situation fragilisée par la crise bancaire.
Il faut également rappeler la présence de nombreuses « fondations »  en difficulté, intervenant dans des budgets annexes mais souvent liées à l’activité municipale.

Recettes

La taxe professionnelle, basée sur les profits des entreprises locales, représente la part la plus importante des recettes des collectivités, son taux est déterminé par les communes, mais elle finance également le Land et le Bund. Cette ressource varie selon la conjoncture économique. Il faut souligner que les grandes entreprises ne sont pas les plus contributrices, du fait d’une optimisation fiscale poussée. Cette taxe fait actuellement l’objet d’un débat entre tenants de son maintien et de son renforcement et ceux prônant sa diminution, voir sa disparition.

Montant par habitant : Francfort 1800 euros par habitant, pour Dusseldort, Munich, Hambourg et Stutgart elle se situe entre 1100 et 1300 euros et pour Berlin (10 eme position) elle représente 564 euros  par habitant

En 2011, elle représentait 43,7 % des recettes fiscales totales des communes, soit 33.5 milliards d’Euros. 

l’impôt sur le revenu. La municipalité où le contribuable est domicilié en perçoit 15%. Cette ressoure est relativement stable bien qu’elle dépende des revenus des habitants, en période de chômage son rendement baisse. Les communes n’en déterminent ni l’assiette ni le taux mais supportent sans compensation réelle toutes les réformes fiscales réduisant son montant.

En 2011, elle représentait presque 35 % des recettes nettes fiscales des communes, soit 26.7 milliards d’Euros. 

la taxe d’habitation dont le taux est déterminé par la municipalité qui la perçoit en intégralité. Elle porte sur le foncier non bâti (forêts, terrains et production agricole), et les autres terrains et immeubles. Difficulté principale, l’évaluation et l’actualisation de l’assiette imposable, ce qui rappellera certainement quelque chose aux élus français !

En 2011, elle représentait presque 13% des recettes nettes fiscales des communes, soit environ 11,3 milliards d’Euros

le prélèvement sur l’impôt sur le chiffre d’affaires. Il s’élève à 2,2 % du produit des taxes sur le chiffre d’affaires après déduction d’une partie préliminaire du Bund.

Ce prélèvement rapporte environ 2,9 milliards d’Euros et représente 3,7 % des ressources totales des communes.

Les autres revenus proviennent des taxes locales moins importantes (dites « bagatelles ») dont la taxe sur des chiens (astucieux), sur les spectacles et les redevances affectés aux services dispensées par les communes : nettoyage, assainissement et élimination des déchets, prix d’entrée pour les musées et frais liés à la délivrance d’une carte d’identité.

Ces recettes sont complétés des dotations des Länder, qui représentaient en 2011 environ 30 % des ressources totales des communes.
Le montant dépend d’une loi votée chaque année et d’un certain nombre de variables : nombre d´habitants, dynamisme  économique, niveau de chômage, nombre de jeunes scolarisés, taille de territoire de la commune et bien évidemment du land.
Il existe également des dotations affectées : investissements écoles, services de secours, infrastructures sportives …

Les dotations des länder comprennent une part de péréquation entre communes, et les subventions reçues de l’Etat fédéral. Elles ont représenté en 2011,  environ 20 % des recettes des länder et 35,5 % des recettes des communes.
Une péréquation à la fois « horizontale » (communes d’un même Land) et « verticale » (de la fédération vers les Länder et des Länder vers les communes). Il n’existe aucune relation financière directe entre communes et Bund, tout passe par les Länder via sa dotation globale qui varie d’une année à l’autre, ce qui présente quelquefois certains inconvénients pour les communes.

Le total de ces revenus des municipalités et des villes s’élevait à 191,6 milliards d’Euro en 2011, alors que les dépenses ont atteint 194,5 milliards d’Euros.

Les dépenses

Structure des dépenses 2011 des communes

Charges de personnel : 25%, dépenses sociales : 23%, énergie : 21%, divers : 17%, charges financières : 2%

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Ce tableau de l’équilibre budgétaire des communes entre 1992 et 2012 est sans équivoque. Ces vingt dernières années, seulement six exercices ont été positifs.

A noter, l’augmentation croissante des dépenses sociales qui atteint en 2011 plus de 43 milliards d’Euros et dépassera le seuil des 45 milliards d’Euros en 2012. En 20 ans ce poste aura doublé !
Réduire les charges est un exercice difficile, tant certaines sont incompressibles et d’autres participent à l’attractivité territoriale.
En Allemagne, il existe une concurrence très forte entre les territoires. Une commune sans offre culturelle, installations sportives ou activités de loisirs peut se retrouver dépeuplée en quelques années.

L’investissement des collectivités

L’essentiel des dépenses des collectivités sont axées sur le fonctionnement, seuls 12 % de la dépense locale en 2011 a été consacrées à l’investissement. Ce qui devant les besoins liés aux manques d’infrastructure ou à leur entretien (réseaux de transport, routes …) semble nettement insuffisant.

Les investissements des administrations publiques représentent en France 3,3 % du PIB contre 1,6 % du PIB en Allemagne, les collectivités allemandes investissent moins que leurs homologues françaises. Relativisons cependant ce constat, tant le partenariat public-privé est plus poussé outre rhin, même si l’on assiste à un renversement de tendance actuellement.

En synthèse …

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Cette analyse est partielle, sans nul doute imparfaite, mais peut apporter des informations utiles, surtout à ce moment de l’état de réflexion sur notre organisation territoriale, et notamment sur le poids des régions.

Attention cependant, comparaison n’est pas raison. Il est délicat de comparer la dépense publique locale d’un Etat fédéral (avec toutes ses nuances) à celle d’un Etat centralisateur comme le notre.
D’autant qu’au moment ou ce dernier entreprend un mouvement de décentralisation, inversement l’Allemagne se re centralise peu à peu, pour limiter l’hégémonie des länder, ce n’est pas le moindre des paradoxes.
Ces deux tendances s’expriment mécaniquement par une augmentation de la dépense locale en France et une diminution de cette même dépense en Allemagne.

Notre pays connait évidemment un problème de productivité de son économie et de déficit de l’Etat, c’est d’actualité et de notoriété publique.
L’Allemagne doit résoudre celui du déficit de ses collectivités et trouver les réponses adaptées à un problème sociétal lourd de conséquences sur le long terme, celui de sa démographie, du vieillissement de la population et de l’augmentation croissante des dépenses sociales.
Elle doit parallèlement ajuster structurellement le budget de ses collectivités pour résoudre non seulement ce problème récurrent de déficit, c’est le rôle dévolu à « l’agenda 2020 », mais également afin de préserver des capacités financières lui permettant d’investir dans ses infrastructures. La vitalité et la productivité d’un territoire passe également par là.

Quatre problématiques similaires, me semble t’il, se posent à nos deux pays :

  • le déficit global (Etat et collectivités), quelle réponse y apporter ?
  • l’efficience de l’action publique,
  • l’augmentation croissante des dépenses sociales,
  • le financement nécessaire des infrastructures du pays (création comme entretien, notamment dans les transports et les réseaux), qui pose la problématique du cout global et du financement de l’investissement lourd sur le long terme.

Chacun doit y répondre, sans doute avec des voies différentes, qui tiennent compte des spécifictés des uns et des autres, mais il est sans doute possible de trouver des points de convergence, des effets leviers et d’intégrer enfin un autre territoire à la réflexion territoriale, l’Europe, car c’est aussi un territoire partagé …