Carte postale de Berlin : « du territoire » (1/2)

bundestag.jpgJ’ai participé avec une délégation de Maires Seine et Marnais à un voyage d’études à Berlin destiné à observer de plus prés l’organisation territoriale du pays, thématique très en vogue actuellement. Cette visite riche en enseignements a permis de confronter certaines idées reçues sur les avantages pré supposés du «modèle allemand» au principe de réalité, et de mieux comprendre les particularités de nos villes jumelées (pour Trilport, Engen).

Une visite placée également sous le signe de l’amitié franco allemande dont nous célébrerons d’ici quelques semaines le 50 ème anniversaire. C’est en effet le 21 janvier 1963 que Konrad Adenauer et Charles de Gaulle ont signé le traité de l’Elysée,  véritable point de départ de l’histoire d’amitié entre nos deux pays qui, malgré quelques turbulences conjoncturelles, se poursuit.
Comment ne pas évoquer l’émotion qui m’a étreint lorsque j’ai longé des vestiges du Mur de Berlin ou lors de notre visite au stade olympique de Berlin devant la cloche des jeux olympiques de 1936, de sinistre mémoire, où les ombres d’Hitler, de Goebbels se confondaient avec celle beaucoup plus sympathique de Jesse Owens.

Suite à ce séjour, une réflexion d’ordre général s’impose. Il apparaît délicat de dissocier et de déconnecter l’organisation territoriale d’un pays de son histoire, tant elle en est la résultante. Cependant l’histoire par définition n’est pas figée, elle évolue au gré des évènements ou des circonstances et rappellons que nous avons désormais une histoire commune à écrire, celle de l’Europe.

Nous avons été accueilli par Roland Schäfer, Président de l’Association des villes et municipalités allemands (petites et moyennes communes d’Allemagne ou Deutscher Städte- und Gemeindebund) et par une délégation de trois députés du Bundestag (CDU, SPD, LINKE) membres du groupe d’amitié franco allemand. Nous avons pu ainsi disposer de deux points de vue différents : l’un issue du représentant des communes, l’autre de ceux du parlement, nous avons pu ainsi toucher du doigt certaines problématiques ou conflits d’intérêt.
Nous reviendrons dans une prochaine note sur la situation budgétaire des communes allemandes, pour le moins contrastée, la règle d’or n’étant semble t’il pas la règle la mieux respectée par les collectivités d’outre Rhin, mais avant d’aborder  l’aspect budgétaire :

Quid de ce « mille feuille territorial » dénoncé par certains politiques ou médias nationaux,  est il réellement une spécificité franco française ? …

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Si l’Allemagne est un pays fédéral, elle le doit avant tout à son histoire, ou plutôt ses histoires, tant ce pays été tiraillée entre Bavière, Saxe, Autriche et Prusse, à des conflits tant linguistiques, que politiques ou religieux lors des siècles précédents.

Pourtant l’idée de Confédération, ou de Fédération, ne date pas d’hier; signalons que la Confédération germanique (Deutscher Bund) regroupant 39 États a vu le jour dés 1814 ! L’unité nationale du pays s’est bâtie progressivement au 19e siècle sous la houlette de la Prusse.
Les deux conflits mondiaux du siècle dernier (1914-18 et 1939-45) ont cependant considérablement influé sur les périmètres et l’organisation politique d’un pays, qui à un moment donné a perdu et son autonomie et ses frontières historiques.

Une organisation territoriale, fédérale avant toute chose

Le fédéralisme allemand est proche du sens étymologique du mot latin «foedus» qui signifie « alliance » et « contrat »; concrètement, plusieurs états (lands) se sont alliés afin de constituer une fédération (le Bund) dans laquelle chacun conserve son identité et sa personnalité, un principe intangible et irrévocable rappelé par la Loi fondamentale (la « Constitution » allemande). La traditionnelle séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire («séparation horizontale») chère à Montesquieu se double ici d’un partage entre Bund et Länder («séparation verticale) destiné à prévenir tout abus de pouvoirs. Les allemands ayant retenu de leur histoire récente les enseignements de la conquête du pouvoir par les nazis.

L’organisation suite à la réunification d’octobre 1990, repose sur un Etat fédéral (le Bund) doté d’une assemblée « le Bundestag » qui vote les lois et élit le Chancelier Fédéral, 16 länder puis, selon les lands, d’unions territoriales (Landschaftsverban), districts gouvernementaux (Regierungsbezirke) ou ruraux (Landkreise) et enfin de 12 226 communes (Gemeinden).
Nous sommes également en présence d’un «mille feuilles» dont la déstructure apparente répond de fait à l’histoire de chaque land. L’autonomie de chacun est réelle, y compris sur le plan institutionnel et démocratique, il dispose de sa propre constitution, d’un Parlement élu et d’un gouvernement. Le land est souverain en matière de culture (enseignement, théâtre, musique, etc.), d’organisation des services de police, de droit communal et des compétences qui peuvent être élargies par le Bund (enseignement supérieur, aménagement du territoire, protection de la nature et conservation des sites naturels …), la loi fondamentale n’ayant pas délimité au prélable strictement les domaines législatifs.
Chaque land peut légiférer si l’État fédéral l’autorise, doit faire respecter les décisions de l’Etat fédéral et a la capacité de lever l’impôt.   Bund et Länder se contrôlent mutuellement, mais doivent exercer une action commune pour le bon fonctionnement du pays. Pour prévenir ou limiter tout problème, la Loi fondamentale a créé un contrepoids, le Bundesrat ou « assemblée des länder »; composé de membres de gouvernements des Etats, il constitue un véritable trait d’union entre Fédération et Länder, défendant les intérêts de ces derniers face à l’état fédéral. Rôle principal : concilier intérêt des land et intérêt général, cette assemblée influe ainsi sur l’espace constitutionnel et politique du pays.
Si le Bundestag représente le peuple, le Bundesrat représente les länder (« Bund » signifie association, et « rat », le conseil), mais son pouvoir est limité par rapport au Bundestag. Les représentants des Länder ne sont pas élus, mais désignés par les gouvernements régionaux, selon le poids démographique de chaque land et une répartition fixée par la loi fondamentale qui donne un poids politique plus élevé aux petits länder. Le Bundesrat ne peut ni s’opposer, ni amender les lois ordinaires, mais donne obligatoirement son accord pour les lois constitutionnelles ou celles concernant l’autonomie des Länder (compétences entre pouvoir fédéral et Länder notamment) il dispose même d’un droit de véto.   Enfin les 12 226 Gemeinden (communes) constituent l’unité de base de l’organisation territoriale du pays. Elle sont dirigées par un conseil d’élus et un exécutif : le maire, qui, suivant le Land est élu par le conseil municipal ou directement par les électeurs de la commune.
La Loi fondamentale garantit le droit des communes de gérer, sous leur propre responsabilité et dans les limites fixées par les lois les affaires de la communauté locale. Les communes interviennent  dans de nombreux domaines, gèrant les politiques publiques décidées par le gouvernement fédéral ou les Lander dans le cas ou ces derniers, ce qui est le plus fréquent, leur demandent de le faire : jeunesse, écoles, santé publique, action sociale …   En cas de contentieux, c’est au Tribunal constitutionnel fédéral (Verfassungsstreit) de statuer. Ce dernier contrôle l’application de la Loi fondamentale et le respect des droits fondamentaux qui y sont énoncés.  Il veille à la séparation des pouvoirs, arbitre les contentieux sur les compétences entre communes / Land ou Land / Etat Fédéral. Le Tribunal est également juge des élections et peut même interdire des partis politiques dans le cas ou ces derniers sont susceptibles de mettre en danger le système issu de la constitution.
Ce tribunal est constitué de seize juges, nommés pour un mandat non-renouvelable de douze ans, la moitié étant issue du Bundestag l’autre du Bundesrat.    

De l’autre coté du miroir  

Les députés qui ont reçu notre délégation (1 CDU, 1 SPD, 1 Linke) ont expliqué leur mode de fonctionnement. Soulignons qu’en Allemagne le cumul des mandats n’est pas autorisé pour les parlementaires, notre question sur ce sujet a d’ailleurs étonné une de nos interlocutrices qui nous a précisé qu’être parlementaire exige « un full time ».

Les parlementaires réunis ont fait état de tensions naturelles entre Bund et Lander, chacun s’efforçant d’affirmer ou de renforcer, autant que possible, sa position et d’étendre ses droits et sa capacité d’action. Une des préoccupations actuelles des députés du Bundestag est de protéger au mieux les communes, des lois fédérales comme des länder (les « rois des lands »). Ce qui n’est pas du fait de la loi fondamentale trés facile. C’est pourquoi ils reçoivent de plus en plus les  associations de Maires, ont créé une commission parlementaire spécifique. Leur objectif,  défendre au mieux la cellule de base de la démocratie qu’est la communes en préservant leur capacité d’action, notamment du fait des conséquences négatives liées aux compétences nouvelles décernées sans contrepartie financière suffisante, notamment dans le cadre de la politique sociale qui exige de plus en plus de moyens tant financiers qu’humains.

Un principe s’impose de plus en plus selon eux, celui de « connexité ». Chaque nouvelle demande d’action aux communes (qu’elles proviennent de l’Etat Fédéral ou des landers) exige que l’équilibre financier des communes soit garantie.

« art. 104a en tête du titre X de la Loi Fondamentale-: la charge financière incombe à celui, Fédération ou Land, qui porte la responsabilité de la mise en ouvre administrative de la mission »

Il nous ont indiqué qu’il est essentiel d’aboutir à un équilibre harmonieux entre le pouvoir central et les lander et qu’il soit le plus efficient possible pour le pays. Un de leur constat est que la tradition décentralisatrice très poussée du pays peut être à la source de certains échecs auquel il faut répondre au niveau fédéral.

L’exemple qu’ils ont choisi est celui de l’abandon du suivi des universités par l’Etat, au bénéfice des lander. Il a eu des conséquences négatives sur l’efficience de la formation supérieure : disparités territoriales entre les länder selon leur richesse et importance des moyens financiers à déployer. L’évolution vers un modèle plus compétitif, focalisé sur l’excellence et la concurrence des territoires (notamment afin de tenir compte du classement de Shanghai) nécessite désormais un pilotage national : projets de recherche, bâtiments, infrastructures.
Le Bund a passé un accord avec les Länder sur l’ensemble du système d’enseignement supérieur permettant ainsi de renforcer la quantité et la qualité des formations proposées à des étudiants de plus en plus nombreux.

La dette des lander évolue selon le degré de richesse de chacun. La Bavière est au regard de sa population, le Land le moins endetté du pays après la Saxe. La dette par habitant ne représente plus désormais que 2.196 euros par habitant en Saxe et 3.380 euros en Bavière, ce qui comparé à d’autres lander ou villes est limité. La dette de Brème, au nord de l’Allemagne représente 28.638 euros par habitant, celle de Berlin, 17.651 euros.(données de la Destacis).

Comparaison n’est pas raison, mais …

Contrairement à la géopolitique que l’on m’a enseigné à l’école, basée sur l’Europe de Yalta, la chute du mur de Berlin a tout bopuleversé. Les frontières des pays ont évolué, notamment en Europe de l’Est et dans les Balkans, à un point tel que l’Europe de 2012 est plus proche de celle de 1914 que de celle de 1950.
Les frontières « historiques légitimes » se rappellent toujours, un jour ou l’autre, au bon souvenir des politiques et font le plus souvent fi des nouvelles frontières diplomatiques en voulant revenir à un état plus traditionnel, quelquefois malheureusement dans le bruit, les larmes et la douleur.

Le fait pour l’Allemagne d’être un état fédéral, dans son histoire, ses racines et ses gênes, ce pays s’est véritablement constitué autour du fédéralisme, influe sur l’organisation territoriale mis en place. C’est un paramètre à prendre en considération, avant de vouloir reproduire un tel modéle sous d’autres latitudes, notamment dans des pays de culture plus centralisatrice.
Le nombre de « couches territoriales » en Allemagne, n’est pas si éloigné de celui de notre pays, mais l’essentiel n’est pas là … L’Allemagne a institué un véritable statut des élus, être Maire y est un véritable métier, reconnu, accorde une véritable reconnaissance aux parlementaires, le cumul des mandats notamment pour les députés n’est pas autorisé car incompatible en charge de travail, mais ces derniers ont un rôle important dans la vie de leur pays.

Ceci étant, le pouvoir est principalement détenu par les lander, malgré l’Etat Fédéral et quelquefois également malgré les communes. Une situation dans laquelle, les politiques publiques doivent intégrer des inégalités territoriales profondes et trés fortes entre les différents lands, et dans un même land entre les communes (ce qui est le cas chez nous également) ce malgré la péréquation instaurée. L’Allemagne reconnait le fait métropolitain puisque des communes, sont des états à part entière. Il apparait cependant que les compétences sont trés disputées entre Etat et lander et qu’une certaine défiance existe entre les différents acteurs territoriaux.

Pourtant, certaines évolutions sont en cours. Les défis auxquels nous devons répondre des deux cotés du Rhin, notamment au niveau des politiques énergétiques, environnementales ou sociales, présentent beaucoup de similitudes et nécessitent, sans doute, des réponses sinon communes, du moins voisines …

Il est donc intéressant de réflechir sur les évolutions à engager, ici comme là bas …

Lander

  Il existe 16 lander   Bade-Wurtemberg (Stuttgart), Bavière (Munich), Berlin, Brandebourg (Potsdam), Brême, Hambourg, Hesse (Wiesbaden), Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (Schwerin), Basse-Saxe (Hanovre), Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Düsseldorf), Rhénanie-Palatinat ( Mayence), Sarre (Sarrebruck), Saxe (Dresde), Saxe-Anhalt (Magdebourg), Schleswig-Holstein (Kiel), Thuringe (Erfurt).   Berlin, Brême, et Hambourg sont des ‘villes-Länder’ (en allemand Stadtstaat). Pour Hambourg et Brême, il s’agit d’un héritage du passé commercial de ces villes (voir Hanse). Elles sont des Länder à part entière.