Des mobilités inclusives pour tous les territoires

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Assises de la mobilité #3

Urbanisme et mobilités vont de pair depuis que nos ancêtres se sont sédentarisés et construit des villes à leur dimension, à pas d’homme.

Ainsi a émergé la « ville des proximités», dont les centres anciens nous restituent toutes les aménités :  bourgs à l’intensité urbaine marquée, aux mixités sociales, générationnelles et fonctionnelles assumées et partagées. Le paysage urbain n’a que peu bougé durant des siècles, la révolution industrielle et l’émergence des transports collectifs (train, métro, tramway), l’implantation d’usines en périphérie a alors bousculé cet ordonnancement.
Il faut attendre l’irruption de la voiture individuelle pour voir cependant tout basculer. C’est un véritable schisme qui se produit avec le développement de la « ville longue distance » représentative de « l’american way of life », mono fonctionnelle, consommatrice à outrance : ressources, foncier, énergie, temps … Ce modèle s’est depuis multiplié à l’infini.

C’est pourquoi aujourd’hui on ne peut « percevoir » la cohérence d’un territoire qu’en alignant plusieurs focales et en intégrant à sa grille de lecture différentes échelles : bâti, quartier, commune, agglomération, bassin de vie …
Fait que certains élus n’ont toujours pas intégré, le rayonnement d’un territoire ne dépend plus de l’importance du périmètre ou de son passé glorieux, mais de bien d’autres paramètres, dont la qualité et l’intensité des relations développés intra muros et vers l’extérieur. Ces liens permettent à chaque échelon de fonctionner dans sa singularité et ses complémentarités, qu’elles soient servicielles (électricité, téléphonie, réseaux … ) sociales, économiques ou culturelles. Les mobilités en sont le coeur, pour être réellement « inclusives » elles se doivent de concerner tous les usagers et de ne laisser personne sur la route.

Dans le métabolisme urbain du XXIeme siècle, c’est bien la qualité et la tonicité de sa « capillarité » qui alimente toutes les dynamiques d’un territoire.

Condition sine qua non pour améliorer les mobilités : agir en premier lieu sur les réseaux structurants du quotidien reliant périphérie et capitale régionale. Leur état de dégradation est tel que si la donne ne change pas radicalement, le pire est à craindre.

Par commodité et être en capacité d’aborder la question des mobilités inclusives, notamment dans les territoires péri urbains et ruraux, je suis parti du postulat que la situation était enfin opérationnelle. Il est bon de rêver de monde meilleur, surtout lorsque l’on vit dans la grande couronne et qu’on est usager de la ligne P du Transilien.

La trinité « métro, boulot, dodo » a illustré durant des décennies les déplacements pendulaires entre périphérie et ville, mais n’est plus aussi représentative de la réalité quotidienne. 100 000 citadins font chaque année le choix de s’installer en secteur péri urbain et contribuent à ce bouleversement. Tendance de fond qui se poursuit et s’amplifie, transformant en profondeur la réalité sociologique du pays.
Autant dire qu’elle a une incidence directe sur la nature des besoins en mobilités. Habiter l’espace péri urbain ou rural, impose de se déplacer fréquemment, cette capacité conditionnant tous les actes de la vie sociale : accès à l’emploi, école, médecin, courses, la culture, les loisirs … 

C’est une obligation vitale qui induit une transformation profonde des usages mais aussi des rythmes urbains, ceux ci se retrouvent de plus en plus segmentés et étalés dans le temps (soirée, week end). En Ile de France par exemple, le développement de la carte Navigo à tarif unique (titre de paiement unifié) a considérablement dopé es fréquentations hors heures de pointe, notamment en soirée et lors des week ends .

Situation qui impose de revoir l’ensemble des schémas traditionnels, grilles de lecture ou champs de compétence des différents opérateurs; s’y ajoute les mouvements tectoniques qui ébranlent la société : augmentation du nombre de seniors, développement des espaces urbains et ruraux, segmentation des temps de travail, individualisation accrue, nomadisme, révolution numérique, réchauffement climatique …

Autant de paramètres qui ont une incidence directe sur les besoins et l’offre en mobilités. Les réponses simples et quelques peu binaire d’antan ne correspondent plus à une réalité devenue beaucoup plus complexe.

Bienvenue dans la société complexe …

Un trajet, pour être réellement inclusif, se doit d’être pris de porte à porte, dans sa globalité, et d’être accessible à tous, quelque soit l’âge ou la nature d’un handicap éventuel. Impératifs qui imposent de mettre en place des solutions adaptées aux formes urbaines des territoires pour les trajets entre domicile et point de contact au réseau structuré (gare routière ou ferrée).

Les différents étapes composant un trajet se doivent de s’imbriquer de la manière la plus simple et « naturelle » pour l’usager. Exigence absolue : s’affranchir de la complexité croissante des systèmes mis en place ou de la multiplication des acteurs intervenant dans la chaine des mobilités, c’est au système désormais de s’adapter à l’usager. Evidemment cette simplicité n’est qu’apparence, tant elle se révèle complexe à mettre en oeuvre. Il s’agit, ni plus, ni moins, que de fluidifier les ruptures de charges, rendre compatible les pratiques de chaque opérateur, unifier toutes les problématiques relatives aux différents services à activer, au paiement ou à l’information usager. C’est le réseau qui fait sens et s’impose à tous ; sa qualité dépend de sa capacité à rendre les mobilités réellement inclusives.

Trois mots clés sont à la base de cette mutation : Interopérabilité, convergence, multimodalité.

Rendre inclusives les mobilités péri urbaines et rurales

Rendre les mobilités inclusives est nettement plus complexe dans la grande couronne et l’espace rural, territoires diffus par nature, que dans le tissu urbain. Ce dernier bénéficie d’un effet masse / densité / proximité indéniable qui simplifie singulièrement la donne notamment au niveau financier.

Trop longtemps les innovations et avancées dans le domaine des mobilités n’ont concerné exclusivement que les seules métropoles ou grandes villes et leurs habitants.

Le constat est clair, c’est de plus en plus la demande en mobilités qui créera l’offre. Nous passons progressivement d’un modèle « top down », descendant, à un modèle « bottom up », ascendant, avec pour fondamentaux les concepts de partage et de travail collaboratif, valeurs qui à priori ne font pas partie de l’ADN initial des opérateurs traditionnels.

Pour aboutir à une « capillarité » satisfaisante entre point de contact au réseau structuré (gare routière ou ferré) et territoires environnants, il est essentiel de bâtir de véritables stratégies locales intègrant spécificités, contraintes, potentialités du bassin de mobilités et des modes de transport utilisés. Les pôles multimodaux d’échanges, qu’ils soient ferrés ou routiers, se doivent d’accompagner le développement des territoires, car c’est d’eux que dépendra la capacité de se déplacer des nouveaux habitants !

Encore faut il anticiper les (r)évolutions urbaines pour faciliter le déploiement des futurs réseaux de transports.

Piste de solution 1 : Transformer chaque plate forme multi modales d’échanges (gare routière et ferrée) en clé de voute d’un véritable écosystème local de mobilités. La maîtrise foncière autour des gares, des axes, de certains point clés, constitue un enjeu stratégique que les élus sous estiment trop souvent, la gestion du court terme et de l’urgence l’emportant sur une réflexion stratégique à moyen et long terme. Tout part du site diffuseur, il faut privilégier une vision prospective afin de faire évoluer dans le futur le site si besoin.

Un focus particulier doit être apporté aux gares routières, particulièrement maltraitées. Elles constituent des diffuseurs de mobilités qu’il convient de développer ou de créer, leurs usagers méritent qualité de service ou d’accueil, confort et respect.

Piste de solution 2 : Privilégier une vision « Grand Large » afin d’irriguer, à partir de sites diffuseurs (gares), tous les territoires d’un bassin de mobilités, qui peut rassembler plusieurs intercommunalités et d’interconnecter les bassins de mobilités entre eux.

Une réflexion sur la gouvernance de chaque pôle diffuseur de mobilités doit être menée, tant fréquemment il dessert sinon plusieurs bassins de vie, du moins plusieurs agglomérations. Il constitue à ce titre un élément clé de la chaîne de mobilités de chaque ensemble intercommunal. Il faut en tenir compte dans les prévisions d’aménagement et de fréquentation, surtout lorsque les territoires sont en plein développement. Chaque opération d’aménagement se traduisant par une hausse de la fréquentation.

Piste de solution 3 : Mettre en place des autorités organisatrices de transports ayant la capacité de porter une vision globale, fédérer les acteurs impliqués, les mettre en mouvement grâce à un dialogue constructif, coordonner les différentes échelles de temporalités et mettre en place et en oeuvre les actions planifiées.

Les « Contrats de Pôles » dispositifs administratifs actuels visant à transformer des gares mono fonctionnelle en pôles multimodal d’échanges sont de véritables usines à gaz. Il est inconcevable que l’inertie de certains opérateurs bloquent des transformations essentielles au développement de nos territoires qui mettent plus de 15 ans à sortir de terre ! Il faut que les autorités organisatrices de transports, en relation directe avec les élus et les usagers disposent des moyens juridiques, logistiques, administratifs et financiers pour accélérer de telles opérations et diversifier ou adapter si besoin l’offre en mobilités qui doit se mettre au diapason de territoires en constante évolution.

Piste de solution 4 : Déployer et en place de nouveau réseaux de bus. Ce déploiement doit comprendre la création de nouvelles gares routières afin de développer un maillage complétant celui du réseau ferré. Ses avantages sont multiples : souplesse, agilité, émission de GES du fait d’une mobilité plus propre (gaz naturel renouvelable, hydrogène, électricité …) et adaptabilité à la demande.

Piste de solution 5 : Mettre en place le T.A.D (comme Transport A la Demande) du XXI eme siècle. Il s’agit de privilégier un modèle « public » agile et vertueux et d’apporter une réponse institutionnelle régulée et encadrée aux usager, éloignée de toute ubérisation dérégulée. L’offre doit être bâtie à partir de concepts innovants. Le potentiel de croissance de ce mode de transport est réel au regard des spécificités des territoire et de l‘évolution des usages en mobilités

Pour être efficient et rentable, il est impératif que ce mode de transport réponde à la spécificité de chaque territoire. Un diagnostic fin doit être mené, il faut plus étudier les conditions de reproductibilité que faire du copier / coller. Autre avantage, le TAD peut constituer une phase transitoire à la création de lignes régulières.Pour être opérant il nécessite évidemment une plate forme informatique, sujet transversal s’il en est que nous abordons dans le prochaine et dernier billet. La qualité de la plate forme, du portail internet ou des applications mobiles sont des éléments cruciaux de sa réussite. Nous en reparlerons dans le prochain billet.

Piste de solution 6 : Proposer un panel de services autour de la voiture individuelle et accompagner la mutation des usages.

Encourager les pratiques collaboratives et citoyennes : si l’auto partage dans les secteurs non denses n’apparait pas être la réponse la plus adaptée, à contrario le co voiturage l’est. Il faut donc le faciliter : création de plate forme de mise en relation informatique (nous y reviendrons), labellisation du système mis localement en place par l’autorité organisatrice de transport (cahier des charges : traçabilité, sécurité des personnes, qualité des services vie la géo localisation, politique tarifaire et billetique …)., emplacements réservés sur les parkings, tarification préférentielle …

Mettre en place progressivement des alternatives concrètes et opérationnelles à l’utilisation de la voiture individuelle via une offre « route » intégrée mixant bus et TAD selon les besoins locaux.

Deux autres pistes, utilisées déjà dans l’espace urbain, peuvent coller à la réalité du terrain de certains territoires péri urbains mais nécessitent des aménagements et une véritable réflexion urbaine relayée dans les documents d’urbanisme.

Piste de solution 7 : Promouvoir la ville courte distance en rapprochant l’habitat aux points de connexions au réseau : gares (routières ou ferrées) ou simplement point d’arrêt (bus, TAD …). C’est en travaillant à la source de l’offre que l’on permettra aux usagers de disposer d’alternatives crédibles à l’usage de la voiture individuelle.

Piste de solution 8 : Développer les mobilités douces. La topographie de certains de nos territoires les rendait jusque là sélective et ouverte aux seuls passionnés. L’apparition des Vélos à Assistance Electrique et des engins de déplacement personnel (trottinettes électriques, Giro roues, gyropodes, hoverboards …) changent singulièrement la donne.

Trois impératifs cependant pour favoriser leur essor, pour l’instant limité à la sphère urbaine, il faut le reconnaître : créer et mettre en place des solutions de parkings spécifiques sécurisées et équipées de prises destinées à les alimenter), améliorer encore compacité et performances du matériel et aménager pistes cyclables ou accès en voirie partagée afin de garantir la sécurité des usagers.

Concernant les micro mobilités, des clarifications sont toujours attendus sur le cadre légal d’utilisation, pour ce qui concerne notamment le partage de la voirie : trottoirs, pistes cyclables où chaussée ? Cette question n’est pas neutre lorsque l’on rappelle que ces petits bolides atteignent souvent plus de 30 km / heure, ce qui n’est pas sans poser de sérieuses questions de sécurité pour leurs utilisateurs mais aussi les piétons. Le partage apparaît comme une piste à développer à l’instar du Velib’ avec la création de consignes dans ou à proximité des gares

Aux infrastructures traditionnelles se superposent aujourd’hui de nouvelles couches numériques et informationnelles (données, flux, logiciels et services) auxquelles les « réseaux sociaux », la géo localisation, les de synchronisation entre appareils mobiles apportent une nouvelle dimension.

La vague de fond numérique n’en finit pas de bousculer tous nos repères et fait entrer le petit monde des mobilités dans l’ère de l’internet des objets, de l’intelligence artificielle, de la Data, des assistants virtuels, de la réalité augmentée … Autant de signaux faibles initiaux devenus depuis de véritables tendance sociétales qui alimentent la révolution numérique et composent un bouquet des futurs possibles aux nuances apparemment infinies.

C’est autant de potentialités qui ouvrent des perspectives nouvelles, attirant inévitablement de nouveaux acteurs issus d’autres univers et horizons que celui des transports.