Education : « Toujours en mouvement est l’avenir »

 

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« Le feu qui semble éteint souvent dort sous la cendre ;
qui l’ose réveiller peut s’en laisser surprendre ».
Pierre Corneille

 

Le monde est en mouvement, mouvement qui ne s’arrêtera pas de si tôt et devrait même s’accélérer dans les prochaines années. Paradoxalement notre système éducatif donne l’impression d’être comme à l’arrêt, pire en décalage ; si durant des années, il a répondu aux demandes d’un pays en pleine croissance : généralisation de l’accès à l’enseignement secondaire, multiplication du nombre d’étudiants dans le supérieur, diminution du «différentiel d’instruction» entre élèves selon leur origine sociale, ce modèle a vécu.
Le nombre de jeunes sans qualification et ne trouvant pas d’emploi est considérable, jamais l’école républicaine n’aura été aussi inégalitaire ; l’ascenseur social du pays  est bel et bien en panne. Dans le passé un jeune issu du système scolaire pouvait espérer trouver rapidement un métier pour la vie et progresser dans la même entreprise, autant de perspectives qui ont disparu.
Plus de 130 000 jeunes sortent sans solution chaque année, et 65% des élèves d’aujourd’hui exerceront demain un métier qui n’existe pas encore ! Encore leur faut-il trouver un emploi !

Si le système éducatif est le reflet de la société, force est de constater que le miroir est brisé, l’école nous renvoi toujours l’image du monde « monde d’avant ». Ses repères ne correspondent plus à une société ou l’horizontalité a supplanté la verticalité et dont les  fondations reposent de plus en plus sur des « nuages » ! Nous vivons une phase de transition entre deux mondes,  bouleversement qui se répercute sur l’enseignement, qui de masse devient quasi individualisé, privilégiant désormais un modèle plus qualitatif que quantitatif.
Si auparavant chaque élève devait s’adapter aux enseignements existants, c’est au système éducatif de s’adapter désormais. Pourtant ses structures sont toujours les mêmes !

L’école ne peut plus se permettre d’être « hors sol », devenu un véritable éco système, elle doit s’ouvrir au monde extérieur auquel elle est connectée, au propre comme au figuré.  La société émergente fait appel à des aptitudes particulières à maitriser que ce soit dans le monde réel ou virtuel d’Internet et des réeaux sociaux. Au cœur de cette mutation qui transforme en profondeur la planète, les qualités relationnelles prennent de plus en plus d’importance.

C’est un coup de colère froide, suite à une divergence de fond avec des acteurs institutionnels, perdus dans leurs certitudes, éloignées des contingences matérielles du terrain et de la réalité partagée des élèves et des professeurs, qui a déclenché cette réaction et m’a amené à proposer des pistes d’action.
Chef des travaux en Lycée Professionnel depuis des années, le décalage grandissant entre l’affichage politique, les exigences théoriques de l’institution, la déconnexion de responsables éducatifs et les besoins réels et concrets des élèves notamment des plus défavorisés comme le malaise grandissant de beaucoup trop d’enseignants, m’a conduit à mener une réflexion relative à l’acquisition des habiletés sociales et numériques. Travail qui s’est étoffé en cours de route, notamment autour des exigences et opportunités pédagogiques spécifiques induites par la société numérique.
Afin que chaque jeune formé (mais en ce domaine la jeunesse a t’elle des limites ?) soit en capacité de s’épanouir dans la société d’aujourd’hui comme de demain. 

Soulignons tout de même un paradoxe, et de taille. Si la raison d’être et l’utilité de l’Éducation Nationale est de former les jeunes générations, elle n’assure pas (n’assume pas ?), ou si peu, la formation continue de ses enseignants. Je ne veux pas abordons pas la question de la formation initiale, à priori inutile aux yeux des gouvernements successifs de l’ère Sarkozy.
Former les enseignants sur le fond, pas seulement sur la forme, est pourtant un passage obligé incontournable pour chaque pays afin qu’il s’adapte aux mutations de la société, de ses exigences, des besoins ressentis sur le terrain et surtout de l’attente légitime des français.
Faut il rappeler qu’une des missions majeures d’un enseignant est d’être transmetteur de repères, encore faudrait il que les siens puissent être réactualisés !

Aussi personne ne devrait s’étonner que beaucoup d’enseignants s’interrogent aujourd’hui sur le sens à donner à leur métier ?

Autant il n’est plus possible de s’affranchir de l’évolution de la société et de l’incidence évidente du numérique, d’internet et des réseaux sociaux sur les modes de pensée, autant l’enseignement ne doit pas renoncer à son ambition pédagogique première : former des citoyens éclairés disposant des capacités de discernement, de penser par eux-mêmes, dotés d’un esprit critique.
Encore devons nous tenir compte du changement de mode de pensée induit par l’émergence d’une société de plus en plus digitale.

Une grande part de la crise culturelle, intellectuelle, spirituelle et identitaire que notre société traverse, provient de la mutation en cours et des remises en cause successives qu’elle entraine, car comme le dit si bien Yoda  : « Toujours en mouvement est l’avenir »

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« Aujourd’hui, nous recevons trois éducations contraires ou différentes :
celle de nos pères, celle de nos maîtres et celle du monde.
Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières,
chose que les anciens ne connaissaient pas »
Montesquieu, De l’esprit des lois 1748

L’heure est aux  grandes métamorphoses.

La pyramide des besoins chère au psychologue américain Abraham Maslow est non seulement à revisiter mais à réactualiser à l’aune de la réalité d’aujourd’hui. La grande majorité de nos élèves n’a connu ni guerre, ni privation, ni épidémie , ce qui est heureux ! Disposer au quotidien de quoi manger, se loger et s’habiller ne constituent plus pour eux un besoin prioritaire mais simplement un dû.
L’école forme, bien malgré elle, de moins en moins  de citoyens éclairés, mais à l’opposé, de plus en plus de consommateurs passifs et frustrés, « addicts »à l’immédiateté. Ils sont trop souvent en mode « assisté », leur énergie et priorités dirigées principalement sur les besoins liés à l’estime, à l’accomplissement personnel et aux relations avec autrui.

 Pour être en capacité, a minima, de « dialoguer » avec ses élèves, l’enseignant doit avoir la pleine maitrise des outils et méthodes d’aujourd’hui. Sa mission demeure cependant plus ambitieuse : faire acquérir les fondamentaux structurants dont les élèves ont besoin : distanciation face au vertige informationnel, nécessité de construire repères et balises « spatio temporelles », acquisition des habiletés sociales …
Les générations « social native » sont immergés dans un monde interactif multidimensionnel dont ils utilisent les outils inconsciemment le plus souvent. Beaucoup n’ont pas acquis les compétences structurantes minimum leur permettant d’avoir une quelconque distanciation ou de se forger une pensée critique. L’informatique donne l’impression en apparence, de «réussir sans comprendre » du fait du développement d’interfaces intuitives et des avancées de l’Intelligence Artificielle. Sensation pour le moins trompeuse qui donne l’illusion de dominer ce qui en fait vous domine.

 Beaucoup d’internautes confondent « désir de savoir » et « désir d’apprendre ». Le temps nécessaire pour maitriser les outils ou les méthodes peut sembler une perte de temps effective, pourtant cet « arrêt sur image » demeure le corollaire indispensable à l’acquisition de l’autonomie numérique et à leur émancipation future.
Encore leur faut-il éviter certains écueils liés directement au monde numérique et à son impact auprès de générations  ne disposant pas de certains repères pourtant utiles.

Privilégier l’exigence de vérité et de perfection

 Si autrefois la difficulté résidait dans la rareté de l’information et l’unicité du format, elle provient aujourd’hui du trop plein informationnel  et de la multiplicité des formats utilisés et proposés : écrits, audio, vidéo, animations …  Dans le domaine de l’information, plus l’offre augmente, plus les inégalités se développent et se perpétuent. Trop de nos élèves limitent leurs recherches à la première information trouvée, généralement la plus accessible, qui prend le pas dés lors sur toute autre information à recouper ou à vérifier, par facilité ou « paresse intellectuelle ».

Peu ont conscience que pour trouver une information pertinente, il  faut fixer au préalable le cadre de ce que l’on cherche, en clarifier l’objet, disposer des clés permettant d’y accéder et ensuite, chercher, chercher encore et toujours chercher …

Le numérique intègre des problématiques globales, que ce soit au niveau social, culturel, économique et politique, mais aussi vis à vis de l’éthique et de valeurs plus philosophiques. Il présente également quatre écueils dont nous devons nous méfier.

Dominer et maitriser l’immédiateté

 Notre société est conditionnée par l’instantanéité, la connexion permanente et continue, la zapping, autant de postures aux conséquences multiples : quasi disparition de la notion de temporalité (« prendre le temps de »), appauvrissement de la capacité d’analyse, dépendance à des médias se consommant en flux continu avec lesquels l’utilisateur est en connexion permanente. Médias « social native » conçus pour être partagés le plus simplement, le plus rapidement, le plus globalement.

L’école doit rester plus que jamais un espace de décélération pour cela elle doit retrouver le chemin d’une nécessaire (re)ritualisation. Il faut substituer à la logique consommatrice qui prévaut (se « servir » sans que rien ne structure) une logique véritablement  « institutionnelle » posant en préalable le respect de la temporalité scolaire en relation directe avec ce qu’est tout processus d’apprentissage : un parcours initiatique. Définir un objectif et trouver la voie pour l’atteindre afin de surmonter les aléas. Renouer avec des « rituels structurants » facilite cette décélération. Il est nécessaire d’inculquer à nos élèves le respect de règles associées à des moments particuliers et des comportements régulés, d’organiser le temps et l’espace avec des signaux visibles et des balises marquant ostensiblement les ruptures et le passage d’une posture à l’autre. Le respect de codes communs partagés soudent un collectif et créer un cadre, vis à vis d’une société qui en manque cruellement, mais il permet également de définir des espaces tampons, véritables sas, entre l’immédiateté du dehors et le temps de sursis que doit de nouveau permettre l’école.

Ne pas se disperser ou s’éparpiller

Les outils de communication nous incitent de plus en plus à mener simultanément plusieurs taches en parallèle : répondre au téléphone en écrivant un mel, converser avec un collaborateur en surfant sur le web pour vérifier une info…
Si cette pratique  s’est développée avec l’émergence du « multi écran » (smartphone, tablettes, mais aussi multifenêtrage), elle s‘est généralisée depuis. Le cerveau en réponse à différents stimuli en situation de concurrence, au lieu de se concentrer sur une tâche unique, effectue des allers retours incessants entre « le job » jugé prioritaire (plus attractif à un moment « t ») et les autres. Ce mode de fonctionnement peut l’amener à négliger ou survoler certaines phases clés, ce qui n’est pas sans conséquence sur la nature et le format des informations que traitent en priorité le cerveau (texte, photo, image, symbole, vidéo, audio …).

 Les informations ayant le bon « format » : courtes, simples voir basiques, et si possible visuelles sont le plus souvent prioritaires de fait. Cette nouvelle hiérarchie informative privilégie le tweet à la note de synthèse que l’on zappe et dont on préfère reporter la lecture. Qui peut aujourd’hui en prédire les effets à long terme ? Nous dirigeons nous vers une «twitterisation» des esprits dans laquelle la limite physique de toute analyse ou argumentaire sera limitée à 140 signes ? Le réactif, le pulsionnel court-circuite l’analyse. Il est impératif de ré inculquer dans le processus d’apprentissage, la nécessité d’être de nouveau « totalement » et pleinement présent. La présence « sociale » (je suis là physiquement mais en ligne) constituant une absence mentale de fait !

Etre numériquement responsable

 La virtualité de la toile mondiale, sa dimension, sa proximité, son « intimité » qui n’est  qu’illusoire (la « confidentialité» du medium utilisé : montre connectée, téléphone, tablette, ordinateur est sujette à caution) dissimule toute la puissance, l’universalité et la violence potentielle d’Internet. Nous sommes tous dans les faits, citoyens numériques.
Si autrefois n’étaient concernés que les « geeks », addicts à l’informatique, aujourd’hui chacun est utilisateur à un moment donné, que ce soit à titre professionnel ou privé, du réseau mondial. L’internaute n’assimile pas forcément la nécessité de se protéger d’une « neutralité » qui n’est qu’apparence en se fixant des règles et des procédures prudentielles comme l’obligation de respecter les lois liées à la personne, la propriété intellectuelle et ses contenus ou d’être vigilants face à des activités «inappropriés ».

 Il est essentiel de donner à tout internaute les clés lui permettant de décrypter le monde numérique, les jeux de pouvoir et logiques économiques qui s’y affrontent, les questions sociétales qui en découlent, qui ne sont pas sans incidence sur l’évolution de la société ou la définition de valeurs aussi essentielles que celles de la liberté et de la sécurité pour chacun comme pour la collectivité, deux objectifs qui ne sont pas toujours dans les faits compatibles.

Il faut élaborer et mener des stratégies de responsabilisation pour donner aux élèves la capacité d’utiliser en totale autonomie et en toute responsabilité, l’environnement numérique, d’éviter ses tentations comme ses dangers et d’inculquer à chacun la notion du «réfléchir avant de cliquer ».

« Les choses sont prêtes si nos esprits le sont. »
William Shakespeare