Le mauvais procés fait aux emplois aidés

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Paris, Hotel de Castries, Ministère de la Cohésion des Territoires, 1er septembre

 

Devant le tollé suscité par l’annonce du gouvernement début août de ne plus renouveler les contrats des emplois aides (qui passent de 459 000 en 2016 à 293 000 en 2017), le Premier Ministre a demandé aux ministres de la Cohésion des Territoires, de l’Éducation Nationale et au Directeur de cabinet de la Ministre du Travail de recevoir en urgence une délégation de Maires à laquelle j’ai participé au titre de l’Association des petites villes de France.
Cette décision a déclenché une véritable colère dans les collectivités et beaucoup d’associations. Chacun peut être pour ou contre ce dispositif, mais arrêter ces emplois du jour au lendemain fragilise les personnes en place, déjà pour beaucoup en difficulté et en situation précaire, plonge  associations et collectivités qui font tant pour le lien social de proximité dans des situations très délicates. Beaucoup de Maires se retrouvent actuellement face à des dilemmes humains et budgétaires douloureux devant les arbitrages à faire. 


C’est ce que j’ai expliqué directement aux ministres, en soulignant pourquoi, comme une grande majorité de Maires, je suis oppose à cette mesure, tant sur la forme et la méthode employée que sur le fond. Je ne voudrais surtout pas que mon intervention soit assimilée à celle d’un François Baroin qui oublie aujourd’hui ce qu’il défendait, il y a tout juste quelques mois, en qualité de putatif Premier Ministre de François Fillon dont le programme proposait notamment la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, une saignée de 20 milliards d’euros sur le budget des collectivités sans précédent et l’arrêt du recours aux emplois aidés !

Il faut reconnaitre que Muriel Penicaud, Ministre du Travail, a eu une mauvaise surprise lorsque ses services lui ont indiqué que plus de 60 % de l’enveloppe 2017 allouée aux emplois aidés était déjà consommée. Si cette enveloppe (2,4 milliards €) était dimensionnée pour financer 280 000 contrats, c’est en fait 450 000 que le gouvernement précédent a au final lancé ! Situation relevée par la Cour des Comptes dans un audit effectué avant l’été, ce programme a été effectivement surconsommé et dans le même temps sous-doté financièrement.


Pour plus de clarté, rappelons que ces emplois sont renouvelables chaque année, que leur durée maximale comme leur taux de prise en charge varient selon le dispositif duquel ils sont issus. Cependant l’accord moral passé entre Etat, collectivité et demandeur d’emploi est clair, lorsque tout se passe bien, le renouvellement est quasiment automatique, et ce, jusqu’au terme du contrat.

C’est sur cette base que les communes se sont engagées, contribuant dans une conjoncture budgétaire délicate, à l’effort national contre ce mal endémique qu’est le chômage de masse. L’objectif commun et partagé étant de trouver des solutions, certes ponctuelles, mais concrètes pour tous les seniors ou  jeunes éloignées de l’emploi, afin d’éviter tout déclassement social. Faut il rappeler que l’État avait très vivement encouragé les communes à participer à cette initiative contre le chomage.

Faire aujourd’hui un procès au gouvernement précédent, est oublié un peu vite qu’après chaque alternance, dans l’ordre normal des choses, une loi de finances rectificative intervient.
Elle permet d’influer sur l’action gouvernementale afin de mettre en œuvre rapidement les priorités du nouvel exécutif désigné par les urnes. C’est ce que n’a pas voulu faire Emmanuel Macron. Conséquence directe de ce choix, une compression immédiate et brutale des dépenses faute de nouvelles affectations de recettes, avec un cortège de décisions brutales, non négociés et pour le moins discutables, comme la baisse généralisée des APL et l’arrêt des contrats aidés …
Constatons également, que ce mandat présidentiel débute sous de bons auspices et des bases économiques solides, les meilleures depuis bien longtemps. Tout compte fait, au final, l’héritage n’est pas aussi mauvais que certains le décrivent aujourd’hui, voilà qui devrait mettre un peu de baume au cœur à certains ministres  !


Avant de revenir sur la forme, et tout ce qu’elle hypothèque pour l’avenir, en terme de climat de confiance et de relations apaisées entre collectivités et État, abordons le fond et traitons de l’utilité ou de l’inutilité des emplois aidés …

 

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Opposer « emplois aidés qui ne mèneraient à rien » à « politique de formation qui mènerait à tout », comme le font actuellement certains ministres, apparait caricatural, péremptoire, schématique et pour tout dire erroné. Ce type de déclaration à l’emporte pièce, caractérise pour le moins un certain manque d’humilité et de prudence, que je voudrais ici souligner.

Certes, ce type de contrat ne constitue qu’un pis aller et représente un cout réel pour la collectivité au sens large, mais il apporte une réponse concrète et immédiate au demandeur d’emploi, qui du coup ne touche plus d’allocations chômage et permet de répondre à des besoins du terrain identifiés, alors que le moindre plan de formation venue « d’en haut » mettra quelques mois à se déployer concrètement dans tous les territoires.

J’ai également rappelé aux ministres que depuis 40 ans, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, généralement en fin de mandat, ont tous utilisé de tels dispositifs en direction de certains publics cibles impactés par le chômage de longue durée, pour qui ne se dessinait aucune perspective.
Je considère pour ma part que ces deux pistes sont compatibles, avec d’autres, et qu’aucun de ces outils ne doit être considéré comme l’alpha et l’oméga d’une politique d’inclusion sociale qui s’adresse à tous et a besoin de toute une panoplie de dispositifs complémentaires au service d’une véritable stratégie globale.

Selon le contexte économique et social, crise ou reprise, le mix peut varier entre les différents dispositifs. S’il est cohérent et intelligent de faire un effort important et réfléchi sur de vrais plans de formation, encore faut il le faire en conciliant les différentes échelles de temporalité, à partir de la réalité, des contraintes et des besoins effectifs du terrain et des bassins de vie, tant notre pays est terre de contrastes.
Une politique de formation pour être efficace, exige un temps minimum pour se déployer : il faut déterminer les besoins du terrain et le faire finement, définir objectifs et référentiels, trouver et déployer les ressources tant logistiques qu’humaines, sélectionner les publics cibles, lancer les formations et ensuite réussir l’insertion professionnelle.
La décision pour le moins brutale d’arrêter tout renouvelement des aides en cours, pose un problème effectif de temporalité, tant la formation, surtout en direction de public éloigné de l’emploi, est une démarche de longue haleine. En complément, soulignons que les missions de service public assurées par les titulaires des contrats aidés sont immédiates et permettent aux demandeurs d’emploi les plus fragiles, de progressivement se réinsérer, d’acquérir une véritable expérience professionnelle et d’assimiler des repères de base essentiels pour réussir ensuite leur inclusion sociale et / ou suivre une formation adaptée avec plus de chance de réussite.

Plus localement, dans nos communes, ces contrats permettent à des personnes  éloignés de l’emploi par les accidents de la vie, en décrochage pour certaines, jeunes ou seniors, de ne pas sombrer, de retrouver dignité, confiance en eux même, un sentiment sinon de fierté du moins d’utilité et leur permet d’entamer un nécessaire travail de reconstruction qui leur permettra de mieux rebondir ensuite .

Très fréquemment, dans des communes comme la mienne, Trilport, l’emploi occupé est pérennisé en fonction de l’implication de la personne, comme s’est arrivé pour de proches collaboratrices (eurs). Aucune création d’emplois aidés chez nous n’a répondu à un effet d’aubaine, toutes les personnes qui en ont bénéficié ont eu l’opportunité réelle de saisir ou pas leur chance et de rejoindre au terme du dispositif, les effectifs de la ville.

La critique que j’ai exprimé sur la vision pour le moins réductrice d’une problématique globale, délicate et complexe comme celle de l’inclusion sociale, se double du sentiment d’avoir été littéralement trompé par l’exécutif.

Lors de la première Conférence nationale des territoires, le 17 juillet, Emmanuel Macron s’est engagé à proposer aux élus locaux un pacte de confiance, basé sur le « respect partagé ». Je l’ai bien entendu et apprécié ses propos, étant tout juste à quelques mètres de lui. Le Président avait indiqué alors un préalable : celui, avant toute mesure touchant de prés ou de loin les collectivités, de les associer en amont. Dans ce même discours, le montant des économies réclamées aux collectivités est passé de 10 à 13 milliards d’euros sur la durée du quinquennat.
Quelques jours après, les élus ont découvert avec stupeur un décret annulant près de 300 millions d’euros de crédits pour 2017, et enfin, cerise sur le gâteau, courant août, la décision de réduire drastiquement le nombre d’emplois aidés a été annoncé par le gouvernement.

L’été a été pour le moins rude pour les communes !

Cela commence à faire beaucoup, notamment pour les petites collectivités pauvres, ou celles en plein développement urbain, qui accueillent des nouveaux habitants, grands demandeurs de services mais également d’équipements publics qu’il faut bien financer ! Force est de constater en ce domaine que l’investissement public local n’est pas flamboyant, loin s’en faut. Outre les profondes disparités de situation entre territoires et communes, soulignons sa baisse continue depuis 3 ans : – 7,7 % en 2014, ? 8,4 % en 2015, – 3 % en 2016. Situation qui n’est pas sans incidence sur l’emploi local.

Nous l’avons rappelé aux ministres,  la confiance ne se décrète pas, mais se construit au fil du temps, en faisant « ensemble ». Le constat est net, nous en sommes aujourd’hui beaucoup plus éloigné qu’en juillet dernier !


Point de polémique ici, juste un constat désabusé pour le moins, portant sur une méthode que les élus locaux regrettent, tant ils sont dans l’attente et avaient apprécié les mots employés du Président lors de la Conférence des Territoires : lisibilité, transparence, concertation, équité, confiance.
Nous sommes plus que jamais demandeurs d’un tel pacte, il nécessite cependant deux préalables : respecter chacun des partenaires et la parole donnée.

Les ministres après nous avoir écouté, l’entrevue a duré près de deux heures, ont assuré qu’ils demanderaient à chaque Préfet de suivre avec bienveillance la situation selon les priorités définies par le gouvernement : Éducation Nationale, Outre Mer, Urgence sociale et sanitaire.
Ils ont confirmé leur avoir demandé dans chaque département, la plus grande souplesse, laisser la possibilité de jouer sur les taux de prise en charge afin d’être en capacité d’agir sur plus de contrats comme sur la fongibilité des crédits du budget de l’emploi afin que ceux ci bénéficient à tous et de donner la priorité à la rentrée scolaire.

J’espère que cet épisode clôturera cette série de « malentendus malheureux », de rendez vous pour le moins manqués, de décision prises sans aucune concertation, brutales, ne visant que le court terme.
Rappelons que les élus locaux sont en première ligne et malgré tous les aléas qu’ils rencontrent s’évertuent à tisser inlassablement le lien social, à bâtir les indispensables digues de solidarité et à mettre en place de fragiles passerelles qui permettent de limiter les conséquences d’une fracture territoriale qui ne cesse de s’élargir.
Il y a une telle disparité dans les collectivités, que certaines mesures prises, à priori considèrés vu d’en haut comme de simples « ajustements techniques ou budgétaires » ont dans certains territoires des conséquences désastreuses, paradoxalement c’est là pourtant que les actions ainsi mises à mal sont les plus utiles a nos concitoyens.