Les Maires de France ont la saudade …

La saudade est né au Portugal il y a une éternité (avant l’an 1200), elle est désormais associée à la lusitanité, du Portugal au Brésil en passant par le Cap-Vert. Cette expression signifie tout à la fois mélancolie, peine de l’âme (ennui, langueur, tristesse, mal de vivre …) mais aussi paradoxalement le plaisir de l’anticipation de la joie des retrouvailles, du retour et l’aspiration à un mieux être …

Ce mot-concept résume bien me semble t’il le « vague à l’âme » des Maires, souligné lors du 88eme Congrès des Maires de France qui s’est déroulé du 22 au 25 novembre. Ce ne sont pas les visites médiatiques de messieurs Villepin, Hortefeux, Coppé et Sarkozy qui ont dissipé cette impression, en fait beaucoup de Maires aujourd’hui ont la saudade !

Une actualité récente les a de nouveau placé sur le devant de la scène, tentant avec patience et passion d’éteindre un incendie se propageant sur l’hexagone après la mort des deux jeunes de Clichy sous Bois, les paroles incendiaires du Président de l’UMP (également Ministre de l’Intérieur il est vrai ), le sentiment de mal être et de ras de bol de trop de jeunes de banlieues, l’intérêt médiatique suscité … (faites votre choix, vous avez droit à plusieurs réponses …).

Peu de jour après, d’autres élus ont été mis au ban; en qualité de Maire de communes égoïstes et hors la loi refusant de construire du logement social … Je ne reviendrais pas sur deux sujets sur lesquels je me suis largement exprimé (cf le notes précédentes De l’art de manier le « karcher » avec discernement & SRU, comment suis je devenu un Maire hors la loi ?)

Le Maire est tout simplement au cœur des contradictions d’une société schizophrène qui veut à la fois moins d’impôt et plus d’état, plus de liberté et plus de sécurité et de leaders nationaux qui « jouent » aux élus de terrain comme Marie Antoinette jouait à la bergère, confondant Com’ et écoute et vitesse et précipitation. Pourtant le Maire occupe encore (mais jusqu’à quand ?), une place particulière dans notre pays, constituant le dernier maillon politique à qui les citoyens fassent encore confiance. Placé entre le marteau et l’enclume, sa mission (s’il accepte) est trés souvent de résoudre l’insoluble … De fait c’est la société française qui actuellement a la saudade …

Revenons très rapidement, sur les résultats du 8ème baromètre financier des communes, réalisé début septembre 2005 auprès d’un échantillon national de Maires représentatif (CSA), voici en quelques élements en vrac, une photo de l’humeur des Maires d’avant les violences urbaines :

  • Le pessimisme sur l’évolution des finances locales est de rigueur : 39 % des maires envisagent une dégradation de la situation financière de leur ville et manifestement ce ne sont pas les dernières nouvelles concernant le bouclier fiscal et la réforme de la taxe professionnelle qui risque de les rassurer … 91% des maires ne considèrent pas légitime que les collectivités locales supportent les conséquences financières liées au plafonnement des impôts. Il n’y adonc pas de parti pris « politique » dans ce sentiment largement partagé,
  • La majorité des maires (51%) est prêt à consentir à un effort supplémentaire en matière de construction de logements sociaux. Mais 97 % subordonnent cet effort à une augmentation de leurs moyens financiers, cela ne vous rappelle rien (cf ma note sur la loi SRU) ?
  • Embellie, à contrario, concernant l’endettement, du fait du désendettement progressif des communes (fin des emprunts historiques avec taux d’intérêt à deux chiffres), 44 % estiment prioritaire la maîtrise de l’intérêt de la dette (ils étaient 60 % en 2003). Les emprunts conclus récemment se substituent à une dette plus coûteuse, désormais, seuls 11 % des maires jugent leur commune trop endettée, ce qui promet pas mal de perspective d’investissement,
  • Devant la hausse des dépenses de fonctionnement, 65 % des élus jugent prioritaire la maîtrise des dépenses de personnel.
  • Face aux projets de restructuration des services publics et de services au public dans leurs communes, 59% des maires estiment la consultation des élus comme « réduite / inexistante ». La grande majorité des personnes interrogées se déclarent par ailleurs satisfaites de la façon dont les services publics sont remplis (79%)
  • Enfin, face à l’inflation des normes (effet parapluie) et à la judiciarisation croissante de notre société (vive l’amérique) 56% des maires déclarent que le risque juridique entrave leur action, le contraire m’aurait étonné!

Sur ce dernier thème, le numéro d’octobre de la revue « Courrier des Maires » a souligné l’importance de cette crainte pour les élus, qui malgré la loi Fauchon du 15/07/2000 (réduisant le champ de la responsabilité pénale des élus) ne l’a pas fait disparaitre pour autant.De quoi dormir tranquille …

Les causes potentielles de problèmes juridiques sont légions : nouvelles normes , règles de sécurité, gestion du personnel (harcèlement moral, prise illégale d’intérêt si embauche d’un proche), organisation de manifestation (bruit, dégâts violence, accidents …), concussion (exonération ou franchise au-delà des prévisions réglementaires), «rattachement» des délibérations (insertion ou modification au registre de délibération après approbation du conseil municipal, marchés publics, l’urbanisme en général, bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive !

Est il utile de rappeler qu’on ne pardonne pas plus à un Maire de petite ville qu’à un Maire de grande ville, qui lui dispose de spécialistes et de juristes …

Mais la saudade c’est aussi et surtout de la poésie; laissons nous donc bercer par ce quatrain, chacun y mettra la ligne mélodique qu’il désire.Comme quoi, malgré tout, il est bon quelquefois d’avoir le vague à l’âme …

A saudade da amada criatura

Nutre-nos na alma dolorido gozo,

Uma inefàvel, íntima tortura,

Um sentimento acerbo e voluptuoso.

Teófilo Dias, Brésil (1854-1889)

(La saudade de la créature aimée, Nourrit dans notre âme un douloureux plaisir, Une ineffable, intime torture

Un sentiment acerbe et voluptueux).