L’innovation,quête du Graal ou posture?

decentralisation.jpgMarylise Lebranchu, Ministre de la Décentralisation a confié à Akim Oural, Maire-adjoint de Martine Aubry à Lille, un rapport sur les conditions du développement de l’innovation territoriale avec l’objectif de “sortir de la conceptualisation et concrétiser l’innovation territoriale”, rien de moins …
Participant à cette étude coordonnée par le Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP) au titre de l’Association des Petites Villes de France,  dont je suis un des référents (au titre du numérique), il me semblait utile d’esquisser quelques pistes de réflexion concernant une thématique qui inspire l’action quotidienne de beaucoup d’élus locaux.

Il est heureux pour nos concitoyens que les collectivités n’aient pas attendu cette initiative, utile au demeurant, pour innover. Si les communes ne sont pas des acteurs exclusifs des dynamiques territoriales, elles en constituent cependant des acteurs majeurs et reconnus; y compris lorsqu’elles doivent s’adapter à un contexte inédit, en « mode complexe », où se cumulent la perte drastique de ressources financières  pourtant indispensables à leur action quotidienne (moins 1/3 des dotations de l’Etat en 4 ans, excusez du peu)  pénalisant principalement celles qui disposent du moins de ressources, impactant economie et emploi local, l’augmentation des difficultés sociales des habitants, l’abandon des services de l’Etat, la mise en place des rythmes scolaires (prés de 200 euros par enfant) et l’aggravation croissante des fractures territoriales.

Si l’action territoriale se déroulait jusqu’à ces dernières années dans un contexte régulé, hiérarchisé, structuré, aux repères pérennes et identifiés, cette époque est désormais révolue et a laissé place à un environnement composé d’écosystèmes locaux soumis à des tensions multiples, aux dynamiques parfois divergentes et des contraintes nouvelles à surmonter entrainant de nécessaires régulations permettant d’arriver à de nouveaux équilibres plus ou moins durables …

Nos territoires sont confrontés à l’accélération et à la multiplication des mutations en cours, ceci dans un contexte de crise budgétaire qui laisse les plus démunis, exsangues. Il faut malgré tout apporter des réponses concrètes, en temps réel, aux habitants comme à l’Etat.
Problématique que l’on pourrait résumer on ne peut plus simplement : comment gagner en agilité, réactivité, solidarité et durabilité avec des ressources moindres et des contraintes supplémentaires ?

Si une des réponses est l’innovation territoriale, chacun sait qu’elle ne pourra tout résoudre, loin s’en faut ! Comment la planifier ou la prévoir, alors que par nature elle est imprévisible rt que c’est le plus souvent en dehors des sentiers battus (« outside the box ») qu’elle apparaît ?
Il n’est pas possible de la décréter du sommet vers la base (On / Off), tant elle émerge du terrain (logique ascendante, « bottom up ») apportant des réponses concrètes et adaptées à une problématique qui concerne d’abord un bassin de vie.

 

Voici quelques propositions destinées à la favoriser …

 

 

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Eco systeme et contextualisation

Confronté à un environnement de plus en plus mouvant et incertain, les collectivités pour être en capacité d’innover, doivent s’appuyer sur leur contexte local (potentiels et contraintes) afin d’y trouver points d’inflexion, effets levier ou lignes de force en appliquant l’adage « Aide toi, le ciel d’aidera » ou, au choix, la citation de Nietsche  » Tout ce qui ne tue pas rend plus fort » en faisant appel à une forme de « résilience territoriale ».
Chacun peut rencontrer selon le territoire, des points de blocage particuliers, ses jeux d’acteurs à surmonter, être soumis à la pression de lobbys locaux disposant de la capacité de mettre en péril innovations locales ou «jeunes pousses» prometteuses. Ayant participé plusieurs années au travaux du groupe national des Eco Quartiers, j’en ai visité de nombreux, en France comme à l’étranger, les expériences qui me sont apparues comme les plus abouties étaient souvent celles faisant appel aux solutions locales. Une bonne  « contextualisation »constitue un élément clé de l’innovation territoriale.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que des facteurs de reproductibilité n’existent pas ou qu’il est  impossible de les adapter à d’autres contextes, mais il est essentiel de se baser sur un bon diagnostic territorial qui fait appel à toutes les expertises du terrain.
A mes yeux un élu local est avant tout une sentinelle de proximité, un « facilitateur », dont une des missions principales est d’initier, mobiliser, mettre en relation et en réseau, quelquefois même en tension, les acteurs locaux, institutionnels (autres collectivités, services de l’Etat) ou non, en tenant compte de toutes les caractéristiques d’un territoire.
Innover est une figure quasi imposée pour les élus qui veulent faire bouger les lignes, dynamiser leur collectivité et préserver leur capacité d’action afin d’améliorer le quotidien de leurs habitants.

Deux sources de motivations, souvent complémentaires, animent le porteur d’innovation :

  • La volonté de faire progresser son territoire, de le rendre plus solidaire et dynamique en faisant évoluer  pratiques ou en le rendant accessible à tous

Quid de l’Etat ?

L’Etat peut jouer un rôle, qui ne se limite pas à simplement et seulement à celui d’aujourd’hui, générer de nouvelles contraintes (ces dernières entretiennent également le moteur de l’innovation) mais il doit au préalable effectuer sa propre révolution culturelle, chacun son tour !
Favoriser l’innovation territoriale c’est avant tout privilégier une approche ascendante (logique « bottom up »),  s’inscrire dans l’évolution de l’économie mondiale et intégrer l’émergence de l’économie circulaire et des circuits courts, en abandonnant ’approche descendante (logique « top dwn ») qui depuis Colbert caractérisait notre pays.
Cela passe par le passage d’un modèle centralisé (centrifuge et centripète, dit en « pastèque ») à un modèle plus systémique et neuronal (dit en « groseilles »), ou la dynamique territoriale repose principalement sur la qualité des liens noués entre les différents acteurs et sur les dynamiques territoriales présentes ou en devenir; c’est également une des leçons de l’histoire, ce n’est pas en voulant la planifier, la normaliser, la standardiser ou l’imposer que l’on contribuera à développer l’innovation.
Chaque écosystème local répond à des enjeux et à des dynamiques propres, une réalité du terrain que ne peut pressentir un Etat centralisateur.

Encore faut il donner envie d’innover …

Un accompagnement « actif et bienveillant » des services de l’Etat serait utile pour accompagner l’action des acteurs locaux (élus, « entrepreneurs » au sens le plus large …) notamment des petites villes ou villages, ce qui nous éloigne quelque peu du « big is beautiful » ambiant mais nous rapproche inversement du citoyen : droit, démarches, contacts, expertises …
Le droit à l’expérimentation locale doit  être renforcé, afin de permettre aux jeunes pousses d’avoir la  capacité de se développer pour donner des fruits Les modèles économiques d’aujourd’hui ont besoin de temps pour trouver leur équilibre, y compris financier, surtout dans le contexte incertain et pour le moins instable que nous connaissons, les premiers mois e « survie » sont donc cruciaux.
L’émergence des tiers lieux par exemple est une piste intéressante de développement économique, social et sociétal, mais ces espaces, pistes de mutualisation de ressources et d’économies pour la collectivité, chacun en convient, doivent se confronter à un marché pas  tout à fait mûr et tenir compte d’une règlementation concernant le travail à distance pas encore compatible … L’Etat comme les collectivités doivent accompagner de telles démarches innovantes , surtout lorsqu’elles vertueuses, elles disposent d’un modèle économique maitrisé, à terme. Rappelons que toutes les réussites dans le modèle de l’économie numérique (GAFA) ont commencé par des pertes, à court et quelefois même à moyen terme, avant d’engranger les succés que nous connaissons !

Le partage d’information peut contribuer utilement à un véritable partage de retours d’expérience (« learn funding) permettant d’analyser les conditions de reproductibilité éventuelles de telle ou telle innovation sur un territoire donné. Il faut privilégier la fibre collaborative à la concurrence des territoires ou des collectivités.
L’Etat, lorsqu’il est encore présent peut y contribuer, à l’image de ce qu’il a entrepris au lancement de la démarche des éco quartiers (service « 4D » du Ministère de l’Environnement). Beaucoup d’initiatives peuvent être envisagées dans un ce cadre, en partenariat avec les associations d’élus, chambres consulaires, CDC ou autres : observatoire des pratiques innovantes, organisation de carrefours territoriaux de l’innovation, labels, aides financières, prix de l’innovation territoriale …

Autre piste prioritaire, la levée des blocages inutiles. L’Etat se doit de limiter l’inflation normative qui accroît non seulement les contraintes financières mais pénalise et neutralise toute volonté d’agir et de faire. Pourquoi ne pas remplacer des normes lorsque elles ne s’imposent pas, par des guides de bonnes pratiques par exemple ?
Les illustrations ne manquent pas :  l’utilisation de matériaux bio sourcés s’apparente trop souvent à un parcours du combattant, ou au fameux combat de Don QUichotte contre les moulins … Le poids des lobbies des multinationales du béton et du verre est encore trop pesant, y compris dans les organismes officiels, bien peu réactifs lorsqu’il faudrait être souple, fluide et agile, nous pourrions aborder la question de l’utilisation de l’eau de pluie pour les sanitaires, et tant d’autres exemples relatif au développement durable  !
Pour que l’innovation territoriale contribue utilement au développement équilibré et équitable de nos territoires, il ne faut pas la limiter à des opérations communicantes, des avancées uniquement technologiques ou « participatives » ou à quelques mesures « gadgets » …
Soyons ambitieux, l’innovation territoriale doit apporter des réponses concrètes à des priorités sociales afin de permettre d’améliorer directement le quotidien, de rendre la vie plus facile et accessible aux habitants de tous les territoires, sans exclusive.

Innover est avant tout un état d’esprit, qui s’entretient, mais peut également se susciter, encore faut il que l’Etat passe de « l’Etat providence » à celui « d’Etat pépinière » en intègrant trois priorités :

  1. privilégier une démarche ascendante, basée sur les initiatives locales
  2. créer un nouvel état de confiance avec les acteurs locaux, et en première ligne les collectivités
  3. adopter une réelle souplesse au niveau des normes ou des droits à l’expérimentation …

Pour innover pas besoin de multiplier les études des experts hors-sol, les enquêtes ou questionnaires et les comités « théodule » mais initier un état de confiance et de coopération,  insuffler un état d’esprit conquérant incitant  à « changer la vie » pour l’améliorer au quotidien et au futur, notamment pour ceux qui en ont le plus besoin …

Du concret, des actes, de l’action …