Petites Villes : La carte et le territoire

apvf-saint-flour.jpgJ’ai participé aux Assises des Petites Villes de France, qui se sont déroulées à Saint-Flour (Cantal) fin mai. Un rendez vous annuel attendu permettant aux élus d’échanger, de confronter expériences ou points de vue, de prendre surtout quelque peu de recul et de participer à des tables rondes utiles et enrichissantes ouvrant de nouvelles perspectives. Il est toujours bon de sortir quelque peu la tête du guidon, histoire de voir un peu plus loin que son microcosme local.

La thématique 2011 avait repris, à la lettre, le titre  du dernier Goncourt : « La carte et le territoire ». Titre évocateur s’il en est … la carte est-elle plus intéressante que le territoire ou l’inverse ? Titre dans tout les cas, totalement approprié à la problématique de la cohésion territoriale et sociale au cœur des préoccupations actuelle des élus comme de leur actualité immédiate (voir plus loin). Le  titre du roman de Michel Houellebecq a servi de fil rouge évident aux ateliers et tables rondes se déroulant sur ces deux jours : conséquences de la refonte de la carte intercommunale, perspectives de la réforme de la péréquation, mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement, sécurité …

Constat clair, le ressenti des élus à l’égard de l’évolution territoriale initiée et du désengagement de l’Etat est de plus en plus perceptible. Situation qui inquiète en haut lieu (2012 n’est pas loin !), si l’on en juge par la venue à ces assises du Président de l’Association des Maires de France, de deux Ministres de l’actuel gouvernement et du Président du Sénat Gérard  Larcher, ouvertement en campagne.

Les raisons du mécontentement croissant  des élus locaux, toutes tendances confondues sont multiples : conséquences de la RGPP,  désengagement de l’Etat dans les territoires, fin annoncée des co financements (ou financements croisés), création du Conseiller Territorial, conditions de réactualisation de la carte intercommunale, et cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut !

Nous reviendrons forcémment et malheureusement sur les problèmes budgétaires, le désengagement de l’Etat, et ses  conséquences dramatiques pour le pays, mais il me semble plus intéressant de revenir sur le sujet central de ces deux journées, « la carte et le territoire » …

Pour échanger sur une telle  problématique, vrai sujet de grand oral, la parole n’a pas été donnée qu’aux élus, le sociologue Jean Viard, a interpellé quelque peu l’assemblée de manière iconoclaste sur les représentations, imaginaires des uns et des autres confrontés au principe de réalité et aux évolutions (révolutions) en cours dans une société en marche …

Il y a effectivement de la remise en cause dans l’air …

 

 

Abordons  l’actualité brulante, inscrite au calendrier d’été des élus, bien malgré eux. Les modalités d’adoption de la carte intercommunale (de manière plus institutionnelle : « révision du schéma départemental de la coopération intercommunale »), telle qu’initiée par ce gouvernement ont mis le feu aux poudres …   Philippe Richert, Ministre en charge des collectivités territoriales, et Gérard Larcher, président du Sénat ont été interpellé à plusieurs reprises par les Maires, sur ces conditions de mise en place.

Deux griefs principaux : le manque de concertation et le coté pour le moins précipité de la manœuvre … Un  réel consensus existe sur la nécessité de rénover l’intercommunalité, mais la méthode choisie par ce gouvernement pose problème. Trop souvent, les élus sont placés devant le fait accompli par le Préfet, découvrant effarés la création de nouveaux EPCI quelquefois sans relation avec les bassins de vie ou la réalité du terrain.

 

Cas d’école, la Seine et Marne

Tel est le cas en Seine et Marne. Une situation dénoncée dans un courrier récent du Président du Conseil Général Vincent Eblé et des Sénateurs, Nicole Bricq et Yannick Bodin demandant au Préfet de revenir sur un calendrier jugé trop expéditif, afin d’instaurer un vrai débat dans l’intérêt même de la carte intercommunale. La méthode choisie  «  ne paraît pas constituer un gage de réussite ni être conforme aux instructions données par le Gouvernement.», écrivent ils.

Il ne peut y avoir de coopération intercommunale réussie que si elle s’opère sur des bases librement consenties à partir d’un véritable projet partagé a d’ailleurs rappelé Philippe Richert lors des assises. La volonté affichée par le Ministre est d’aboutir avec les élus, à une véritable « coproduction » (vœu pieux, démagogie ?). Force est de constater que  nous sommes fort éloigné de ce cas de figure en Seine et Marne.

Les élus n’ont été ni informés, ni consultés en amont, sur le projet de schéma présenté lors de la 1ere réunion de la Commission Départementale de Coopération Intercommunale (ou CDCI) ;  cette dernière n’a donné lieu à aucun débat, se transformant en une simple chambre d’enregistrement. Les élus disposent de trois mois, (jusqu’au 6 aout),  pour se prononcer, ce qui en pleine période estivale n’est pas sans poser de problème (le défaut de délibération valant avis favorable) ! J’ose à peine me demander ce qui arriverait à un Maire agissant de la sorte, pour une enquête publique ou un appel d’offre ! Il aurait certainement un rappel du Préfet !

Comment, dans un laps de temps aussi court, émettre un avis éclairé alors que le projet de schéma présenté et préparé en catimini, je ne peux imaginer que certains grands élus du département ayant quelque responsabilité politique nationale aient été mis dans la confidence, sur ces question, l’Etat est impartial, fait apparaître des scenarii pour le moins inattendus et improbables ?

Quand prendre le temps de consulter les populations concernées,  échanger avec les élus des collectivités susceptibles de devenir demain des partenaires ?

Les débats de ces deux jours l’attestent bâtir une intercommunalité ce n’est pas uniquement déterminer un périmètre, aussi important soit-il, mais bien avoir la volonté de partager un avenir et des projets communs.

Il y a la carte et le territoire, le périmètre et le projet. Mais le périmètre ne peut être le projet, c’est bien ce dernier qui devrait déterminer le  périmètre !

Le ministre a eu beau faire une véritable déclaration d’amour aux communes, en citant Tocqueville (« la commune, école primaire de la démocratie », voir plus loin), peu ont été convaincu, car si les élus attendent de l’amour (désespéremment avec ce gouvernement) ils préfèrent  les preuves concrètes d’amour, c’est bien là que le bas blesse.

L’approche choisie par le gouvernement actuel, véritable passage en force, est à l’opposé  de celle initiée par le gouvernement Jospin, lors des lois Chévènement votées à l’unanimité,  basées sur le contrat et le consensus. Ce caporalisme pourrait avoir des conséquences lourdes de sens dans le futur.

 

Le retour des marquisats

Lors des débats, beaucoup d’élus, notamment de villes péri urbaines, ont dénoncé cette course au gigantisme, trop souvent placée au service de destinées individuelles et portée par des élus, de moins en moins locaux (de toutes tendances d’ailleurs, phénomène constaté en province comme en Ile de France),  de moins en moins proche et disponible, gérant par délégation, véritables aspirateurs de territoire, cumulant mandats et responsabilités.

Le retour à un médiévalisme territorial remettant en cause les logiques de solidarité territoriale est réel. Ils ont souligné le cout de cette évolution pour la démocratie locale. D’autant qu’il faut analyser cette évolution, au prisme de la création du conseiller territorial, toujours contreversée, y compris par de nombreux élus de droite, qui en acteurs du terrain se rendent bien compte de l’ambiguité des missions de ce futur élu hybride et des risques de confusion et de conflit d’intérêt qui vont suivre entre terre d’élection, et territoire que ce soit département ou région …

 

Nous reviendrons dans une prochaine note sur l’intervention de Jean Viard, qui a abordé cette thématique de la carte et le territoire, à contre pied et dans un style provocateur et pour tout dire décoiffant mais au combien interpellant …

Annexe : la commune vu par Tocqueville

« C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science; elles la mettent à la portée du peuple; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance; mais le despotisme refoulé dans l’intérieur du corps social reparaît tôt ou tard à la surface.

Tocqueville

De la Démocratie en Amérique, Tome I, première partie, Chapitre 5 »