PISA, tous concernés !

doisneau_preview.jpgLa publication des résultats de l’étude PISA (Programme international de suivi des acquis des élèves) de l’OCDE a fait sensation, et tant mieux, l’éducation constitue pour tous les pays une priorité absolue.
C’est dire que les résultats de cette édition doivent nous interpeller tant ils sont lourds de signification, nous payons aujourd’hui la facture de 10 ans d’inaction en ce domaine, car il s’agit bien de la décennie 2002-2012, n’en déplaise à certains amnésiques !

Avant d’aller plus loin dans le commentaire, revenons sur ce qui est désormais LE LABEL scolaire mondial indiscutable et incontournable : l’étude PISA.
Des premiers balbutiements de 1962 à aujourd’hui, que de chemin parcouru  : 12 pays en 1962, 32 en 2000, 65 en 2013 et la Chine rejoindra ce club dés 2015. Si jusqu’aux années 2000, PISA a reçu son lot de critiques, notamment de France, cette évaluation s’est imposée du fait de la robustesse et de la rigueur de ses analyses. L’évaluation mesure non les programmes scolaires nationaux mais la capacité des jeunes de 15 à 16 ans à utiliser les connaissances et compétences scolaires acquises dans des situations concrètes de la vie quotidienne.

Tous les 3 ans, elle donne la température, passant au crible un socle de 3 disciplines considérées comme centrales : la maitrise de la langue, les maths et les sciences.
Point fort, elle permet les comparaisons internationales (510 000 jeunes issus de 65 pays ont participé à l’édition 2013), mais également rétrospectives. Il est ainsi possible de dégager les tendances qui font sens. En 13 ans l’OCDE a rendu la planète accro à son évaluation livrée clés en main aux politiques, médias, spécialistes de l’éducation, mais aussi de plus en plus au grand public dont de nombreux parents d’élèves ! Masochisme ? On peut se le demander parfois, tant les résultats peuvent être douloureux pour les gouvernements et que sa mise en œuvre coûte (plus de 500 000 euros à la France pour la dernière étude).

Ces résultats interpellent toute la société, et non uniquement les spécialistes « es éducation ». Outre sa mission de former des citoyens éclairées et instruits, un système éducatif doit leur donner également la capacité de trouver un emploi dans une économie de plus en plus compétitive et concurrentielle et celle de s’adapter aux évolutions à venir.
C’est dire que la problématique de l’échec scolaire est essentielle, elle ne concerne pas que les  élèves qui en sont victimes ou leurs familles, mais bien le pays tout entier avec des conséquences globales, qu’elles soient sociales ou économiques : perte de compétivité, marginalisation, cohésion sociale, chômage …

Dans la société planétaire de la connaissance, un pays comme la France ne peut se contenter d’être moyen, son développement futur dépend des capacités qu’auront ses habitants à innover, entreprendre, créer, découvrir…
Pourtant, de 2002 à 2012, non seulement les résultats de l’éducation à la française ont continué à se dégrader, mais les inégalités ont augmenté fortement, tel est le constat de l’enquête PISA 2013, il est clair, net mais surtout sévère et justifié.

Voyons de plus prés les résultats obtenus  et changer une donne bien mal engagée …

Il y a urgence …

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Ces mauvais résultats n’ont pas surpris les spécialistes, les évaluations réalisées depuis dix ans démontrant une baisse de niveau significative. Notre pays n’a pas attendu effectivement PISA pour évaluer son système éducatif. Claude Thélot qui a oeuvré durant 7 années comme Directeur de l’Evaluation et de la Prospective au Ministère de l’Education Nationale et avec lequel j’ai eu le plaisir de travailler dans ce cadre, l’a rappelé dans une tribune publiée dans l’Express, esquissant quelques pistes  de solution.

Quels résultats pour la France ?

L’éducation dans notre pays régresse, la France se place désormais au 25e rang parmi les 65 pays participant à l’enquête PISA (au 18e des 34 pays de l’OCDE).
Le focus cette année portait sur les mathématiques : le niveau de nos élèves chutent, la France glissant du groupe des pays performants à celui des pays moyens. Concernant la compréhension de l’écrit ou les sciences, stabilité, nous restons dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Le plus grave est que l’écart entre « bons » et « mauvais » élèves s’accentue considérablement. En France l’origine familiale et sociale des élèves pèse plus qu’ailleurs sur la réussite scolaire.
Pour faire simple, si nos meilleurs élèves bénéficient d’un des systèmes les plus performants au monde, les plus défavorisés enregistrent des performances dignes des systèmes Péruvien ou brésilien ! Précision, les élèves issus de l’immigration ont deux fois plus de risques de se retrouver dans le bas du tableau que les autres. Le fait d’être né quelque part influe sur la scolarité, tant le lien entre milieu social, origine et résultats, est chez nous plus marqué qu’ailleurs, ce qui est inacceptable.
Plus préoccupant, la tendance s’accélère, le déterminisme social dénoncé il y a des années par Bourdieu devient une réalité incontestée ! Un comble au regard du mot « égalité » affiché sur les frontons de nos Mairies et désormais de nos écoles, il y a belle lurette que le système éducatif français ne remplit plus son rôle d’ascenseur social

La proportion d’élèves en difficulté est passée de 16,6% à 22,4 % en dix ans, chaque année 15 à 20 % des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas les savoirs élémentaires indispensables et 150 000 sortent du système sans aucune qualification.
Ces élèves, à grande majorité issus de milieux socio-économiques défavorisés sont aussi moins impliqués, moins persévérants et beaucoup plus anxieux et partent avec un handicap supplémentaires dans la vie active ! Ce n’est pas pour rien que les pays qui affichent de meilleurs résultats scolaires et une moindre proportion de jeunes « décrocheurs que la France ont également un taux de chômage des jeunes inférieur.

Comment rebondir ? 

Pour Claude Thélot la réussite des élèves défavorisés doit devenir la grande cause nationale. Si un élève sur 5 ne sait pas ce qu’il est indispensable de savoir, c’est sur lui que la politique éducative doit porter ses efforts en priorité, et concrètement, sur le terrain et non dans les colloques, les médias ou les bancs du parlement.
Il suggère quelques pistes : en finir avec le «serpent de mer des programmes » exhaustif et surtout inapplicable, et donner à tous les élèves un socle commun de connaissances, leur donnant les capacités et attitudes indispensables pour réussir leur vie, sésame indispensable pour évoluer et travailler dans la société d’aujourd’hui et de demain. Pour lui, le « socle » actuel demande à être resserrer afin d’en extraire ce qui est vraiment indispensable.
Agir concrètement pour la réussite de tous, suppose de commencer par les fondations, sinon c’est l’édifice entier qui est fragilisé et risque de s’effondrer. Claude Thélot suggère trois axes centraux :

  • Redéfinir le métier d’enseignant, si le « professeur du 21ème siècle » a toujours la mission de faire acquérir le socle commun à tous ses élèves, notamment à ceux qui ont du mal à l’acquérir, il doit également les accompagner, ce qui nécessite plus de temps de présence. Contrepartie, il devra être mieux considéré et rémunéré …
  • mettre en place une « diversification juste et maîtrisée » des moyens entre établissements et classes, piste évoquée par plusieurs spécialistes dont Eric Charbonnier, expert à l’OCDE. Il est indispensable de concentrer les moyens dans les établissements les plus défavorisés afin de «donner plus à ceux qui ont moins ». Au lieu de saupoudrer les crédits de la politique d’éducation prioritaire (plus d’un collège sur 5 est classé en ZEP) concentrer les moyens, là où c’est nécessaire, en y attirant les personnels les plus expérimentés. Une étude intéressante de Piketty et Valdenaire démontre l’importance jouée par la  baisse du nombre d’élèves par classe dans les établissements de l’Education prioritaire, elle augmenterait sensiblement les progressions de ces élèves.
  • mettre sur pied une organisation d’aide, d’accompagnement et d’évaluation des professeurs qui se retrouvent trop souvent isolés. Il faut transformer le métier d’inspecteur, puis en augmenter le nombre.

Laurent Bigorgne, directeur général de l’Institut Montaigne indique dans une étude qu’il a réalisée que  «la France dépense plus que ses voisins pour l’éducation et surfinance le secondaire, en particulier le lycée, avec sa myriade d’options, alors qu’on sait que c’est jusqu’à l’âge de 7 ans que le “retour sur investissement” en termes de progrès scolaires est le plus fort ».
À ses yeux, il faut, en maternelle, travailler «de façon systématique les compétences langagières et tout qui ce qui, ensuite, aidera à la lecture ». il estime que notre système scolaire est responsable, dès l’école primaire, de la reproduction des inégalités de fortune et de naissance dans les destins scolaires et sociaux. Rappelons que ce Think Thank est classé à droite, c’est dire que le constat est avéré !

Beaucoup s’accordent à reconnaître, et c’est heureux, que la clé est l’enseignant. La question de leur formation initiale et continue est donc posée, c’est un des axes d’amélioration indiscutable soulignée par les évaluations PISA, n’en déplaise au gouvernement précédent qui avait carrément supprimé la formation et l’année de stage !
Les futures Écoles supérieures du professorat et de l’éducation et le rétablissement d’une vraie année de stage permettront ils de changer pour autant la donne, beaucoup l’espèrent, encore faut travailler sur «l’art d’enseigner», compétence peu reconnue jusque là, pourtant enseignant est avant tout un passeur …

A suivre …

Lorsque l’on s’attaque aux fondations, qu’elles soient celle de l’éducation ou de la citoyenneté, plus que l’écume éphémère c’est la vague qui importe et emporte. Tout changement ne se mesure que sur un temps long, ce qui nécessite constance et cohérence.
Il serait bon, chacun peut rêver, que le politique intègre cette donne avec humilité, détermination mais aussi sens des réalités. Le mouvement initié doit se poursuivre malgré l’alternance politique, c’est un enjeu national qui nécessite un minimum de consensus.

Si réformer l’Education ne peut se faire sans les enseignants, ceux ci doivent également admettre, qu’il est nécessaire de remettre à plat leur profession, afin de retrouver une nouvelle dynamique.
Dans ce challenge, les syndicats peuvent jouer un rôle moteur, il en va de la survie d’un système scolaire qui s’il n’est pas à bout de souffle s’essouffle quelque peu.
Chacun doit comprendre que la clé de voute du système, repose sur la relation entre l’enseignant et les élèves, notamment ceux qui sont en difficulté, mais que cet objectif implique tous les acteurs de la Communauté Educative et plus globalement de la vie publique, car il semblerait que le déterminisme social se poursuit au delà des murs des écoles.

Nous acquittons aujourd’hui la facture de 10 ans d’abandon d’une école, considérée par certains comme une charge alors qu’elle est avant tout un investissement immatériel de premier rang pour le devenir du pays. Ce qui ne veut pas dire forcement  dépenser toujours plus, mais mieux !
Car et c’est tout l’intérêt de telles études il est indispensable que l’investissement réalisé soit efficient, un euro public se doit d’être avant tout utile. Il faudrait expliquer au citoyen, pourquoi notre système est un de ceux qui coute le plus cher avec de tels résultats …

L’OCDE souligne que pour  parvenir à l’équité il faut « adopter des politiques qui améliorent l’inclusion verticale et horizontale ». En terme moins savant et plus concret cela signifie qu’il faut combattre les inégalités sociales, mais aussi territoriales. Les lecteurs de ce blog connaissent ma sensibilité sur ce sujet, j’y reviendrais sur les rythmes scolaires, problématique qui fera l’objet d’une prochaine note.

A savoir

Etat des lieux

1. L’effort de financement global de l’éducation en France a baissé de près d’un point de PIB entre 2000 et 2009. Le budget de l’Education nationale (hors recherche et enseignement supérieur) représente 21% du budget de l’Etat en 2012 contre 28% en 2007.

2. Les élèves sont en augmentation constante depuis 2006 dans le primaire (+59.000 en 5 ans), comme au collège (+41.000). Plus de 154.700 postes d’enseignants ont été supprimés entre 2000 et 2011.

3. Pour l’OCDE, la France est l’un des pays qui « amplifie le plus sur le plan scolaire les inégalités sociales avec une part croissante d’élèves en difficulté : 15% en 2000 contre 20% en 2009. »

3. En 2011, l’Etat ne consacrait que 5.620 euros par an et par élève dans l’enseignement primaire contre 9.110 euros dans l’enseignement secondaire.

4. La France rémunère mal ses enseignants si l’on se compare à nos voisins européens: en 2009, le salaire moyen de début de carrière pour un enseignant du primaire dans l’UE à 21 était par exemple de 30.150 dollars contre 24.006 en France et de 39.735 dollars après 15 ans d’exercice contre 33.359 dollars.

5. Le taux de scolarisation à deux ans a chuté de 35% en 2002 à 13,6% en 2010. En primaire, ce ne fut pas mieux: en 5 ans de mandature Sarkozy, le nombre classes primaires a baissé d’environ 500 par an alors que le nombre d’élèves en primaire a progressé de 52.000.

6. La réforme de la formation des profs réalisée par Nicolas Sarkozy a été un total fiasco. Le nombre de candidats au professorat a chuté de 35.000 en 2009 à 18.000 en 2010.

7. La réduction du temps scolaire en classe de primaire (de 4,5 à 4 jours par semaines), en 2008, a été un échec dénoncé par tous, notamment dans un rapport de l’IGAENR-IGEN tenu secret jusqu’après l’élection présidentielle de 2012: la semaine de quatre jours « va généralement de pair avec une déploration unanime des acteurs ».

8. La réduction du nombre d’enseignants depuis 2002 a eu un impact désastreux sur le remplacement des professeurs absents. En 2011, un rapport de l’inspection générale expliquait: « Le système est arrivé aujourd’hui, compte tenu de ces pratiques de gestion, accentuées par les récents retraits d’emplois de titulaires sur zone de remplacement, à un point de rupture ».

 

PISA Mode opératoire

L’étude Pisa, réalisée tous les trois ans par * de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) l’OCDE, évalue la capacité des élèves de 15 ans à « utiliser leurs connaissances dans les situations de la vie quotidienne et à analyser, raisonner et communiquer de manière efficace ».

Chaque édition comporte une « majeure ». Après la culture scientifique (2006) et la compréhension de l’écrit (2009), l’édition 2012 met l’accent sur la culture mathématique.

A la cotisation de 283 000 euros pour participer au questionnaire central (sans les questionnaires élèves ou parents, facturés en plus), s’ajoutent au minimum 251 000 euros de dépenses occasionnées en France en salaires (trois temps-plein), impression des carnets des élèves (56 000 euros), corrections (160 journées de travail pour faire passer PISA à 4 300 adolescents.

En France, 230 établissements ont été désignés de manière aléatoire, au sein desquels 35 élèves ont été choisis au hasard. Un test a également été distribué aux chefs d’établissements pour évaluer le climat scolaire. Les épreuves durent deux heures en tout et comportent des questions à choix multiple (QCM), mais aussi des items demandant aux élèves de formuler leurs propres réponses. Ceux-ci ont par ailleurs répondu à un questionnaire annexe sur eux-mêmes, leur milieu familial, leur établissement, afin de comprendre l’impact de l’environnement sur l’apprentissage. Les tests sont réalisés avec l’aide d’experts internationaux afin de s’assurer qu’il n’y a pas de biais culturel.