11 novembre : Rien n’est jamais acquis

 

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Photo Damien Douche

 

Il peut apparaître aux jeunes générations, quelque peu désuet, superflu, inutile, suranné, ringard même, de célébrer tous les 11 novembre, la fin d’une guerre du siècle passé, tant la paix semble aujourd’hui, installée et durable. Chacun la croit immuable, assurée, définitive, perpétuelle la paix …

Pourtant nous vivons dans une société d’hommes, et depuis la nuit des temps, depuis que l’homme est homme … Rien ne lui ai jamais acquis…

« ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur,
et quand il croit ouvrir ses bras, son ombre est celle d’une croix,
et quand il croit serrer son bonheur, il le broie »
(Aragon).

Il est important que les nouvelles générations comprennent que l’homme est faillible, que rien n’est immuable, que tout est destructible, y compris et surtout le bonheur, que celui ci peut juste dans une vie constituer un moment de grâce éphémère et fugace, que si l’histoire ne se répète jamais, elle bégaie pourtant souvent …

C’est pourquoi il est important de mobiliser autour des commémorations comme celles du 11 novembre, afin qu’elles (re)deviennent des moments privilégiés de citoyenneté et de recueillement …

Merci à tous ceux qui y contribuent, aux musiciens qui apportent l’émotion juste, aux anciens combattants, passeurs et transmetteurs de valeurs dont le rôle devient  combien utile et nécessaire aujourd’hui, aux enseignants qui en participant à ces cérémonies avec leurs élèves font oeuvre utile et contribue à forger la citoyenneté de leurs élèves et leur conscience républicaine.

 

Rien n’est jamais acquis, même pas la paix, car la paix n’est pas le cadeau éternel tombé du ciel décrit par certains …

Non …

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 Photo Damien Douche

C’est un trésor fragile, transmis par les générations qui ont connu la guerre, qui en ont souffert, dans leurs cœurs et leurs corps, et s’en souviennent toujours aujourd’hui pour ceux, de plus en plus rares, qui sont encore en vie, avec douleur et effroi …

Ce terrible conflit dont nous célébrons la fin, a fait près de 20 millions de morts de tous les cotés, militaires et civils.
Il a marqué la fin d’une époque et l’irruption des temps modernes, dans le sang, la douleur, l’horreur, la détresse et le fracas …
Près de vingt millions de morts, avec pour chacun, une destinée effacée, une vie qui s’est envolée, une famille atteinte et parfois éteinte à jamais …

Nous vivons une époque tumultueuse.

La planète vacille, les guerres se multiplient, le terrorisme atteint la France douloureusement, nos concitoyens doutent de plus en plus et s’interrogent sur un avenir incertain, le nationalisme comme à l’orée de 1914, se développe, certaines digues de citoyenneté et de solidarité lâchent …

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et souvent c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres … » (Gramsci)

Ici, ou là, l’individualisme, l’égoïsme, le nationalisme trouvent de nouveaux échos, de nouveaux ambassadeurs …

Rien n’est jamais acquis …

 Au crépuscule de sa vie, un de nos anciens Présidents avait eu des mots graves et justes. Il avait la particularité d’être nait en 1916, il y a tout juste 100 ans, lors de la Grande Guerre, d’avoir connu comme résistant les affres de la seconde guerre mondiale et en qualité de Président bien des conflits, dont un terrible, en Europe même, à deux heures d’avion de Paris … Autant dire que François Mitterand connaissait la fragilité de la paix, qu’il en mesurait également toute la valeur et toute la saveur …

« Le nationalisme, c’est la guerre ! … La guerre n’est pas seulement le passé, elle peut être notre avenir. »

La guerre n’est pas ce jeu vidéo indolore auquel certains experts veulent nous faire croire. Elle n’est ni propre, ni aseptisée la guerre, y compris lorsque les images des drones atteignant leurs cibles, nous éloignent du fracas des explosions, de la couleur du sang et des cris de douleurs et de terreur des populations civiles atteintes.
Des plumes de la Grande Guerre telle celle de Roland Dorgeles nous rappellent que « la guerre est faite de tranchée ourlée de terre fraîche, comme une fosse commune. C’était peut-être pour gagner du temps qu’on nous y avait mis vivants. »

Rien n’est jamais acquis 

C’est cela commémorer le 11 novembre …

Se souvenir pour agir, afin d’éviter que l’histoire ne bégaie encore, de manière tragique …

Une des autres leçons de la Grande Guerre, pas assez rappelée me semble t’il, est qu’il faut également veiller à la douleur des vaincus.
Une vérité à méditer, en temps de guerre comme en temps de paix, tant elle concerne également ceux qui estiment être des « vaincus de la crise », afin d’éviter que tout nouveau « clair obscur » ne survienne …

Louis Aragon l’a rappelé dans son beau poème « les larmes se ressemblent »…

« Qui peut dire où la mémoire commence

Qui peut dire où le temps présent finit

Où le passé rejoindra la romance

Où le malheur n’est qu’un papier jauni

Comme l’enfant surprit parmi ses rêves

Les regards bleus des vaincus sont gênants »

 Il nous parlait d’hier, mais ses mots résonnent singulièrement aujourd’hui.

Savourer la paix, la défendre, la protéger, retenir deux, trois leçons de vie d’un temps passé marqué par l’empreinte de la mort, un siècle touché par deux guerres mondiales successives, tant l’histoire bégaie parfois,

Agir afin qu’aujourd’hui et demain soient toujours une fête …

C’est surtout cela commémorer le 11 novembre …

Les larmes se ressemblent

« Dans le ciel gris des anges de faïence

Dans le ciel gris des sanglots étouffés

Il me souvient de ces jours de Mayence

Dans le Rhin noir pleuraient des filles-fées

 

On trouvait parfois au fond des ruelles

Un soldat tué d’un coup de couteau

On trouvait parfois cette paix cruelle

Malgré le jeune vin blanc des coteaux

 

J’ai bu l’alcool transparent des cerises

J’ai bu les serments échangés tout bas

Qu’ils étaient beaux les palais les églises

J’avais vingt ans Je ne comprenais pas

 

Qu’est-ce que je savais de la défaite

Quand ton pays est amour défendu

Quand il te faut la voix des faux-prophètes

Pour redonner vie à l’espoir perdu

 

Il me souvient de chansons qui m’émurent

Il me souvient des signes à la craie

Qu’on découvrait au matin sur les murs

Sans en pouvoir déchiffrer les secrets

 

Qui peut dire où la mémoire commence

Qui peut dire où le temps présent finit

Où le passé rejoindra la romance

Où le malheur n’est qu’un papier jauni

 

Comme l’enfant surprit parmi ses rêves

Les regards bleus des vaincus sont gênants

Le pas des pelotons à la relève

Faisait frémir le silence rhénan. »