19 mars 2022, « il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube »

Nous avons célébré comme chaque année, le 19 mars 1962 afin d’honorer la mémoire de toutes les victimes de ce conflit, civiles ou militaires. Une guerre trop longtemps sans nom, qui a pourtant fait 30 000 morts, 70 000 blessés, plus d’un million de rapatriés (pieds noirs, harkis …), drôle de bilan pour de simples « évènements » ?
Dire qu’il a fallut attendre 2012, pour que cette guerre soit reconnue comme telle, et 2016, pour qu’un Président y assiste

Faut il souligner que cette date correspond à celle du cessez-le-feu ? Si la paix n’a pas été immédiate, c’est bien le 19 mars 1962 qu’a débuté un long et douloureux processus de sortie d’une guerre qui a divisé si longtemps notre pays. Toute polémique sur le choix du 19 mars, eu égard au sacrifice des victimes, consentis ou non, m’apparaît déplacée, voir irrespectueuse.
La guerre d’Algérie, constitue une véritable tragédie que des générations successives ont porté, une déchirure toujours béante, que ce soit, entre français, entre algériens, entre la France et l’Algérie, entre générations parfois également.
Il ne me paraît pas utile et serein de raviver ces blessures douloureuses pour des motifs aussi peu glorieux qu’une élection, 60 ans après.
« Alimenter la guerre des mémoires, c’est rester prisonnier du passé ; faire la paix des mémoires, c’est regarder vers l’avenir. » (François Hollande)

Après le temps de la guerre, vient celui de la résilience, « l’art de naviguer dans les torrents de la mémoire », puis celui du souvenir et de la réconciliation. Triste constat, nous n’en sommes toujours pas là en 2022.

Ce 19 mars 2022 qui a de fait revêtu une dimension dramatique et tragique suite à l’attaque de l’Ukraine par l’armée de Poutine dans une guerre d’une autre époque, anachronique, presque dystopique. Comment en cette journée de commémoration ne pas avoir de pensées pour nos amis ukrainiens.

Lors de la cérémonie, j’ai exprimé toute notre admiration et notre soutien au peuple ukrainien, défendant son pays avec passion, détermination et courage. J’ai témoigné de la solidarité des Trilportais aux réfugiées, qui s’est déjà exprimés, et qui s’exprimera encore plus demain.
Nous avons respecté une minute de silence en l’honneur des victimes ukrainiennes et ukrainiens de ces derniers jours.

La question que nous pose la guerre d’Algérie 60 ans après est à la fois simple et compliqué : Comment à partir des leçons du passé, comprendre et construire le présent afin de préparer un futur plus serein ?

« Celui qui accepte son passé est maître de son avenir. » a écrit Kamel Daoud, écrivain et éditorialiste algérien pour décrire les fractures du pays qui est le sien vis à vis d’un passé, d’une culture et d’une identité quelque peu hybride.

Si cette question est moins prégnante en France, elle se pose tout de même. Nous nous devons de porter un regard lucide, sur le passé, y compris colonial de notre pays, de poursuivre un travail d’histoire et d’analyse des faits, en transparence, afin non de se « flageller » mais simplement d’en tirer tous les enseignements. Nous partageons avec les anciennes colonies, un patrimoine commun, celui de la francophonie.
Et la période chaotique que nous traversons au niveau géo politique se doit de nous amener à nous poser les bonnes questions, à purger ce qui doit l’être pour que vienne, véritablement une réconciliation durable.

Si le futur ne peut s’écrire à l’encre des rancœurs du passé, mais au contraire les dépasser, il faut veiller à ne pas les laisser lettre morte, tant ces rancœurs peuvent de nouveau ressurgir brusquement et se rappeler à nous tels les monstres évoqués par Gramsci avec leur cortège de douleur et de malheur. L’agression de l’armée de Poutine en est la meilleure illustration. L’émergence d’une véritable souveraineté européenne sera la meilleure réponse.

Nous prenons conscience aujourd’hui que la paix n’est pas éternelle telle que l’indiquait Michel Serres 1930-2019).

« Entre ma naissance et mes trente ans je n’ai connu que la guerre, la guerre, la guerre … J’ai une admiration éperdue pour la paix que nous a procuré l’Europe, du fond de mes rides il y a ce malheur-là, il ne me quittera jamais …
Depuis l’origine des temps jusqu’à maintenant, l’humanité a été en paix 5% du temps … Je porte ce souvenir profondément au fond de mes rides »

Si nous sommes aujourd’hui aussi solidaires du peuple ukrainien, c’est « qu’il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube » (Aimé Cesaire), surtout quand cette aube, une Europe démocratique, souveraine et libre, nous est commune.

Sinon nous ne serons plus jamais en paix.