Dimanche 24, ne nous trompons surtout pas d’élections

«  Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Gramsci

Si dimanche prochain le second tour de l’élection présidentielle revêt une importance capitale, son résultat demeure toujours indécis et incertain au regard du contexte politique anxiogène que nous connaissons. Cela peut surprendre, vu la gravité des enjeux que doit relever le pays à court, moyen et long terme, mais c’est ainsi.
Aussi que les choses soient dites : ne pas voter Emmanuel Macron c’est assumer le risque de voir Marine Le Pen et ses idées arriver à l’Élysée le 24 avril au soir.

La situation politique est effectivement «perturbée », comme le soulignent certains signaux faibles du 1er tour qui devraient interpeller la classe politique, tant le pire pourrait arriver un jour et espérons que cela ne soit pas ce dimanche soir :
– Plus d’un français sur quatre ne s’est pas déplacé pour voter,. Ce record pour une présidentielle risque fort d’être battu dimanche 24 avril ;
– Près de 800 000 personnes n’ont voté pour aucun des 12 candidats en lice (bulletins nuls ou blanc), soit plus que les voix réunies par Anne Hidalgo ou Nicolas Dupont-Aignan.
– Les formations politiques comme le PS, les écologistes, le PC ou LR n’ont pas atteint les 5%, Anne Hidalgo ne totalisant que la moitié des votes de Jean Lassalle.

Ce panorama témoigne d’un profond malaise démocratique et d’un divorce latent entre les « politiques » et trop de français , l’élection présidentielle intervenant dans un contexte inédit. Nos concitoyens sortent littéralement  »rincés » et désorientés de la succession de crises inédites et systémiques qui s’est abattue sur la France et la planète ces derniers mois : sociale (gilets jaunes), sanitaires (Covid), économique et militaire (Ukraine), environnementale (rapport du GIEC) …
Autant d’événements qui ont déstabilisé un peu plus une société déjà à la peine, confrontées a des transitions douloureuses et multiples à surmonter, devant le faire sans mode d’emploi explicite, boussole, cap vers où se diriger et balises. Incertitudes exacerbant une crise identitaire et existentielle du pays qui dure et perdure tant elle ne date pas d’hier.

Nos concitoyens attendent « un récit commun à écrire et partager ». Une attente légitime qui ne semble cependant pas troubler outre mesure une classe politique engluée dans des rivalités internes d’un autre temps, prisonnière d’une bulle filtrante qui la déconnecte totalement des priorités, peurs et inquiétudes d’un pays en transition, d’un pays qui doute, qui s’interroge sur lui même et son devenir comme de sa place dans le monde.

Je reviendrais peu après sur les causes de ce désenchantement républicain, mais avant toute chose il faut souligner l’importance du scrutin du 24 avril. La question posée n’est pas de choisir entre le niveau d’un verre à moitié plein ou à moitié vide, dimanche soir, selon le résultat, le verre pourrait bien se briser, mais de rappeler simplement ce qu’est l’extrême droite et toutes les conséquences de sa victoire éventuelle au scrutin présidentiel.

La problématique de ce second tour, n’est pas, contrairement à ce que je lis ou entend, de cautionner ou non la politique de Macron et encore moins de lui signer un chèque en blanc, le 1er tour a été sur ce point instructif 😉
La question à laquelle les français doivent répondre est d’un tout autre niveau : accepter ou non l’impasse que constituerait l’extrême droite pour notre pays et l’Europe, refuser ou non de cautionner les « valeurs » qu’elle porte.
Déposer le bulletin Emmanuel Macron dans l’urne dimanche prochain, ne signifie pas donner quitus à sa politique, d’ici quelques semaines se profilent les élections législatives, chaque élection possède sa logique propre. Rappelons quelques évidences que trop semblent oublier aujourd’hui :
– Agir pour le respect des différences, des cultures, de la laïcité, trésor précieux et fragile s’il en est, c’est voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron ;
– Refuser le populisme, la démagogie, le racisme c’est voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron ;
– Maintenir le cadre républicain, le respect des institutions et des conditions d’un débat démocratique serein et respectueux, c’est voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron ;
– Dire non à Poutine et Orban et oui à l’Europe comme à la planète c’est voter contre Marine Le Pen et pour Emmanuel Macron, n’en doutons pas une seconde Poutine lui vote Marine …

Voilà exprimer simplement l’enjeu du scrutin du dimanche 24 avril. Ne nous trompons ni de combat, ni d’élection, ni de bulletin, s’abstenir c’est assumer de prendre le risque de voir Marine Le Pen l’emporter dimanche soir, l’histoire nous a appris que le pire peut toujours arriver …

Penchons nous cependant sur les causes de ce qu’il faut bien appeler un désamour républicain, c’est bien là que le bas blesse …

Qui est responsable de la situation politique actuelle ?

Pour certains le responsable est tout trouvé, c’est évidemment « la faute à Macron », refrain qui rappelle étrangement celui qu’entonnait Gavroche dans les Misérables « Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau … »
Emmanuel Macron a évidemment sa part de responsabilité, il est le Président sortant …
La verticalité et l’arrogance de son début de quinquennat ont profondément agacé et divisé les français, comme sa volonté, assumée, de disrupter et de cliver … Force est cependant de constater, que depuis il a appris, souvent à ses dépens, et a développé une capacité d’écoute peu commune, y compris si les crises du Covid, et Ukrainienne lui ont laissé au final peu de temps et d’espace pour le démontrer …
Le rejet qu’il continue d’inspirer à beaucoup de nos concitoyens souligne qu’il lui faut travailler encore sur ce que certains considèrent comme des défauts de jeunesse et qui portent un préjudice indéniable à son action. En politique la forme n’est jamais accessoire, les mots humilité, écoute, dialogue, acceptabilité constituent autant de vrais boussoles.

Est il cependant logique d’imputer à l’actuel président le manque de projet alternatif ? Évidemment non, ce serait lui faire un mauvais procès et oublier la responsabilité écrasante des formations traditionnelles, de gauche comme de droite, qui n’ont durant ce mandat pas voulu renouveler logiciel, organisation, cadres.
La lourdeur et l’inertie d’appareils politiques d’un autre temps dont la gouvernance est la chasse gardée d’apparatchiks vivant en vase clos, les égos hypertrophiés de second couteaux dans l’incapacité de se fédérer et de nouer des alliances, les postures politiciennes de phraseurs en manque d’auditoire et d’audience n’ont certainement pas contribué à l’émergence d’un projet alternatif solide et crédible.
La politique ne se limite pas à planifier et dérouler un plan de carrière personnel, à cultiver son égo, à gagner des élections simplement pour vaincre, il s’agit avant tout de s’engager, s’impliquer dans la vie publique, travailler sans relâche pour changer la vie de ses concitoyens, contribuer à proposer aux prochaines générations une planète plus durable et un pays en bon état, innovant, positif et créatif … Ce qui exige de privilégier aux mots parfois creux ou aux slogans sans lendemain, des actes et réalisations concrètes …
Qu’ont fait ces formations et leurs dirigeants durant la quinquennat Macron, excepté critiquer, dénigrer, s’opposer, se compter, se comparer, se diviser ?
Aucun travail de fond n’a été mené auprès de nos concitoyens pour construire un projet collectif tenant compte d’un monde qui ne cesse d’évoluer, de s’adapter aux exigences et aux difficultés d’une société sous le feu croisé de transitions multiples et déstabilisantes, tous se sont contentés d’un positionnement géo stationnaire ad hominem …
Le « personnel politique » prisonnier d’une bulle filtrante, chambre d’écho et de distorsion de leurs égos contrariés, n’a même pas entamé l’once du début dune auto critique ou fait l’effort minimum d’analyser un tant soit peu les causes qui en 2017 avaient provoqué l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron … Car n’oublions jamais Jaures, pour promettre l’idéal encore faut il comprendre le réel …

De la Béfémisation des chaînes publiques.

Beaucoup critiquent à raison BFM ou CNews, chaînes continues d’information (« le nez dans le ruisseau » ), cependant l’objectivité oblige à préciser que la télé publique, notamment les journaux télévisés de la mi journée et de la soirée déploient désormais une analyse éditoriale in fine assez similaire, le pli pris durant la crise des gilets jaunes devient une véritable marque de fabrique.

Toutes ces dernières semaines, le sujet central abordé et de la manière la plus lancinante, midi et soir, soir et midi, le thème qui a consommé le plus de temps d’antenne, a été celui du pouvoir d’achat érigé priorité essentielle et axe principal du scrutin présidentiel !
Il est dommageable que tant d’autres dimensions clés, également dignes d’intérêt tant elles structurent le quotidien et notre avenir comme le futur immédiat ( situation géo politique, souveraineté énergétique, environnement, fractures sociales, territoriales et sociétales :santé, éducation …) n’aient été traitées qu’en arrière plan ….
Cette hiérarchisation de l’informatisation interpelle, tant elle vise à réduire le champ de vision des citoyens et à les orienter sur eux même et l’immédiateté de l’instant, plutôt qu’aborder le fond des problématiques afin d’élargir la focale, d’intégrer un brin de relativisme et d’aborder les sujets qui demain impacteront durablement notre avenir et sur lesquelles il importe d’agir au plus vite aujourd’hui … Rien ou si peu sur l’environnement, le numérique, la citoyenneté …
Combien de micro trottoirs s’attardant uniquement sur les conséquences de l’augmentation des prix, commentant les commentaires des commentaires, alimentant les propositions en mode Lépine de certains candidats populistes, mais n’abordant surtout pas la problématique des causes, des dépendances à lever pour que demain d’autres alternatives deviennent enfin possibles .

Les journalistes de la télévision publique devraient se rappeler la citation de Jean Louis Godart “Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. » .
Jusqu’à présent il était possible de décliner les propos du célèbre cinéaste en comparant chaines d’informations continues et chaines publiques, force est de constater que ce n’est plus le cas, malheureusement. La télé publique fait de plus en plus baisser la tête alors qu’auparavant, elle contribuait grandement à nous la faire lever afin de nous informer, nous faire découvrir les défis que le monde et la planète se doivent de relever, nous ouvrir des perspectives d’ailleurs également … Cette couverture médiatique comme les enjeux que nous devons relever soulignent l’importance de réhabiliter dans l’inconscient collectif la notion du long terme, de la transmission et de la responsabilité à assumer …

De l’importance de s’attaquer aux causes plus qu’aux conséquences

Il est grand temps de suggérer à beaucoup de politiques, journalistes, « grands esprits » de méditer sur la maxime attribuée à un célèbre évêque de Meaux :

« Dieu se rit des hommes (et des femmes) qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes » (*)

L’urgence aujourd’hui n’est pas uniquement de privilégier le conjoncturel et l’immédiateté de réponses trop souvent éphémères et récurrentes, mais bien de traiter le mal à la racine, de s’adresser aux causes et s’y attaquer enfin ….


Chacun doit y contribuer, l’histoire nous a appris que l’Extrême droite surfe et prospère toujours sur les douleurs et les peurs de nos concitoyens, sur les conséquences de causes de plus en plus difficiles à traiter, tant notre société est devenue complexe …

(*) citation exacte

« Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance. » Histoire des variations des Eglises protestantes (1688) de Jacques Bénigne Bossuet