8 mai 2021, « Écoute aujourd’hui, jeunesse de France … »

Retour au monde réel pour une commémoration du 8 mai qui restera dans la mémoire des Trilportais présents comme un moment exceptionnel et émouvant, lors duquel un de nos concitoyen, Théodore Marin a reçu la croix de Chevalier de l’Ordre de la Légion d’honneur.
Une distinction méritée mais au combien tardive, le récipiendaire venant juste de fêter ses 95 ans.
C’est d’autant moins compréhensible lorsqu’on connait son parcours de vie. A l’âge de 18 ans il rejoint la Résistance (FFI), puis s’engage au 151e régiment d’infanterie, contribuant à la libération du pays. La seconde guerre mondiale ne se terminera pour lui que bien après, puisqu’il suit en 1946, le Maréchal Leclerc en Cochinchine et au Tonkin afin de combattre les troupes japonaises. Ce passé militaire lui a valu plusieurs décorations (dont : médaille militaire, croix de guerre 39/45, croix du combattant volontaire).
Il exercera ensuite plusieurs missions pour les PTT avant d’être embauché au CERN à Genève, ou à force de travail et de nombreux concours, il terminera Ingénieur Thermicien.

Si la légion d’honneur est destinée « à récompenser les français, civils et militaires, ayant rendu des mérites constatés à la nation … », la vie de Théodore Marin en est la parfaite l’illustration. A 18 ans il s’engage contre le nazisme afin de « Face aux ténèbres, dresser des clartés, planter des flambeaux … Des clartés qui persistent, des flambeaux qui se glissent, entre ombres et barbaries … Des clartés qui renaissent, des flambeaux qui se dressent, sans jamais dépérir … Et d’enraciner l’espérance dans le terreau du cœur, et adopter son esprit frondeur. » (Andrée Chedid).

J’ai rendu hommage à cet engagement citoyen hors du commun, en reprenant un extrait du fameux discours de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. Un discours épique, d’une autre époque, qui appartient désormais à l’histoire comme la silhouette même d’André Malraux, debout, seul face à son pupitre, déclamant et scandant au rythme de sa respiration et d’un vent venu des limbes, l’hommage de la nation au chef de l’armée des ombres.
Derrière chaque mots déclamé, le souvenir de vies sacrifiées et l’évocation d’une époque insensée, d’années de douleurs, larmes, cendres, de morts et de fureur, époque oubliée aujourd’hui mais qui devrait sans doute nous amener à relativiser quelque peu les tourments de ces derniers mois dus à la crise sanitaire …

Chaque génération de la « jeunesse de France » doit se souvenir de l’abomination absolue du nazisme, de la Shoah et des camps d’extermination. Toujours et encore se souvenir, ne jamais oublier l’inoubliable, l’abject, et combattre les idées nauséabondes l’ayant provoqué.
Ne jamais oublier, afin d’être dignes de celles et ceux qui sont tombés, tués dans les combats, fusillés, gazés dans les camps, victimes de la peste brune qu’était le nazisme, ou de celles et ceux qui s’en sont sortis et qui comme Théodore Marin ont su avec courage et témérité dresser des flambeaux face aux ténèbres en faisant rimer résistance avec espérance … Il fait partie de ses éveilleurs de conscience, rares sont encore parmi nous, qui ont ouvert la voie, et permis au pays de retrouver son esprit frondeur en relevant la tête.

En l’honorant c’est la nation qui s’honore et lui rend enfin justice … A 95 ans …

C’est aussi cela l’utilité de telles cérémonies, d’autant que juste après le 8 mai, se profile le 9 mai, jour de l’Europe … Un trait d’union symbolique et bienvenu

Les commémorations du 8 et 9 mai sont d’autant plus précieuses qu’elles forment un trait d’union symbolique entre deux époques, deux conceptions de l’Europe, celle du monde d’antan, se déchirant dans des guerres fratricides et successives, et celle d’aujourd’hui, « unie dans sa diversité » qu’il nous faut consolider.

Lier ces deux célébrations c’est aussi démontrer que nos pays ont appris de leurs erreurs passés et qu’il leur est possible d’écrire une nouvelle page d’une histoire devenue partagée et commune …
Autour de ces célébrations, nous devons transmettre, non la haine d’antan, le nationalisme ou le repli sur soi, mais le courage, l’ardeur, l’engagement la sagesse de ceux qui ont eu l’audace « d’enraciner l’espérance dans le terreau du cœur » et de nous la faire partager.

Les femmes et les hommes comme Théodore Marin, savent mieux que personne que la paix n’est pas un cadeau tombé du ciel, mais un moment de grâce, une responsabilité partagée, un patrimoine commun fragile à protéger.
Si dans son message Geneviève Darrieussecq, Secrétaire d’Etat aux anciens combattants, a André Malraux, « Un monde sans espoir est irrespirable », nos anciens, nous ont rappelé, la cérémonie de ce jour l’illustre que « là où il n’y a pas d’espoir nous devons l’inventer » (Albert Camus) … Au pire moment de notre histoire, aux confins des ténèbres de la peste brune du nazisme, ils ont su ré inventer l’espérance, simplement en résistant …

A nous de prendre le relais. Célébrer la mémoire du passé, honorer nos anciens, transmettre leur héritage, c’est aussi prévenir le futur …

J’ai tenu à transmettre le message d’amitié de Johanes Moser Bourgermeister d’Engen, notre ville jumelée, qui nous attend début octobre, si la situation sanitaire l’autorise, afin de fêter et célébrer enfin, avec une année de retard du fait du Covid, les noces d’Opale de l’amitié entre Engen et Trilport.
Là encore une date symbolique, le 3 octobre constituant pour les allemands le jour de l’Unification, mais date symbolique également pour l’Europe, puisque célèbrant de fait, la chute du mur de la honte qui a trop longtemps divisé ce continent et ses peuples.

Extraits du discours hommage à Jean Moulin, prononcé par André Malraux le 19 décembre 1964

« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège.
Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ;
Et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé;
Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration,
Avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses;
Avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes,
Avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle – nos frères dans l’ordre de la Nuit…
… / …
Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici.
A côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès, veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées.
Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. 

Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège.
Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ;
Et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé;
Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration,
Avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ;
… / …
Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. »