La Seine-et-Marne est désormais vue du ciel, s’il existe ?

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C’est avec tristesse que je viens d’apprendre que Christian Bartillat vient de tourner avec élégance la dernière page de sa vie, afin d’écrire de sa belle écriture déliée le mot fin …

Et des pages on peut dire qu’ il en a connu … écrites avec passion, rigueur et humilité de sa plume alerte et précise, ou découvertes en provenance de tous les horizons et de tous les continents …
Ce diplômé en sciences politiques, essayiste et écrivain, a surtout été pour la majorité d’entre nous un éditeur de premier plan.

Je devrais plutôt dire « à géométrie variable »,  tant il a accordé autant d’importance, de considération et de respect à des auteurs majeurs tel Karen Blixen, Anais Nin, Virginia Woolf ou Henry Miller qu’il a contribué à faire connaître en France, qu’à des historiens locaux anonymes dédiant leur existence, à la petite histoire des petites gens d’antan ou à leur territoires .…

Cet éditeur reconnu de la place de Paris, directeur général des Éditions Stock, avait en effet décidé de consacrer la dernière partie de sa vie, à contribuer à nous rappeler l’importance et la qualité d’un patrimoine historique, culturel local, trop souvent méconnu, oublié ou même ignoré … Un des livres édités par les presses du village, ne s’appelle t’il pas « La Seine et Marne vue du ciel » ?

Il l’a fait en présidant notamment aux destinées de la Société d’histoire et d’art de Meaux, mais surtout en créant les éditions « Christian de Bartillat », puis les Presses du Village qu’il a dirigé durant vingt-huit ans, jusqu’en 2010, lors de la cessation d’activités d’une maison d’édition,  atteint par la maladie 

 

Cela a été une si belle aventure …

 

 

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Pour faire vivre de telles sociétés d’éditions, il faut non seulement du talent, de la passion, mais aussi des moyens financiers, car ce sont bien les économies de ce mécène qui ont permis aux Presses du Village, de fonctionner tant d’années.
Il avait eu cette heureuse formule lors d’un interview accordé à Bernard Pivot « En tant qu’éditeur, je ne créé pas, je procréé » …

Et des enfants de papier, il a en eu, à foison …

Un interview émouvant, qui m’a permis d’entendre pour la première fois, sa vraie voix, une belle voix grave, profonde et précise, où chaque mot était à sa place et pesé.  Lors de nos rencontres, j’avais été frappé par l’altération de cette voix brisée par la maladie, mais qui malgré la déformation due à l’appareillage, était littéralement habitée par la passion et la flamme communicative qu’il consacrait à tous ses auteurs …  

Nous avons mené à terme à l’époque un projet commun, qui sans son concours désintéressé n’aurait jamais pu voir le jour : la réédition  d’un livre, qu’une de mes concitoyennes Michele Bardon, auteur des « Presses du village » et historienne locale reconnue, avait consacré à ma ville, Trilport. J’ai aujourd’hui une pensée émue, pour luises proches, mais aussi Michèle Bardon, qui nous a quitté il y a déjà quelques année et qu’il a tant soutenu dans ses travaux.

Je  tiens à associer à cet hommage un ami toujours en activités, Damien Blanchard. Depuis des années il se bat et se débat pour faire vivre, lui aussi, une maison d’édition dédiée à l’histoire locale : les éditions Fiacre. Ce n’est pas pour rien que Christian de Bartillat lui avait d’ailleurs proposé de reprendre les rênes des « Presses du Village ».

Pour perpétuer son souvenir,  chacun peut contribuer à ce que  Damien Blanchard poursuive son activité de « passeur » et d’éveilleur qu’il partage avec ce gentleman de culture et d’histoire locale qu’était Christian de Bartillat, pour qui le mot culture s’écrivait au pluriel, avec humilité, considération, ouverture et respect, tant de l’oeuvre, que de ou des auteurs mais aussi et surtout des lecteurs.

 

 

 

Voilà ce que je déclarais lors de la présentation du livre de Michèle Bardon 

Il est essentiel à l’heure d’Internet, du zapping et de l’instantané, de saisir tout le poids du passé, et de prendre le temps de la réflexion. Un élu qui aime son territoire et dispose de la dose d’humilité minimale, le sait … Les leçons de l’histoire se conjuguent au présent, souvent au futur et quelquefois au conditionnel .

C’est le sens de l’engagement de Christian de Bartillat, à qui je veux rendre hommage et sans qui nous aurions eu beaucoup plus de mal à boucler ce projet.  Cet homme de passion, de valeurs et de fidélité, a choisi il y a 25 ans d’implanter dans un village voisin, Etrépilly, une société d’édition dénommée « Les Presses du Village ».  Le choix de cet érudit, dirigeant de grandes maisons d’édition ( le Seuil, les Presses de la cité) loin des canapés et des petits fours des milieux intellectuels parisiens en a surpris plus d’un. C’était un choix du cœur,  qui s’est révélé au fil du temps précurseur … Le Développement Durable c’est aussi cela !

Avec sa société d’édition, il a contribué plus que quiconque à faire revivre l’histoire de cette région, mais également à permettre à de nombreux historiens animés d’une passion commune à la faire partager. Plus que jamais, je pense qu’il n’y a pas de petite histoire ou de grande histoire, il y a l’histoire … il n’y a pas non plus de petites gens sans importance, mais des hommes et des femmes qui passent , s’épanouissent et marquent parfois leur passage ici bas, d’une empreinte fugitive ou monumentale, qui peut surgir soudain au détour d’un quartier…

C’est également ce qu’écrit avec ses mots, Michelle Bardon :

 « Peut-être faut-il savoir, par delà le temps, retrouver la présence des amis disparus, avoir savouré la douceur qui inonde de sa paix champs et bois aux derniers rayons du soleil vespéral, la joie des matins de Pâques, fleuris d’oiseaux et d’arbres fruitiers, lorsque se répondent dans le ciel d’un bleu très pur, tous les clochers d’alentour,. les murmures bruissant du silence de la forêt, les jeux du vent dans les mais et dans les blés, la sérénité altière de la Marne ou encore, après la pluie, les pleurs des roses des jardins, peut-être faut il avoir goûté la quiétude de ces lieux pour s y attacher profondément et en apprécier la beauté toute simple?

 

Semprun, « rouge espagnol de l’armée en déroute »

semprun.jpgJorge Semprun est mort à l’âge de 87 ans, il a été inhumé en Seine-et-Marne, le 7 juin 2011 revêtu du drapeau républicain espagnol », rouge, jaune, violet …
Sa vie a été plus qu’un roman, tant elle était improbable, de sa naissance à sa mort il a participé à tous les bouleversements et soubresauts traversés par nos pays le siècle dernier … Il a eu plusieurs vies …

Ce fils de diplomate a été successivement réfugié, résistant, déporté, militant, responsable politique, écrivain, scénariste, ministre …
Les différentes identités qui ont rythmé le fil de sa vie, espagnol de naissance et de langue maternelle, français par le lycée, la Résistance et le coeur, allemand par philosophie, sont autant de fleuves qui l’ont mené jusqu’à sa « mère » nourricière, l’Europe …

Car Jorge Semprun est indéniablement et avant tout un européen, citoyen éclairé d’un continent victime des grandes déchirures et fractures politiques et idéologiques du XXe siècle …
Son dernier livre « une tombe au creux des nuages », marque la fin d’un cycle de conférences prononcées en allemand et en Allemagne ces vingt dernières années. L’allemagne ce pays qui l’a tant marqué …

Entre le souvenir lancinant des cheminées de Buchenwald et l’arbre de Weimar, qui aurait inspiré Goethe parait il, ce survivant de camp de concentration, après un long temps de réflexion, a fait son choix et ne s’est souvenu que de Goethe … Jorge Semprún croit en l’homme, malgré et avant tout, son parcours individuel en est l’illustration la plus complète.

« Mais ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont certains êtres que tu as connus. Les livres, la musique, c’est différent. Pour enrichissants qu’ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d’accéder aux êtres » (Le grand voyage)

Le témoignage que constitue son œuvre littéraire, a une portée collective. Il constitue un relais tendu, et transmis aux nouvelles générations, avec pour objectif, de défendre non une vie, des idées ou des idéologies, mais l’héritage humaniste et démocratique de ces valeurs et de ces cultures qui composent et font l’Europe.
Nos pays ont vécu, expérimenté et ressenti la douleur apportée par le coté obscur de la force, celui des totalitarismes… larmes, sang, haine …  ils ont appris à dominer leurs sentiments légitimes de révolte et de colère, puis à rebondir, à se rencontrer de nouveau, avant de se projeter dans l’avenir ensemble, enfin  …

Le titre de son dernier livre est extrait d’un vers du poème de Paul Celan « Todesfuge » (« Fugue de la mort »), il aborde un contexte que Semprun a trop bien connu, celui des camps de concentration.

« il crie, plus sombres les archets, et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré »

L’auteur utilisant pour métaphore l’expression employée par les déportés des camps, qui ne se disait pas entre eux : « un tel copain est mort », mais simplement « il est parti en fumée ».

« Tout m’était arrivé, rien ne pouvait plus me survenir », écrivait-il …

Si ce n’est l’Europe …

 

 

 

 

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Une vie d’européen …

La vie de Jorge Semprun éveille en moi des échos profonds, ceux de mes racines familiales. Je suis petit fils d’émigrés espagnols, simples bergers anarcho syndicalistes originaires de Fraga, qui se sont réfugiés également en France entre les années 1936 et 1938.

Lui est né en décembre 1923 à Madrid, fils d’une famille républicaine de la haute bourgeoisie, son grand-père ayant été à plusieurs reprises président du gouvernement espagnol. Durant la guerre civile  et la victoire inexorable de l’armée de Franco et de ses alliées, les forces nazis de la légion Condor, son père diplomate choisit l’exil et rejoint avec femme et enfants la France en 1939.

Jorge Semprun devient pensionnaire au lycée Henri-IV à 16 ans, puis suit des études brillantes de philosophie et d’histoire à la Sorbonne; devant l’occupation nazie, il rejoint la Résistance française et adhère en 1941 aux réseaux des Francs Tireurs et Partisans, puis au Parti communiste d’Espagne.

En septembre 1943 à 19 ans, il est arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald.

« Je suis emprisonné parce que je suis un homme libre, parce que je me suis vu dans la nécessité d’exercer ma liberté, que j’ai assumé cette liberté ».

Il devient le matricule « 44 904 », responsable des activités culturelles des prisonniers espagnols, puis est  libéré par les chars du général Patton; après son départ de Buchenwald, il décide de ne plus se souvenir, choisissant « l’amnésie délibérée pour survivre ».

Il ne rompra ce silence volontaire qu’en 1963.

« Pour les survivants, la mémoire la plus forte c’est l’odeur des crématoires. Lisez Blum qui parle de « cette étrange odeur » qui lui parvenait par les fenêtres de sa villa du camp de Buchenwald et qui l’obsédait des nuits entières. Comment voulez-vous transmettre une expérience aussi forte en dehors de la littérature… »

Le temps de l’écriture

Rejoignant Paris, Franco étant conforté dans sa dictature, il débute une carrière d’interprète à l’Unesco, avant de repartir en Espagne (1952), et de coordonner la résistance communiste au régime franquiste, sous divers pseudonymes, notamment celui de Federico Sanchez, en charge des relations avec les milieux intellectuels. Il gravit progressivement tous les échelon de ce parti : Comité central puis Comité exécutif (Bureau politique) en 1956.

En 1964, le chef du PCE Santiago Carillo l’exclut du parti pour « déviationnisme ».

Après cette rupture politique, Jorge Semprun renoue les fils avec sa jeunesse littéraire et son douloureux passé, évoqué dans son premier récit, « Le Grand Voyage », qui rappelle les cinq jours de voyage qui l’ont mené de Paris à Buchenwald.

C’est le début d’une nouvelle vie, durant laquelle il « entre en littérature » et écrit de nombreux romans à succés (en 1969, «La deuxième mort de Ramon Mercader» obtient le prix Femina), particularité rarissime, il écrit dans les deux langues : espagnol et français … Puis français …

« Je pourrais vous répondre qu’un écrivain habite sa langue ou plutôt, en ce qui me concerne, le langage. C’est-à-dire un espace de communication sociale, d’invention linguistique. Dans les différentes occasions qui m’ont été données de risquer ma vie, l’idée de patrie ne m’a jamais hanté.

En cela, je diffère beaucoup des intellectuels français qui sont convaincus de savoir non seulement ce qu’est l’identité de la France, mais que cette identité est apparentée à l’universel. »

« Je n’ai pas choisi d’écrire en français, j’ai choisit de maitriser le français. Pour tout le monde j’étais l’étranger, le rouge espagnol de l’armée en déroute. J’étais une ruse de guerre, je voulais être indiscernable

Alors je suis devenu après complètement bilingue. Parce que le français est une langue admirable, l’espagnol est une langue qui a tendance à la grandiloquence, et à l’emphase, une tendance aux chemins de traverse, une complexité baroque » disait il à Bernard Pivot dans une émission d’apostrophes fameuse, avec sa voix si chaude.

Il alterne romans et scenarios de cinéma  avec Pierre Schoendoerffer, Alain Resnais (la guerre est finie), Costa-Gavras (Z, l’Aveu, Section Spéciale), Joseph Losey …

La mort de Franco en 1975, et l’arrivée de Juan Carlos sur le trône d’une monarchie parlementaire, initie une nouvelle séquence durant laquelle il deviendra durant trois ans Ministre de la Culture de Felipe Gonzales. Sa libre parole, son indépendance d’esprit s’adaptent mal à l’activité politique.

Il retourne à ses chemins de traverses, redevint écrivain et membre de l’Académie Goncourt, entre autres …

Le temps d’écrire ses dernières oeuvres, dont « une tombe au creux des nuages »

Puis il est parti …

L’Europe … Verbatim

Pourquoi êtes-vous si réceptif à cette culture viennoise, les Freud, Musil, Broch ?

Parce qu’ils ont contribué à façonner une partie de l’esprit européen. Ce sont ces voix juives, au moment où l’Allemagne s’effondre dans le nazisme, qui sauvent l’âme de ce pays. Aujourd’hui, il ne reste pas grand chose de cette intelligentsia juive européenne. Elle s’est

Buchenwald, le camp ou vous avez été déporté, se situe à Weimar, la ville de Goethe et de la République du même nom… 

C’est un binôme essentiel de la mémoire. Il rappelle que la culture n’empêche pas la barbarie. Les deux peuvent se situer sur le même territoire. Et je vous rappelle qu’après avoir été un camp nazi, Buchenwald est devenu jusqu’en 1950 un camp de concentration soviétique géré par la police de Staline. L’Allemagne reste le seul pays d’Europe à avoir fait l’expérience des deux totalitarismes du XX eme siècle.

Hitler et Staline résument-ils pour vous ce XX e siècle ?

Heureusement non! Mais ils ont marqué ce siècle profondément, bien qu’on ne puisse mettre Hitler et Staline sur le même plan. Ces deux systèmes totalitaires sont comparables du point de vue de leurs conséquences historiques concrètes, mais ils diffèrent sur leurs idéologie et leur finalité proclamée.

Comme le disait le philosophe Max Horkheimer, « celui qui ne peut pas parler du stalinisme devrait aussi se taire sur le fascisme ».

 Ceci dit, le XX e siècle, c’est aussi le cinéma, les arts, la psychanalyse, l’émancipation coloniale, la fin des empires et la libération de la femme qui n’est pas terminée…

L’économie est importante, primordiale, mais la vraie question demeure : l’Europe a-t-elle besoin d’une âme ? 

Je pense que oui. L’Europe, mécaniquement parlant, cela fonctionne. Les jeunes pratiquent tous les jours l’Europe sans même le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Ils se déplacent sans visa, ils peuvent suivent des cours dans différentes universités, ils paient avec la même monnaie.

En revanche, au-delà de cette pratique de l’Europe, il faut la penser. Et là encore, je suis sûr que les écrivains et que la culture ont un rôle fondamental à jouer.

Quel est l’utilité du devoir de mémoire ?

L’expérience des camps nazis est une expérience singulière. En faire un sujet de roman requiert des précautions d’usage, mais je reste persuadé que seule la littérature peut endosser cette mémoire à l’adresse des générations suivante et la rendre vivante.

Il le faut bien et c’est même essentiel puisque bientôt il n’y aura plus de témoins directs de l’extermination qui s’est déroulé dans les camps nazis. Sinon la mémoire va s’éteindre et il y a des histoires que seuls des écrivains peuvent transmettre. Aujourd’hui, pour saisir quelque chose de la guerre de Trente Ans, il nous reste heureusement Mère Courage de Brecht.

Faut-il renoncer à améliorer le monde ?

Sûrement pas ! En revanche, il faut en finir avec l’idée de révolution, de tout changer. Il faut accepter une certaine forme de libéralisme dans laquelle il faut introduire plus de justice, plus de partage.

Tout ceci se fait au niveau des réformes, pas des changements radicaux. Mais je suis conscient qu’il est bien plus difficile de mobiliser les foules sur des réformes que sur la révolution.

« Fugue de mort » (Todesfuge) (Paul Celan, 1945)

Paul Celan a écrit ce poème en mai 1945, à Bucarest, trois mois après la libération du camp d’Auschwitz par l’Armée rouge.

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir

le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit

 nous buvons et buvons

nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens

il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe

il nous commande allons jouez pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez

il attrape le fer à sa centure il le brandit ses yeux sont bleus

enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne

il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

 te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne

nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons

la mort est un maître d’Allemagne son oeil est bleu

il t’atteint d’une balle de plomb il ne te manque pas

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel

il joue les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

tes cheveux d’or Margarete

tes cheveux cendre Sulamith

Il était histoire et actualité

otto.jpgAu moment ou l’Europe vit des heures difficiles, l’itinéraire de deux européens qui nous ont quitté cet été démontrent que cette grande idée a surmonté par le passé des périodes bien plus sombres. Elle survivra sans doute à cette séquence délicate, qui paradoxalement lui permettra d’avancer, cette crise risquant de tout emporter est aussi une nouvelle occasion historique pour l’Europe de progresser.Ce qu’elle fait à chaque fois qu’elle est au pied du mur.

Voici une première note consacrée à l’un de ses deux européens …
Où la rencontre improbable entre un petit fils de bergers espagnols anarcho syndicaliste avec un des descendants de Sisi et de Charles Quint …

J’ai rencontré Otto de Habsbourg en septembre 2003, à Engen notre ville jumelée qui organisait une exposition des trésors de l’abbaye hongroise de Pannonhalma (leur autre ville jumelée). Le Prince, très attaché à ce lieu, où repose désormais son cœur (voir après), s’était déplacé pour l’occasion. Ce qu’il faut savoir est que du fait de leur double couronne (Autriche et Hongrie) les héritiers impériaux avaient des précepteurs hongrois issus de ce Monastère, Centre Universitaire reconnu en Europe Centrale.

Un des sujets à l’ordre du jour à ce moment, était la Constitution Européenne, dont Otto de Habsbourg était un des auteurs. Ce traité a connu bien des visicitudes aprés son adoption par les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays membres de l’Union européenne en juin 2004 et son rejet par notre pays lors du référendum de mai 2005.
Nous avons discuté et débattu, lui dans un français exquis, trés Quai d’Orsay, sur les racines « chrétiennes » de l’Europe. Notre pays avait obtenu que la Constitution Européenne, ne fasse pas référence aux « origines chrétiennes de l’Europe ». Concession lourde de sens pour beaucoup de pays voisins, alors que pour un athée comme moi, cela allait de soi. Manifestement Otto de Habdbourg avait accepté cette inflexion, mais avec déchirement. Discussion passionnante venant aprés un prêche oeucuménique ou tant le prêtre que le pasteur avait enfoncé le clou sur ce point. Une mesure semblant mineure aux yeux de beaucoup de mes camarades thuriféraires de ce Traité. Mais l’Europe c’est aussi et surtout la découverte des différences, culturelles, géographiques ou simplement des histoires des uns et des autres et de la perception de la « grande histoire commune », passée ou restant à écrire.
Incontestablement, construire l’Europe, c’est d’abord  se découvrir pour mieux se comprendre. C’est ce que souligne un autre grand européen, Joschka Fischer dans un interview récent. 

« Les Allemands restent un peu provinciaux et manquent de confiance en eux. Leur nostalgie d’une monnaie forte?? Songez à leurs efforts économiques, psychologiques, financiers après la réunification. Certes, cette réunification, financée par un impôt spécial, a été le ferment de nos réformes et de notre rebond. Mais elle a exigé beaucoup de sacrifices, généré beaucoup d’humiliation. Nous avons été longtemps la lanterne rouge de l’Europe et je me souviens encore du jour – en janvier 2000 – où José María Aznar [ancien Premier ministre espagnol] est venu sermonner Schröder en lui demandant de mieux gérer l’économie allemande. Quand les Allemands disent qu’ils ont assez payé, il faut les comprendre. […]

Mme Lagarde a fait une erreur en déclarant que l’Allemagne devait être plus coopérative. Elle oublie que dans notre histoire l’Etat a failli. Depuis notre retour à la démocratie, l’économie est au cœur de l’Etat et de la société allemande. Elle a une résonance émotionnelle énorme, absorbe toute notre énergie et est devenue le point focal de notre politique. C’est dans ce sens que nous avons parfois du mal à en partager les fruits. En sens inverse, il faut que les Allemands comprennent la psychologie des Français, plus souverainistes, qui vivent avec le souvenir d’un passé glorieux. […] »

C’est ce que déclarait également Otto de Habsbourg :  « Pour être un bon Européen, il faut assumer son passé, tout son passé ».

Cet homme était effectivement histoire et actualité.

 

 

 

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Caveau dans lequel repose le coeur de Otto de Habsbourg à l’abbaye de Pannonhalma

 

 Une vie unique

Né en 1912, il est devenu chef de la maison de Habsbourg en 1922, après la disparition de son père, Charles Ier qui après la mort de son grand-oncle l’empereur François-Joseph (le François Joseph de Sisi), a été le dernier empereur  d’Autriche et dernier roi de Hongrie et de Bohême.

Otto de Habsbourg, adversaire du régime nazi s’était opposé à Hitler lors de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par les armées d’Hitler (par vengeance ce dernier baptisa cette opération du nom de code « Opération Otto »); puis à Staline, dés 1944, sans plus de succès. Il vécut successivement au Portugal, en Espagne, en Belgique, en France et aux Etats-Unis et ne rentra en Autriche qu’en 1966.

Partisan de l’unité européenne, il a été député au Parlement européen de 1979 à 1999 (représentant du Land allemand de Bavière au sein de la formation conservatrice CSU). Au début de l’année 1989, il récupère la nationalité hongroise, comme il vient fréquemment dans ce pays, dont il parle courrament la langue, des partisans lui proposent d’être candidat à la présidence de la République, il refuse.

il a été successivement autrichien, allemand, suisse, croate a étudié en Belgique, en France, aux USA, défenseur acharné de la démocratie à l’est, il a œuvré pour le démantèlement du rideau de fer en 1989, en organisant le pique nique pan européen de Sopron.

Ce grand européen disparu à 98 ans, a eu les funérailles dignes d’un chef d’Etat, tant à Vienne qui pour l’occasion a renoué avec les fastes des siècles passés, puis lors d’une cérémonie plus intime à l’abbaye de Pannonhalma, où repose désormais son cœur.

 

Construire l’Europe

« Il a toujours su qu’il y a plus de choses qui nous rapprochent, sur le continent européen, que de choses qui nous séparent », a déclaré le président du parlement européen, le polonais Jerzy Buzek. Car il faut nous rapprocher.

Mais laissons la conclusion, à Joschka Fischer, et qui résume en partie la vie de Otto de Habsbourg

« Quiconque s’interroge sur l’avenir de l’Europe devrait passer un week-end à Venise. La ville est magnifique. Mais y dormir une nuit est une expérience déprimante.
Quand la foule des touristes se retire, les fondations décaties de cette grande puissance maritime méditerranéenne sautent aux yeux. Les boutiques sont vides.

C’est ce que vous voulez pour l’Europe?? Allemagne, France, les différences n’existent pas pour le reste du monde qui ne voit que l’Europe.
Cette crise peut être l’occasion de nous faire prendre conscience que nous n’existons que par une Europe à laquelle il faut donner de la substance »

 

Il faut plus que jamais aujourd’hui, donner de la substance à l’idée européenne.

 

 

Chronologie

1912, naissance à Vienne

1916, son père devient empereur d’Autriche roi de Hongrie et de Bohème,

1918, exil de la famille impériale

1919 bannissement de la famille impériale qui ne doit plus mettre les pieds en Autriche. Exil à Madère

1922, mort de son père. Otto de Habsbourg devient le prétendant au trône

1938, il s’oppose à Hitler au moment de l’Anschluss

1940, il se réfugie aux USA pour échapper aux allemands

1961 Renonciation à la couronne

1966 autorisé à rentrer en Autriche, 47 ans après son exil (famille)

1978, naturalisé citoyen ouest allemand sous le nom de Otto Habsburg-Lothringen.

1979 Elu député européen (l’Union chrétienne-sociale bavaroise,CSU (conservateur), il y siègera durant 20 ans.

1989, organisation du pique nique pan européen, de Sopron. Il reprend la nationalité hongroise. Refuse de se présenter aux élections de Président de la République

2007, renonce à son rôle de prétendant au trône

2011, décès.

 

Un Jobs pour l’éternité (virtuelle ?) …

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 Il a peut-être des secrets pour changer la vie ?

 Non, il ne fait qu’en chercher …

 

Arthur Rimbaud
Une saison en enfer

  

Discours de Steve Jobs lors de la  remise de diplôme 
de l’université américaine de Stanford en 2005.   

 

 

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Je suis honoré d’être parmi aujourd »hui, pour votre remise des diplômes de la part d’une des meilleures universités au monde. Je n’ai jamais été diplômé d’études supérieures. En fait, aujourd’hui, c’est la première fois de ma vie que j’ai réussi à m’approcher autant d’une remise de diplômes. Et je veux vous raconter trois histoires de ma vie. Juste ça. Pas de grand ramdam. Juste trois histoires.

La première histoire parle de connecter les points.

Après 6 mois, j’ai abandonné mes études au Reed College, mais j’y suis resté en tant qu’auditeur libre pour 18 mois de plus, avant que je n’abandonne définitivement. Mais pourquoi est-ce que j’ai arrêté ?

Cela a commencé avant ma naissance. Ma mère biologique était une jeune étudiante non mariée, et elle a décidé de me faire adopter. Elle tenait vraiment à ce que je sois adopté par des personnes diplômées d’études supérieures, et tout a été arrangé pour que je sois adopté, dès ma naissance, par un avocat et sa femme. Mais quand j’ai pointé le bout de mon nez, ils décidèrent à la dernière minute qu’ils voulaient vraiment une fille. Alors mes parents, qui étaient en liste d’attente, reçurent un coup de fil dans la nuit leur demandant : « Nous avons un bébé garçon non prévu. Le voulez-vous ? » Ils répondirent « Bien sûr. » Ma mère biologique découvrit plus tard que ma mère n’avait pas de diplôme d’études supérieures, et que mon père n’avait même pas son bac. Elle refusa alors de signer les papiers d’adoption. Ce n’est que plusieurs mois après qu’elle accepta, après que mes parents lui aient promis qu’ils me feraient faire des études.

Et 17 ans après, c’est en effet ce que je fis. Mais, naïf que j’étais, j’avais choisi une université [Reed College] qui coûtait presque aussi cher que Stanford, et toutes les économies de mes parents (qui gagnaient peu) étaient dépensées en frais de scolarité. Après 6 mois, je n’en voyais plus l’intérêt. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie, et aucune idée sur l’aide que l’université pourrait m’apporter dans cette question. Et j’y étais, en train de dépenser l’argent que mes parents avaient économisé toute leur vie. Alors j’ai décidé d’abandonner mes études, et de me dire que tout allait s’arranger. C’était plutôt effrayant, comme décision, mais quand j’y repense, c’est une des meilleures décisions de toute ma vie. Dès que j’ai décidé d’abandonner, j’ai pu arrêter les cours obligatoires qui ne m’intéressaient pas, et commencer des cours qui me semblaient intéressants. 

Ce n’était pas paradisiaque. Je n’avais pas de logement à la cité universitaire, alors je dormais sur le sol de la chambre de copains, je collectais les bouteilles de coca pour récupérer les 5 cents de consigne et m’acheter de quoi manger, et chaque dimanche soir, je faisais 10 km à pied, traversant la ville pour aller consommer un bon repas au temple Hare Krishna. J’ai adoré ça. Et la plupart des choses que j’ai découvertes en suivant ma curiosité et mon intuition se sont avérées inestimables après coup. En voici un exemple.

Le Reed College offrait à cette époque ce qui était probablement la meilleure formation à la calligraphie de tous les Etats-Unis. Partout sur le campus, chaque affiche, chaque étiquette, était superbement calligraphiée à la main. Sachant que j’avais abandonné, et donc que je n’avais plus à suivre les cours obligatoires, je me suis inscrit à un cours de calligraphie, pour apprendre comment faire. J’ai appris les lettres Serif et San Serif, l’espace variable qui existait entre les différentes lettres, et toutes les choses qui rendent la calligraphie superbe. J’y trouvais la Beauté, l’Histoire, et l’Art d’une manière subtile que la science ne pourra jamais appréhender. C’était fascinant.

Rien de tout cela n’avait l’ombre d’une chance de pouvoir être utile dans ma vie. Mais dix ans après, tandis que nous étions en train de concevoir le premier ordinateur Macintosh, tout cela m’est revenu. Et nous l’avons intégré dans le Mac. C’était le premier ordinateur avec une belle typographie. Si je ne m’étais pas inscrit en auditeur libre à ce cours d’université, le Mac n’aurait jamais eu différentes polices de caractères, ou des polices à espacement variable. Et comme Windows ne fait que copier le Mac, cela signifie qu’aucun ordinateur n’aurait eu ces polices. Si je n’avais pas abandonné mes études supérieures, je ne me serais pas inscrit dans ce cours de calligraphie, et les ordinateurs personnels n’auraient peut-être pas eu la belle typographie qu’ils ont aujourd’hui. Bien sûr, il était impossible de connecter ces points par avance quand j’envisageais mon avenir à cette époque. Mais ce fut très très clair quand je regardai en arrière, dix ans plus tard. 

Je le répète, vous ne pouvez pas connecter les points quand vous regardez vers l’avenir, vous ne pouvez le faire qu’en regardant le passé. Alors vous devez être confiant : les points vont se connecter entre eux à l’avenir. Vous devez avoir confiance en quelque chose – vos tripes, votre destin, karma, quoi que ce soit. Cette manière de faire ne m’a jamais déçu, et elle a fait toute la différence dans ma vie. 

Ma deuxième histoire parle d’amour et de perte.

J’ai eu de la chance : j’ai trouvé rapidement ce que j’aimais faire dans la vie. Woz [Steve Wozniak] et moi avons démarré Apple dans le garage de mes parents quand j’avais 20 ans. Nous avons travaillé dur, et en 10 ans, Apple a changé : de deux personnes dans un garage, c’est devenu une société de 4 000 salariés avec des ventes de 2 milliards de dollars. L’année précédente, nous venions de lancer notre meilleure création – le Macintosh – et je venais d’avoir 30 ans. Et là, j’ai été viré. Comment peut-on être viré de la société qu’on a créé ? Eh bien, comme Apple se développait, nous avons embauché quelqu’un dont je pensais qu’il était très doué pour gérer la compagnie avec moi, et la première année, les choses se passèrent très bien. Mais bientôt, nos visions de l’avenir commencèrent à diverger et finalement, nous nous sommes fâchés. Quand cela arriva, notre conseil d’administration se rangea à ses côtés. Aussi, à 30 ans j’ai été mis dehors. De manière extrêmement médiatisée. Ce qui avait été l’enjeu de toute ma vie d’adulte avait disparu, et j’étais dévasté.

Pendant plusieurs mois, je n’ai vraiment pas su quoi faire. Je sentais que j’avais déçu la précédente génération d’entrepreneurs. Que j’avais lâché le témoin qu’ils m’avaient transmis. J’ai rencontré David Packard et Bob Noyce et j’ai essayé de m’excuser pour avoir foiré si lamentablement. J’étais un raté très médiatisé, et j’ai même envisagé de fuir loin de la [Silicon] Valley. Mais quelque chose commença à m’apparaître : je continuais à aimer ce que je faisais. Ce qui s’était passé chez Apple n’avait rien changé du tout à cela. J’avais été éconduit, mais j’étais toujours amoureux. Alors j’ai décidé de recommencer.

Je ne l’ai pas vu comme ça à ce moment, mais mon licenciement d’Apple a été une meilleures choses qui me soit arrivée. Le poids du succès a été remplacé par la légèreté du nouveau débutant, celui qui n’était plus aussi sûr de rien. Cela m’a libéré et m’a permis d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie. 

Dans les cinq années suivantes, j’ai créé une société appelée NeXT, une autre appelée Pixar, et je suis tombé amoureux d’une femme extraordinaire qui allait devenir mon épouse. Pixar a produit le premier film d’animation par ordinateur, Toy Story, et est aujourd’hui le meilleur studio d’animation au monde. Dans un coup du sort assez étonnant, Apple a racheté NeXT, je suis retourné chez Apple, et la technologie que nous avions développée chez NeXT a été le catalyseur de la renaissance d’Apple. Et Laurene et moi avons désormais une famille géniale. 

Je pense que rien de ceci ne serait arrivé si je n’avais pas été viré d’Apple. Le remède a été désagréable, mais je pense que le patient en avait besoin. Parfois, la vie vous balance un coup de brique sur la tête. Ne perdez pas la foi. Je suis sûr que la seule chose qui m’a fait continuer, c’était que j’aimais faire ce que je faisais. Vous devez trouver ce que vous aimez. Et c’est vrai aussi bien pour votre travail que pour votre partenaire. Votre travail va prendre une grande part de votre vie, et la seule manière d’être vraiment satisfait, c’est de faire ce que vous pensez être du beau boulot. Et la seule manière de faire du beau boulot, c’est d’aimer ce que vous faites. Si vous n’avez pas encore trouvé, continuez à chercher. Ne vous arrêtez pas. C’est comme ça pour tout ce qui touche au coeur : vous le saurez quand vous l’aurez trouvé. Et comme pour tout grand amour, ça devient de mieux en mieux au fil des années. Alors continuez à chercher jusqu’à ce que vous trouviez. Ne vous arrêtez pas.

Ma troisième histoire parle de la mort.

Quand j’avais 17 ans, j’ai lu une citation du genre : « Si vous vivez chaque jour comme si c’était le dernier, un jour viendra qui vous donnera raison ». J’en ai été marqué, et depuis lors, au cours des 33 dernières années, je me suis regardé dans le miroir chaque matin et je me suis dit : « Si c’était le dernier jour de ma vie, est-ce que je voudrais faire ce que j’ai à faire aujourd’hui ? » Et à chaque fois que la réponse est « Non » plusieurs matins d’affilée, je sais que je dois changer quelque chose.

L’outil le plus important que j’aie trouvé pour m’aider à prendre de grandes décisions, c’est de me souvenir que je serai bientôt mort. Parce que presque tout – ce qu’on espère des autres, l’orgueil, la peur d’être ridicule ou de se planter – tout cela disparaît face à la mort, et ne reste que ce qui est vraiment important. Pour éviter le piège de penser que vous avez quelque chose à perdre, le meilleur moyen est de vous rappeler que vous allez mourir. Vous êtes déjà nu. Alors autant suivre votre coeur. 

Il y a un an, on m’a diagnostiqué un cancer. J’ai subi un scanner à 7h30 du matin, qui révélait une tumeur sur mon pancréas. Je ne savais même pas ce qu’était un pancréas. Les docteurs m’ont dit que c’était presque certainement un cancer incurable, et que je devais m’attendre à vivre juste 3 à 6 mois. Mon docteur m’a conseillé de rentrer chez moi et de mettre mes affaires en ordre, ce qui est le langage codé des docteurs pour dire que je devais me préparer à mourir. Cela signifie de dire à vos enfants, en quelques mois, toute les choses dont vous pensiez que vous auriez 10 ans pour leur dire. Cela signifie de tout préparer de telle sorte que ce soit le plus facile possible pour votre famille. Cela signifie de faire vos adieux.

J’ai vécu avec ce diagnostic toute la journée. Le soir-même, j’ai eu une biopsie, ils m’ont plongé un endoscope dans la gorge, passé mon estomac, puis mes intestins, ils ont enfoncé une aiguille dans mon pancréas et ont récupéré quelques cellules de la tumeur. J’étais anesthésié, mais ma femme qui était présente m’a dit que quand ils ont examiné les cellules au microscope, les médecins en ont pleuré, parce que c’était en fait une forme très rare de cancer du pancréas qu’on peut soigner par la chirurgie. J’ai été opéré, et je vais bien maintenant.

Ce fut le moment où j’ai été le plus proche de la mort, et j’espère ne pas revivre ça avant plusieurs dizaines d’années. Après ce que j’ai vécu, je peux désormais vous le dire avec un peu plus de certitude que quand la mort était un concept certes utile, mais purement intellectuel :

Personne ne veut mourir. Même ceux qui veulent aller au Paradis ne veulent pas mourir pour y aller. Et pourtant, la mort est notre destination finale à tous. Personne n’y a jamais échappé. Et c’est comme cela que les choses doivent être, car la Mort est probablement la meilleure invention de la Vie.C’est l’agent du changement de la Vie. Elle supprime le vieux pour laisser la place au jeune. Aujourd’hui, le nouveau c’est vous, mais un jour qui n’est pas très éloigné, vous deviendrez le vieux et serez éliminés. Désolé d’être aussi mélodramatique, mais c’est la vérité.

Votre temps est limité, alors ne le perdez pas à vivre la vie de quelqu’un d’autre. Evitez d’être piégé par le dogme – c’est-à-dire vivre sur les résultats des pensées des autres. Ne laissez pas votre voix interne être noyée par le bruit des opinions des autres. Et plus important que tout, ayez le courage de suivre votre coeur et votre intuition. Eux savent déjà ce que vous voulez réellement devenir. Tout le reste est secondaire.

Quand j’étais jeune, il y avait ce livre génial qui s’appelait Le catalogue de toute la Terre, et c’était une des bibles de ma génération. C’est un gars nommé Stewart Brand qui l’a créé pas loin d’ici, à Menlo Park, et il lui a donné vie avec son sens poétique. C’était dans les années 60, avant les ordinateurs personnels et la publication assistée par ordinateur, ce qui veut dire qu’il travaillait avec des machines à écrire, des ciseaux, et des appareils Polaroïd. C’était une sorte de Google en livre, 35 ans avant Google : c’était idéaliste, et le livre débordait d’outils géniaux et de notions claires. 

Stewart et son équipe publièrent plusieurs éditions du Catalogue de toute la Terre, et quand son temps arriva, ils publièrent une dernière édition. C’était dans les années 70, et j’avais votre âge.

Au dos de leur dernière édition, on voyait la photo d’une route déserte, au petit matin, le genre de route où vous pouviez vous imaginer faire du stop, si vous étiez du genre aventureux. En légende, les mots « Ayez faim. Soyez fou ». C’était leur message d’adieu, pour leur dernier livre. Ayez faim. Soyez fou. Je me suis toujours souhaité ça. Et maintenant, alors que vous allez être diplômés pour recommencer à nouveau, je vous le souhaite.
Ayez faim. Soyez fou.

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les « coups de génie » de Steve J. et ses 10 commandements