Après le confinement : « Aide toi, le ciel t’aidera »

Intervention au journal télévisé de TF1 sur la question de la reprise des écoles et des difficultés rencontrées

Nous avons vécu ces dernières semaines une parenthèse insolite qui a duré prés de deux mois, riche en enseignements : intimes, certains ayant eu l’opportunité d’un dialogue inédit avec eux mêmes ou plus collectifs, avec la place prise par des services publics comme l’hôpital et l’école, celle des « premiers de corvée » dans notre quotidien et l’impact des mesures gouvernementales liées notamment au soutien à l’emploi et à l’économie, y compris si certains, trop nombreux, ont eu la douleur de perdre leur emploi.
Cette crise sanitaire a également révélé les fragilités d’une société considérée jusque là comme invulnérable et accéléré un processus de décomposition avancée dont nous ne soupçonnions pas l’ampleur. «Le vieux monde se meurt » et un nouveau semble surgir soudainement, sans prévenir … « the times is out of joint » … attention aux dégâts, il y en aura et risquent d’être nombreux et douloureux.

Les spécialistes auront tout le temps de théoriser et débattre sur une expérience spatio temporelle aussi singulière qu’unique, véritable arrêt sur image dystopique. Les questions qui se posent à nous sont identifiées :
« le Monde d’après constituera t’il un nouveau départ, radicalement différent de celui d’avant (croissance, progrès, sens de la vie …) ?
Aurons nous l’intelligence collective de privilégier, valeurs et éthique , aurons nous la sagesse de remettre en cause ou perspective l’incidence de nos modes de vie sur la planète ?
Nous verrons bien … Un constat cependant qui s’impose à tous, l’homme pour l’homme, mais plus encore pour nos eco systèmes, est devenu au fil des millénaires le pire virus que la terre ait connu et le prouve toujours au quotidien.
A titre personnel, mon activité de Maire m’a fait toucher du doigt les lignes de fracture d’un modèle organisationnel à bout de souffle et, dans le même temps, apprécier le formidable potentiel humain d’une société qui n’en manque pas, constituant une véritable richesse et une promesse pour l’avenir.

Dossier que le journal hebdomadaire national « Le Pélerin » a consacré à la ville de Trilport sur les initiatives prises


Soyons cash, si l’État a fait preuve d’inertie, démontré sa pesanteur, ses contradictions, beaucoup de collectivités ont relevé le défi et agi utilement pour leurs administrés : initiant, animant, tissant réseaux de solidarité et fédérant des dynamiques solidaires citoyennes.
Depuis le début de cette séquence, une avalanche d’injonctions contradictoires provenant du sommet d’un état pyramidal totalement déconnecté de sa base, le terrain, et perdant de vue la nécessité absolue d’agir vite et au plus près de nos territoires se sont succédées
Le manque d’anticipation, d’agilité ou de réactivité d’une administration quasiment « pétrifiée » dans l’attente d’une parole « libératrice  » venant « d’en haut », a été dommageable.
Situation rendue d’autant plus compliquée sur le terrain par des prises de paroles intempestives de ministres addicts aux sunlights médiatiques (le fameux quart d’heure Warholien) dévoilant à l’occasion une totale méconnaissance du terrain, de ses contraintes et de la nécessité, nous sommes tout de même en 2020, de privilégier un mode d’action réellement collaboratif.
Contexte qui a incité nombre d’acteurs du terrain à appliquer avec bonheur une maxime chère à Jean de la Fontaine et bien connue de tous les élus de France « Aide toi, le ciel t’aidera » (Le chartier embourbé).

A bien des égards, cette crise sanitaire aura constitué un crash test qu’il faut savoir prendre comme tel, révélant nos failles organisationnelles, multiples, les limites d’un modèle technocratique pyramidal et sclérosé, aux lignes hiérarchiques venues d’un autre âge et de périmètres de compétences en mode silos isolés, multipliant comités « théodules », le tout aboutissant au bout du bout à une paralysie témoignant d’une véritable « stupidité fonctionnelle » inadaptée aux défis de la société complexe qui est désormais la notre.

Toutes celles et ceux qui durant ces journées se sont retrouvés en première ligne, avec une pensée particulière pour les personnels soignants, savent QUI durant ces journées à été à leurs côtés ou non, et QUI a agit utilement ou pas. Je n’oublie pas quand à moi l’aide de la Région Ile de France comme de celle du Département de Seine et Marne.

A Trilport nous sommes intervenus au cœur même de la fragilité, avec des moyens pourtant limités, grâce à une mobilisation collective et un état d’esprit qui nous ont permis d’initier des actions citoyennes solidaires répondant concrètement aux aléas et urgences successives.
Une énergie collective et des initiatives qui ont suscité une véritable curiosité médiatique qui m’a amené notamment à répondre a certaines sollicitations des journaux et chaînes de télés.

Nous avons ces dernières semaines expérimenté certaines pistes d’action reposant sur des concepts simples que je vous propose d’explorer, en m’excusant du prisme territorial qui est le mien, celui d’un élu local donc réducteur par nature.

Plus que jamais je crois à notre capacité collective à développer une résilience territoriale, elle nous permettrait d’être plus solidaire, agile et innovant.
Encore faut il l’impulsion d’un état stratège qui privilégie une lecture collaborative, et développe en profondeur, certaines qualités intrinsèques qui nous permettraient sinon de modifier quelque peu notre ADN territorial, du moins de mieux répondre aux incertitudes et aléas d’une société qui n’en manque pas et deviendra je le pressens de plus en plus complexe. Attention vigilance, car n’oublions jamais pour paraphraser Leonard de Vinci, que la simplicité est la sophistication suprême.

« Faire société »

Quand la tempête s’abat, il est important d’être mobilisés et solidaires, sur le pont, de limiter la voilure ou faire tomber les voiles si nécessaire pour ne pas précipiter l’esquif dans les les flots tumultueux. Il faut veiller également à garder le cap, se protéger individuellement et collectivement de la violence des vagues, préserver plus que tout un esprit d’équipe, faire corps, à chacun son quart, tant il est bon lorsque l’on est épuisé de transmettre le relais à des énergies plus reposées et de se préserver si besoin pour les moments clés .
Pour progresser une société se doit de faire bloc, surtout dans l’adversité. Pour reprendre la métaphore bien connue de « l’esprit de cordée », rappelons que le marqueur de la qualité de cette chaine humaine, aussi invraisemblable et paradoxal que cela puisse l’être, est l’ultime maillon. S’il est vital pour la vie du groupe que le dernier de cordée ne décroche pas, tous seraient alors en danger, l’objectif est bien de l’amener au sommet avec les autres, la réussite étant avant tout collective.

« Créer du lien »

Les élus et la haute administration sont trop souvent comme des mondes parallèles qui ne se croisent et ne se touchent jamais …
Technostructure de la haute administration ou des cabinets ministériels et acteurs de et du terrain ne font effectivement pas toujours bon ménage, défiance mutuelle et réciproque qui n’est pas seulement une question culturelle.
Il est pourtant essentiel que ce dialogue existe, mieux qu’ils soit constructif et fructueux et que des interrelations entre ces univers soient normalisées, encouragées et instituées. Il faut remettre de l’humain et du bottom up dans la matrice.

On ne saluera jamais assez, à cet effet, le rôle de médiation mais aussi de force de proposition des associations d’élus, notamment durant une période que chacun s’accorde à trouver pour le moins chaotique, y compris si la grande majorité des élus n’en perçoit pas toute l’importance au quotidien.
Non seulement ces associations fédèrent, proposent, impulsent, mais elles permettent de mettre l’huile nécessaire dans des rouages compliqués, de déminer souvent des situations a priori inextricables, d’établir des liens indispensables entre local et global et de constituer une interface utile entre les territoires et un État, loin d’être encore d’être stratège ou en mode « plate forme », il subsiste effectivement encore « quelques silos ».

« Oser le collaboratif »


Dans une société complexe comme la notre, les problématiques sont désormais systémiques et doivent tenir compte de métabolismes urbains, d’interactions et d’éco systèmes multiples comme d’acteurs pluriels.
Cas d’école : l’éducation. Si la reprise des cours s’est globalement plutôt bien déroulée dans un grand nombre de villes, elle le doit principalement à l’engagement des élus locaux, à la qualité de leur dialogue avec les équipes enseignantes en place et à la résolution de problématiques de mobilités, de mises en place de services péri scolaires, de logistique souvent.
L’éducation est par nature et essence un bien commun, une responsabilité collective fédèrant un grand nombre d’acteurs qui se doivent de travailler en confiance et de dialoguer ensemble, ce qui nécessite un minimum de respect et confiance. Ce qui est possible au niveau local doit l’être également au niveau national.
Il n’est pas acceptable que les élus apprennent par médias interposés des décisions les concernant au premier chef, sans qu’ils n’aient eu leur mot à dire en amont, ce n’est ni respectueux, ni constructif à long terme.


Ce qui est vrai pour l’éducation, l’est également pour la santé et l’ensemble des problématiques traitant d’enjeux sociétaux; la parole de tous les acteurs doit être prise en compte, comme la nécessité d’en aborder également toutes les dimensions, tant elles sont liées et peuvent également concerner ou croiser d’autres problématiques.
Dans le cas de la santé par exemple, le volet préventif est une vraie mine de travail qui débouche sur bien des galeries et peut dévoiler quelques pépites utiles à tous. Une dimension appelée à prendre un nouvel essor, ce qui impose de changer sinon de grille d’analyse du moins de compléter le panorama global de la question en intégrant par exemple de nouvelles dimensions, notamment un volet numérique et data, ou acteurs.

Il est désormais incontournable pour une société confronté à des enjeux sociaux globaux et des problématiques systémiques, de les aborder de manière collaborative.

« Devenir agile »

En période de stress, lorsque nous devons agir, nous appliquons d’abord et avant tout ce que nous maitrisons, non ce que nous devrions maitriser. Attitude tout à fait logique et compréhensive qui remonte à nos origines :  » l’animal qui est dans chacun de nous ». Une réaction humaine qui a inspiré notamment une fable à Jean de la Fontaine, « Que sert-il qu’on se contrefasse ? Prétendre ainsi changer est une illusion : L’on reprend sa première trace à la première occasion » (Le loup et le renard ).
Devenir agile ne se décrète pas, cette qualité se travaille et s’apprivoise au quotidien, ces derniers jours l’ont encore démontré. L’innovation, c’est l’invention plus les usages, l’usage précède toujours l’outil.
Nos us et coutumes sont façonnés par tout un faisceau de facteurs sociaux, économiques, relationnels, temporels et ne l’oublions pas contextuels.
En matière numérique, cette période de confinement l’a une nouvelle fois démontré, la priorité des usagers s’est souvent tournée vers des outils humbles, modestes, pratiques, privilégiant une approche utilisateur, y compris lorsqu’ils étaient moins fun et plus « low tech », plutôt que certaines usines à gaz institutionnelles logicielles.

« Entretenir les dynamiques de nos territoires »

Il est essentiel pour favoriser l’attractivité de nos territoires de développer leur externalités positives, infrastructures (mobilités et numériques notamment et surtout) et leur « respiration », ces dernières semaines en ont encore souligné l’urgence, les territoires atteint de fracture numérique subissant une double peine.
Il convient de privilégier une gouvernance territoriale collaborative et non plus autocratique, tant au niveau de l’État que des collectivités.
Les modèles d’intercommunalités XXL ont démontré toutes leurs limites et les risques pour les territoires dits « périphériques » de tels montages … Bill Gates ne souligne t’il pas que « les leaders du nouveau siècle seront ceux qui autonomisent les autres. » …
Rappelons ce qui devrait constituer un truisme, mais qui n’est toujours pas malheureusement reconnu comme tel, ce n’est pas le périmètre d’un territoire qui créé sa dynamique mais la qualité du projet, la mobilisation des acteurs et les liens qu’ils créaient entre eux même et les autres : interconnexions, interopérabilités, complémentarités, esprit collaboratif et solidaire …

Lors de ces longues semaines de confinement, l’État a en partie manqué son rendez vous avec les territoires et le monde de la multitude.
Cependant soyons honnêtes, pouvait il réellement le réussir ? Développer une telle résilience revient a renverser la pyramide, à glisser et passer d’un modèle vertical hiérarchique « top down » à un modèle horizontal collaboratif « bottom up » et à développer en parallèle tout un faisceau d’externalités positives favorisant l’essor du potentiel créatif du plus grand nombre.
Cela exige temps, dialogue implication collective. Pour ce faire il est nécessaire de progresser « pas à pas » et plutôt porteur de s’apprivoiser autour de projets communs et partagés.
S’il convient de réfléchir effectivement sur le #MondeDaprès, il faut veiller à ne pas oublier dans l’inventaire global des champs des possibles et pistes à travailler celui de l’architecture institutionnelle, car le paradoxe est que nous avons plus que jamais besoin d’Etat.

Il est certain que si le mouvement de fond initié autour du numérique, du collaboratif, des circuits courts et de l’économie circulaire prend de l’ampleur il deviendra une déferlante sur laquelle il conviendrait mieux de surfer afin d’explorer et atteindre de nouveaux rivages prometteurs plutôt qu’être submergée par la déferlante.
Pour pouvoir prendre la vague et nous adapter au monde qui vient, il convient de contribuer à l’émergence d’une véritable stratégie de résilience, qu’un état plate forme sera en mesure d’impulser et dynamiser à partir des énergies et potentiels locaux .

Etre stratège aujourd’hui c’est avant tout et surtout être collaboratif

Une réponse sur “Après le confinement : « Aide toi, le ciel t’aidera »”

  1. La crise sanitaire met en lumière deux travers de notre pays : le jacobinisme et la verticalité dans les décisions. Le premier a engendré une technostructure qui dilapide une énergie précieuse dans le traitement des dossiers gérés sans vision stratégique . Le second bloque la réactivité des élus locaux en prise avec les consignes des sachants.

    Sera-t-on en mesure de surmonter ces obstacles à moyen, voire à long terme ? Un processus d’extension de la décentralisation pourrait nous permettre d’affronter les défis à venir.

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