De l’art de manier du « karcher » avec discernement

Quelques rappels s’imposent : Bien évidemment il est inacceptable d’agresser les pompiers, les forces de l’ordre, les agents de la fonction publique ou des sociétés de transport qui effectuent un travail essentiel à la vie de tous, il est intolérable de brûler des voitures ou des bus, de dégrader les biens ou les équipements publics, les écoles …

Bien sur qu’il faut insister sur l’importance de la laïcité, fondement essentiel s’il en est de notre société et valeur majeure à transmettre à tous ceux qui vivent dans notre pays quelque soit leur origine ou leur religion.

Mais il faut rappeler également que le rôle du Ministre de l’Intérieur est de lutter contre l’insécurité, non de la provoquer, qu’il est là pour défendre les forces de l’ordre, non pour les mettre dans des situations inextricables et compliquer leur mission délicate sur un terrain difficile.

Des dangers de la « Com » à outrance

L’insécurité et la peur sont depuis toujours le fond de commerce de l’extrême droite : les mots employés, les attitudes provocatrices, la tendance à stigmatiser certaines catégories de la population, les solutions guerrières et simplistes … Force est de constater que l’attitude de Nicolas Sarkozy porte à confusion. Avec ses déclarations contre les «voyous» et la «racaille», « les quartiers qu’il faudrait nettoyer au Kärcher», ses interventions musclées sur le terrain, le Ministre de l’intérieur loin de rétablir l’ordre dans les quartiers, attise chaque fois un peu plus la violence urbaine et se met sur le même terrain que ceux qu’il défie. C’est ainsi qu’une nuit de désordre urbain s’est propagée jusqu’à devenir une affaire d’Etat, suivie par les télés et la presse du monde entier s’interrogeant sur les raisons de l’échec du modèle français.

L’obsession qu’à Nicolas Sarkozy de faire de sa vie quotidienne un show permanent et de rendre médiatique chaque moment de sa vie privée (cf « l’affaire » Cécilia) ou publique a de quoi laisser perplexe. Cette mise en scène devient plus que discutable lorsque les malheurs et drames d’autrui sont exploités sans vergogne afin de se mettre sous les feux des projecteurs ou de servir d’instrument de propagande.

Il n’est plus admissible que derrière le Ministre de l’Intérieur (fonction importante s’il en est), se trouve un Président de Conseil Général (Les Hauts de Seine), un Président de parti politique (l’UMP) doublé d’un candidat en pré-campagne présidentielle . Activité principale avant de remplir ses missions ministérielles ? Se démarquer de ses collègues du gouvernement.

Si l’efficacité est l’objectif d’un homme politique en situation de responsabilité, il se doit avant de communiquer à outrance, de travailler concrètement au quotidien et de laisser de coté la politique-spectacle. Le zapping n’a jamais été une méthode pour traiter le fond des dossiers.

Ni de gauche, ni de droite, seulement responsable

Le malaise des banlieues ne date pas d’aujourd’hui. Le débat entre la Gauche et la Droite sur l’insécurité a eu lieu, un équilibre enfin trouvé (comme souvent un « mixt » entre deux positions) et désormais la paix publique marche sur deux jambes : la prévention et la répression.

C’est sur ce constat qu’en 1997, la «police de proximité» a été instauré par Jean-Pierre Chevènement. Une réforme qui n’a pas été une révolution culturelle de la seule Police, puisqu’elle s’est accompagnée d’une implication sans précédent des élus et des acteurs de terrain locaux et institutionnels (Education nationale, Justice …) à travers la démarche des Contrats Locaux de Sécurité. J’en parle avec aise car j’ai travaillé sur ces questions pour ma commune et au niveau intercommunal.

J’insiste sur l’importance d’une concertation de tous les acteurs du terrain, d’un réel pilotage des dispositifs, de la dotation de moyens humains et logistiques, de la mise en place d’indicateurs de suivi,  mais surtout de la nécessité absolue d’avoir du temps, de la sérénité et de la constance pour arriver à des résultats concrets.

Ce n’est pas en trois ou quatre annés que l’on effface plus de quarante ans d’abandon et que l’on assimile deux cultures qui n’ont jamais été des caractéristiques dominantes de la société française : celle de la concertation et celle de l’évaluation

Nicolas Sarkozy a enterré le concept de Police de proximité en février 2003 à Toulouse. Constat : depuis le 1er janvier 2005, plus de 28 000 voitures et près de 17 500 poubelles ont été incendiées dans le pays, près de 5 760 dégradations de mobilier urbain, 442 affrontements entre bandes et 3 832 faits de violence contre les services de sécurité ou de secours ont été signalés (sans compter ceux de ce week end), pour quelqu’un qui se prétend adepte de la culture du résultat, ce bilan devrait amener à plus de modestie.

Une situation dénoncée par les syndicats de police qui s’élevent contre la baisse du nombre de policiers dans les banlieues et l’abandon de la police de proximité tout en regrettant les propos de leur ministre : « Il faut arrêter de monter en vrille les jeunes des quartiers. Il va falloir calmer le jeu. Car le risque majeur, c’est que les violences se propagent. C’est trop facile d’aller exciter les jeunes et après d’aller se coucher ».

De l’humilité, du temps, de la détermination et des moyens

Les cités sont le point de rencontre des multiples contradictions de notre société contemporaine (urbanisme, intégration, éducation, emploi…). La France n’est pas le seul pays occidental confronté au problème banlieue / ghettos, loin s’en faut; plus la société est inégalitaire, plus les problèmes deviennent aiguës et la violence présente.

Ces violences urbaines sont le fait, pour l’instant, d’une minorité de jeunes casseurs et concernent les lieux où eux et leurs familles vivent, ce qui est désespérant. Ces actes sont intolérables mais révélent un mal-être exprimé depuis des années que ce soit dans la rue, leurs cités, la musique (violence de certains morceaux de rap), le Ciné ( La Haine de Kassovitz en 1995 et le film du cinéaste meldois Jean-François Richet « Ma 6-T va Krak-er » en 1997).

En 1990 François Miterrand écrivait : « Que peut espérer un être jeune qui naît dans un quartier sans âme, qui vit dans un immeuble laid, entouré d’autres laideurs, de murs gris sur un paysage gris pour une vie grise, avec tout autour une société qui préfère détourner le regard et n’intervient que lorsqu’il faut se fâcher, interdire ?« . Force est de constater que depuis rien n’a changé !

Le pacte républicain impose trois choses :

  • rétablir l’ordre sans sombrer dans le tout répressif et relancer la Police de proximité avec les moyens afférents, sinon d’autres dérapages sont à craindre . Rappelons tout de même que les jeunes concernés sont nos élèves de collèges et de lycées,
  • ne pas abandonner les cités de banlieue et leurs jeunes à leur triste sort et laisser ainsi la place à un communautarisme maffieux ou religieux qui y ferait régner son ordre et ses « règles » de vie. Le terreau deviendrait alors favorable aux manipulations et aux récupérations de toutes sortes,
  • s’appuyer sur l’action des acteurs locaux et institutionnels placés en première ligne (élus, médiateurs, fonctionnaires, policiers de proximité, enseignants (voir note sur les ZEP) … ), ce sont eux avant tout qui font vivre au quotidien le pacte républicain. C’est leur action qu’il faut appuyer en leur donnant les moyens de remplir leurs missions et de faire de ces jeunes des citoyens (droits et devoirs) à part entière de la Cité (au sens étymologique),

Les Maires de droite des villes de banlieues ont beau jeu de dénoncer au niveau national la flambée des impôts locaux, de faire de la baisse de l’ISF, de l’impôt sur le revenu des catégories les plus aisés et du nombre de fonctionnaires l’Alpha et l’Omega d’une bonne gouvernance alors que dans le même temps, au niveau local, ils demandent avec raison, des moyens financiers exceptionnels pour faire tomber les tours, rebâtir un habitat mieux intégré, mettre en place des Zones Franches, avoir plus de policiers, créer du lien social et mener à bien une politique d’intégration. L’impôt et la solidarité nationale servent aussi à cela … Une vraie péréquation peut être également une piste de travail, il ne serait pas inconvenant qu’Issy les Moulineaux ou Neuilly financent Sevran et d’autres villes …

Il est urgent de passer à une nouvelle étape, afin de résoudre une à une et peu à peu les multiples contradictions qui traversent les banlieues. Ces affrontements sont avant tout les conséquences d’un mal vivre récurrent. Dans le même temps, sans démagogie, mais avec fermeté, conviction et constance il faut mener les politiques de terrain qui permettront à l’ensemble des élus (de gauche et de droite) d’offrir de réelles perspectives à la jeunesse des banlieues afin d’utiliser cette formidable énergie qu’est la jeunesse et d’éviter qu’elle ne tombe du coté obscur de la force (cf note précédente).

Les jeunes pour un pays sont avant tout une chance avant que d’être un problème. Une société n’a telle pas la jeunesse qu’elle mérite ?

Note sur les ZEP :

 http://jmorer.hautetfort.com/archive/2005/09/17/zone-d’education-prioritaire-qu’en-est-il-reellement.html