Dystopie …

FRANCK FIFE / AFP : rue de Rivoli

Les élections municipales semblent à des années lumière, mission accomplie : réélection à la clé, mais nous n’y reviendrons que d’ici quelques semaines, tant l’actualité du moment est liée au coronavirus et à ses conséquences.
Depuis , nous vivons un véritable épisode de « Black Mirror », série dystopique dont le titre fait référence aux écrans numériques omniprésents dans notre vie quotidienne comme autant de fenêtres ouvertes vers une société virtuelle globalisée en mode autocentrée et intrusif. Eteints, ils se transforment en miroirs noirs qui nous renvoient des reflets désincarnés, sans vie, soulignent notre addiction collective aux inter relations, révèlant également les failles de nos vides intérieurs.
Tout semble identique, pourtant tout est différent. Nous sommes littéralement en « dystopie », mot « so british » emprunté à l’anglais dystopia, constitué à partir du préfixe grec dys– (indiquant une anomalie) et topos (le lieu). Situation insolite et particulière qui affole la toile mondiale et suscite des commentaires à la pelle.

Sur le terrain, depuis le début de cette séquence, les Maires gèrent une situation rendue d’autant délicate du fait d’injonctions contradictoires descendant du sommet, et doivent adapter au plus vite les services municipaux au confinement et mesures à prendre face au Covid 19 : maintien indispensable du lien avec les plus fragiles, poursuite des missions de la collectivité, logistique quotidienne à déployer, confinement à assurer …
Nos communes, en première ligne et mode perturbé se doivent de maintenir les services indispensables à la vie quotidienne des citoyens, j’y reviendrais dans un prochain billet, tant cette séquence est riche en enseignements concrets.

En quatre jours, nous avons commencé par ne plus nous serrer la main, voté avec des gants, peiné à faire de « gestes barrières » des automatismes, pour nous retrouver aujourd’hui confinés entre quatre murs.

« Une des grandes leçons de la crise: nous ne pouvons échapper à l’incertitude: nous sommes toujours dans l’incertitude du remède au virus, dans l’incertitude des développements et des conséquences de la crise. Une mission de l’éducation: enseigner à affronter l’incertitude. » Edgar Morin


Tout c’est accéléré depuis le jeudi 12 mars date à laquelle Emmanuel Macron devant « la plus grande crise sanitaire depuis un siècle » décide de fermer établissements scolaires et universités en fait appel au bon sens des français.
Ces derniers, insouciants face à ce qu’ils prennent encore pour une mauvaise grippe ne changent pas pour autant leurs habitudes sociales. Réaction collective qui amène le samedi 14 mars le 1er Ministre à annoncer la fermeture des restaurants et bars à compter de minuit. Le lendemain les français pourtant votent, cherchez l’erreur.
A Trilport, comme dans tant d’autres villes, nous avons pris toutes les dispositions nécessaires et installer un parcours électeur sécurisé, dans lequel celui ci ne touche ni rideau, ni poignée, suit un fléchage aménagé, respecte les distances de sécurité approprié et se lave les mains avant de voter …
Lundi 16 mars, le Président déclenche le confinement immédiat. Game is over, nous changeons soudain de temps, de monde et d’univers, tous nos repères habituels s’auto détruisent par l’irruption d’un simple petit virus.

Certains ministres cathodiques dont l’humilité n’est pas la qualité première, l’ont joué solo, effectuant le tour des médias pour annoncer, surs de leur fait, que tout était prêt (mode Général de la Grande Guerre : « il ne manque pas un bouton de guêtre »), alors qu’ils étaient comme trop souvent en total décalage avec la réalité contrasté et complexe d’un terrain qu’à priori ils ne connaissent guère. A contrario, d’autres tel Olivier Véran parlent simplement et cash, avouant doutes et craintes, assumant ce qui doit l’être … Le devoir d’humilité devrait s’imposer à tous.
En situation de crise, le politique doit trancher entre avis souvent contradictoires, tenir compte de la maturité de l’opinion, de l’acceptabilité sociale, et choisir le bon timing, ni trop tôt, ni trop tard, en tenant compte d’un ensemble de paramètres : scientifiques, sociaux, économiques, politiques ou simplement logistiques …
D’autant qu’il convient de ne pas oublier d’intégrer la nature politique du contexte : liberté d’aller et venir et liberté individuelle diverge quelque peu selon les pays. La France n’est pas la Chine et d’ailleurs, le nombre de victimes évoqués ici là est il réellement fiable ?
Ni la médecine ni la politique ne sont des sciences exactes, cette séquence nous le démontre encore. Le devoir d’humilité s’impose à tous, aujourd’hui et demain.

D’autant que confinement et distanciation sociale ne sont pas ressentis par tous et partout de manière identique, nous devons tenir compte également de la différenciation de classe qui si l’on y prend garde peut s’apparenter à une nouvelle forme de lutte des classes.

Distanciation ou différenciation sociale ?

Cette séquence est révèlatrice des fractures sociales et culturelles qui minent notre société. Etre confiné dans une maison à la campagne, en mode « télé travail », dans un appartement tout confort, avec de l’espace, de la lumière, de l’amour ou se retrouver entassé dans un immeuble sans âme, un logement sombre et exiguë, quelquefois seul(e) avec des enfants difficiles à maitriser, dans la promiscuité subie, sont deux expériences humaines et « spacio temporelle » totalement divergentes qui conduisent à des comportements sociaux radicalement opposés …

Méditation ou aliénation ?
L’essentiel bien souvent est de disposer de lignes de fuite, d’un horizon à contempler, de perspectives y compris intérieures à atteindre ou espérer …Sinon, le confinement s’apparente à une forme d’emprisonnement, et tout alors peut déraper …

Rien de surprenant, à ce que dans les grands ensembles, les consignes de simple « bon sens » aient du mal à être respecté.
Pour beaucoup de jeunes qui y vivent au quotidien, la ligne de fuite n’est pas intérieure mais bien extérieure, la ligne de fuite et la soupape sociale, c’est la rue, la cité.
Leur « sweet home », leurs conditions de vie, tiraillées entre familles nombreuses, logements exigus, mal insonorisés et peu lumineux, leur habitudes sociales, rendent ce temps de confinement pour le moins coercitif. La situation dans les quartiers oubliés et abandonnés de la République risque fort s’il se prolonge trop longtemps de ressembler à une cocotte minute prête à exploser.

Ce contexte devrait amener à adapter les règles à appliquer, et à faire preuve de la plus grande souplesse et d’un sens de la médiation aigiüe si l’ont veut éviter toute violence urbaine inutile. Selon le contexte local, le couvre feu n’apparait effectivement pas comme la réponse la plus appropriée.

Le coronavirus est une maladie inégalitaire, pas seulement sur le plan physiologique ou au niveau de l’âge, tant cette crise sanitaire constitue un profond révélateur des fractures qui minent notre société, qu’elles soient territoriales, sociales, culturelles ou encore numériques, nous y reviendrons.

L’humanité effondrée et la société ébranlée par un petit machin

Je ne résiste pas à insérer un extrait de la magnifique tribune écrite par un écrivain tchadien majeur, Mustapha Dalheb, sur l’impact du coronavirus dans nos vies individuelles et ce que cette séquence révèle de nos failles et fragilités

« Quelques jours seulement ont suffi à l’univers pour établir l’égalité sociale qui était impossible à imaginer.
La peur a envahi tout le monde. Elle a changé de camp. Elle a quitté les pauvres pour aller habiter les riches et les puissants. Elle leur a rappelé leur humanité et leur a révélé leur humanisme.
Puisse cela servir à réaliser la vulnérabilité des êtres humains qui cherchent à aller habiter sur la planète mars et qui se croient forts pour clôner des êtres humains pour espérer vivre éternellement.
Puisse cela servir à réaliser la limite de l’intelligence humaine face à la force du ciel.
Il a suffi de quelques jours pour que la certitude devienne incertitude, que la force devienne faiblesse, que le pouvoir devienne solidarité et concertation.
Il a suffi de quelques jours pour que l’Afrique devienne un continent sûr. Que le songe devienne mensonge.
Il a suffi de quelques jours pour que l’humanité prenne conscience qu’elle n’est que souffle et poussière. »
Mustapha Dahleb.