Energie: passer de la culture « pastèque » à celle « des groseilles »

pierre-radanne.jpgJ’ai participé à la conférence « Quelles énergies pour demain ? » organisée par le Cercle Condorcet à Trilport, avec Pierre Radanne pour invité. Cette association issue de la Ligue Française de l’Enseignement cherche à développer l’esprit critique et le débat citoyen, autant dire que ce débat a répondu à cette double exigence. Acteur incontournable des problématiques climatique et énergétique, Pierre Radanne en connaît tous les rouages, qu’ils soient institutionnels, économiques, scientifiques ou encore politiques : ancien Président de l’ADEME, consultant indépendant auprès de nombreux pays et de collectivités, expert international, créateur de l’association 4D, membre de Terra Nova, il est non seulement un homme influent et d’influence, mais également un défricheur et un agitateur d’idées qui fait avancer incontestablement les lignes. Particularité et non des moindres, il se situe tant dans le champ du concret que dans celui des possibles, considérant que lorsque le global ne s’incarne pas dans le local et la proximité avec le citoyen, il reste lettre morte.

L’époque est cruciale, notre génération est placée face à des choix qui engagent non seulement le présent mais hypothéquerons également l’avenir et le destin de nos enfants. Il nous faut surmonter nombre de défis qui peuvent devenir de véritables bombes à retardement : réchauffement climatique, crises énergétique, croissance démographique, fracture alimentaire et développement des pays émergents… Les réponses à apporter seront à la fois : globales, le réchauffement climatique ignore les frontières des nations, locales, car elles doivent être concrètes et rapides, mais également individuelles, la moitié des émissions de gaz à effet de serre provient directement des habitants.

La question du changement climatique ne pourra être résolue sans l’adhésion de chacun, encore faut il qu’il soit en capacité d’accepter ces contraintes et la crise économique et financière qui secoue actuellement nos pays constitue en fait une véritable mutation, nous sommes dans le structurel dur et non le conjoncturel et devons prendre les décisions qui s’imposent, d’autant que le volet énergétique est une composante de cette mutation, et que la part de l’énergie dans nos déficits actuels (budget, balance commerciale) est significative.

Pierre Radanne résume simplement l’enjeu énergétique pour le 21e siècle : «Comment passer de la culture du pastèque, à celle des groseilles …

C’est le sens de son intervention et de pas mal d’idées communes en matière que je vais tenter de restituer … 

 

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Pour la première fois depuis son apparition sur terre, l’homme arrive à un point de non retour, le « toujours plus » grignote désormais les limites physiques de la planète, aucune civilisation n’était jusque là arrivé à un tel stade. La croissance depuis la révolution industrielle est la quête des pays développés, elle a permis de multiplié des richesses dont la répartition qui a été à l’origine d’une confrontation entre responsables économiques et acteurs sociaux (lutte des classes) s’est transformé progressivement en compromis politique et social. Mais beaucoup oublient que ce développement s’est effectué au dépend de pays qui veulent désormais y accéder, volonté qui bouleverse les équilibres d’antan.

Mais depuis les années 80, une nouvelle donne émerge : le réchauffement climatique. D’abord hypothèse théorique, puis scénario plausible, peu à peu au rythme des études scientifiques il devient une certitude avéré, avec pour origine principale les effets anthropiques sur les écosystèmes des émissions de CO2 dues principalement aux énergies carbonés. Dans le même temps les écarts de richesse entre pays riches et pauvres s’accentuent, même si le développement des BRICI (Brésil, Russie, Inde, Chine et Indonésie) bousculent cet équilibre. La croissance continue et exponentielle de ces pays exerçant une pression très forte sur la ressource énergétique et les matières premières.

Le paysage énergétique présent depuis les années 1960, s’érode progressivement, pourtant l’omniprésence du pétrole est toujours aussi forte, mais à l’image du pommier, ce sont les fruits placés sur les branches les plus basses qui ont été cueillis, désormais il faut accéder aux plus hautes branches, moins accessibles, ce qui demande plus d’efforts et revient plus cher (offshore, schistes … ). Les équipements et infrastructures réalisés à cette époque approchent d’une fin prochaine et vont nécessiter dans la prochaine décennie des investissements considérables. Spécificité française, les centrales nucléaires datant principalement des années 70 nécessitent des interventions techniques importantes pour prolonger leur existence. Elles sont à l’origine de l’électricité comme choix énergétique majoritaire de nos concitoyens, une spécificité mondiale. Conséquence évidente, le prix de l’énergie qu’elle soit carbonée ou électrique va continuer d’augmenter sensiblement dans les prochaines années et mettre dans le rouge beaucoup de nos concitoyens. La précarité énergétique concerne de plus en plus de foyers (lorsque plus de 10% des revenus est consacré aux dépenses énergétiques) selon les derniers sondages, près de 11% des Français (3 millions de foyers) reconnaissent avoir eu récemment des difficultés à payer leur facture d’électricité. L’augmentation devient vite insupportable pour les ménages vivant dans des passoires thermiques que sont encore de trop nombreux logements, souvent le stress puis la précarité énergétique se transforme en précarité tout court. Rappelons que le tarif (hors TVA) de l’électricité a augmenté de 20% en cinq ans, moins que le gaz (+80% depuis 2005), mais devrait augmenter de 30% de plus d’ici 2016, selon la Commission de régulation de l’Energie (CRE).

Nous avons l’impératif de reconsidérer notre approche énergétique en explorant simultanément les pistes d’une sobriété renforcée, des énergies renouvelables et d’un nouveau mix énergétique. Relecture qui doit intégrer les réalités techniques, économiques mais aussi géo politiques. Il s’agit d’effectuer les bons choix stratégiques d’investissements, ceux qui se révèleront les meilleurs pour le réchauffement climatique, les plus pérennes,  puis mettre en place de nouvelles filières et réseaux de distribution et effectuer une véritable révolution copernicienne. Passer d’une « économie pastèque », monoproduit (électricité ou pétrole), sophistiquée (notamment avec le nucléaire), porté par un réseau distributif descendant et centralisée, pilotée par de grands opérateurs (EDF), à une « économie groseilles », composé d’une multitude de sources d’énergies, de petits acteurs, par définition délocalisés, reposant sur des réseaux intelligents transitant l’énergie dans les deux sens. Les investissements à réaliser dans les prochaines années sont capitaux, il s’agit non de créer de faux éco systèmes ou des bulles spéculatives sans fondement (photovoltaïque) mais de développer de nouvelles filières pérennes, ce qui nécessite du politique des choix éclairés puis surtout constance et stabilité ensuite.

Une évidence cependant, l’énergie la plus économique est bien celle que l’on ne consomme pas. Nous devons développer une société plus sobre, dans nos investissements (développement de l’efficacité énergétique, transport en commun, éco quartiers…)  mais agir de manière très volontariste dans la rénovation thermique du bâti, en direction des ménages vivant dans des logements mal isolés, qui le plus souvent ne peuvent supporter le cout d’une telle rénovation.  La frange francilienne et le péri urbain sont des secteurs ou le bâti est énergivore. Une telle politique est à la fois bonne pour l’emploi et l’économique mais également pour la réduction de nos déficits. Il faut l’ériger en politique publique prioritaire et déplacer le seuil de rentabilité de telles rénovations en prenant en compte la précarité énergétique des ménages qu’ils soient locataires ou propriétaires et agir vite, en ce domaine un euro de dépenses génèrent plusieurs euros d’économies et de baisse de la consommation. Nous pouvons également inverser le point de vue. : à combien s’élèvera l’addition énergétique si nous n’agissons pas ? Les sources de  financement à explorer peuvent être des incitations fiscales, financières (intervention du réseau bancaire) ou des intervention publiques directes. Mieux vaut combler directement les passoires thermiques que continuer à verser notre contribution au tonneau des danaïdes que constitue une part de notre dépenses énergétique !

Notre pays possède dans le domaine de l’efficacité énergétique un potentiel incroyable : matériaux bio sourcés, présence de forêts dans chaque grande région, qui lui donne la possibilité  de mettre en place des stratégies différenciées dans chaque territoire en tenant compte des différents éléments de contextualisation. Il lui faut organiser des réseaux transversaux alliant monde de la recherche et de la formation, entrepreneurs, acteurs publics et placer la question énergétique au premier rang des priorités du pays. Elle est créatrice d’emplois locaux, de richesses, et agit directement sur les déficits. Il faut privilégier les réponses locales, en privilégiant le développement de modes de vie plus sobres. Comme le souligne Pierre Radanne «Promouvoir la transition énergétique revient à défricher des solutions adaptées aux réalités des territoires ».

Le développement des Plans Climat Energie Territoriaux constitue en ce domaine une opportunité très prometteuse. Pierre Radanne conseille d’ailleurs certaines collectivités en ce domaine (Région, grandes villes …). Chaque territoire porte en lui les germes d’une solution authentique et légitime, le monde change c’est une évidence, l’approche urbaine comme nos modes de vie doivent changer également en intégrant les ferments d’un développement à la fois plus durable et solidaire. Le politique doit être à la hauteur d’enjeux qui engage le présent mais également le futur proche et lointain. La lutte contre les émissions de gaz à effets de serre, l’adaptation au réchauffement climatique et la protection de la bio diversité et des ressources planétaires doivent être la ligne de conduite commune.

Le prochain mixt énergétique (mais il émerge déjà peu à peu) sera composite, mêlant sources d’énergie dite intermittentes (solaire, éolien), à des plus régulières : hydraulique (production fil de l’eau, éolienne offshore), biomasse, cogénération, méthanisation et une part décroissante de nucléaire, en intégrant des solutions spécifiques au chaffage et à la production d’eau chaude sanitaire : pompes à chaleur, géothermie. Sans oublier les pistes que la recherche consolide peu à peu : hydrogène, pile à combustible, stockage de l’énergie produite et développement des Smart grids.

Cette nouvelle donne ne doit pas privilégier une approche descendante (« top down ») mais ascendante (« bottom up ») reposant sur une évolution comprise, assumée et intégrée de chacun dans ses comportements individuels. Ce qui exige des décideurs qu’ils soient politiques ou acteurs économiques sens de la pédagogie, mise en place des mesures d’accompagnement adaptées permettant et facilitant une transition énergétique, pour toutes les catégories de la population en tenant compte des difficultés financières (pour les habitants) ou budgétaires (pour les collectivités). Il faut faire preuve de solidarité, tant nous sommes tous liés.

Nous devons passer de la culture « pastèque » d’antan et d’aujourd’hui à la culture « groseilles », en précisant que chaque groseille revêt une saveur, une couleur ou une taille différente selon les contraintes des latitudes. Mais pour que la greffe réussisse, il faut cultiver l’adhésion et l’implication des populations, en matière d’énergie et de réchauffement climatique, seul l’usage fait sens.

Comme le souligne Pierre Radanne « il y a un infini dans un monde fini » en faisant référence au progrès scientifique et au développement de la relation à l’autre avec les nouvelles potentialités ouvertes par l’informatique.

 « Un enfant aura dans sa vie qui s’étirera sur tout ce siècle, avec son téléphone portable et internet, accès à plus de personnes, à plus de connaissances et à plus d’expressions culturelles que toutes les générations qui l’ont précédé ».

« Un nouvel horizon s’ouvre. La communication, la culture, l’accès aux autres constituent la nouvelle voie de développement, le nouveau champ d’expansion de l’aventure humaine ».

« Nous passons d’une société de consommation, prédatrice à l’encontre de la planète à une société relationnelle ».

C’est une vision humaniste et citoyenne du progrès qu’il privilégie dans son approche de la mutation énergétique, espérons que les faits lui donneront raison, encore faut il ne pas trop tarder pour s’engager dans cette voie …

Sus aux groseilles !