Etranges étrangers et réfugiés …

 

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Photo : R. Maalouf


« Tout homme a droit à une vie qui lui permette de se construire. »

Albert Jacquard

Avec Nicole Bricq, Sénatrice de Seine et Marne et Rita Maalouf (Secrétaire Nationale du PS à l’humanitaire et aux droits de l’homme) nous sommes allés à la rencontre des réfugiés syriens et irakiens hébergés au Centre d’Accueil pour demandeurs d’asile de Champagne sur Seine. La logistique mise en place par la Croix Rouge, la proximité nouée avec les familles de réfugiés, dont une dizaine d’enfants, malgré l’obstacle de la langue, permettent à ces familles, dans un endroit préservé, de se réparer peu à peu.
Ils nous ont raconté, sans en rajouter, une partie de leur périple : les milliers de kilomètres effectués, les pays franchis, la traversée pour le moins rude de la Méditerranée, les exactions et exécutions commises par  DAECH à Alep, comme leur désespoir de voir la Syrie abimé durablement, sans perspectives d’avenir immédiates.

Elu d’une ville volontaire pour accueillir une famille de réfugiés, cette rencontre me semblait utile, en qualité de Président de l’UDESR de Seine et Marne il était  également important de dialoguer avec le Maire de Champagne sur Seine, l’humanisme de sa médiation ayant contribué à tisser un réseau de solidarités dans toute sa ville.
Cette visite m’a marqué, la question de l’asile politique est ancrée au plus profond de moi, je n’oublie pas d’où je viens; comme tant de français, descendants de « ritals », « polaks », « hongrois » ou « viets », mes origines sont d’ailleurs, nous mesurons tout ce que nous devons à la France, accueillir aujourd’hui des réfugiés est un devoir d’humanité et de solidarité, mais en ce qui nous concerne, également de mémoire.
Deux visions de la société s’affrontent sur une telle question. Celle qui assume et revendique cet accueil, au nom des valeurs républicaines, d’humanisme et de solidarités qui font la France, l’autre toute différente, basée sur le repli, l’égoïsme, l’individualisme et le rejet de l’étranger qui le condamne, ses défenseurs comparant la vague migratoire à un « tsunami », ce faisant ils travestissent, une fois de plus, la vérité, tant la réalité des chiffres s’impose : la France, 5 ou 6eme puissance mondiale va accueillir 24 000 réfugiés en deux ans, soir 1000 personnes par mois, ou 10 par département.
Souvenons nous des 500 000 Espagnols accueillis à la fin de la guerre d’Espagne, des 120 000 boat people de 1979 nous venant du Vietnam, du Cambodge ou du Laos, des 15 000 chiliens de 1973 ! Point commun, toutes ces familles fuyaient la mort pour délit d’opinion !

Cette crise n’est pas européenne, mais régionale, et concerne en premier lieu les pays du sud. Sur les 5 millions de syriens fuyant leurs pays, 98 % vivent dans les pays limitrophes : prés de 2 millions en Turquie (pays de 75 millions d’habitants) et plus d’un million au Liban (pays de 4 millions), le reste se répartissant entre Jordanie et Irak.

Nous devons reconnaitre qu’en ce qui concerne l’accueil d’urgence,  la France n’était jusque là guère à la hauteur. Pas de scoop ici, chacun sait que  le pays galère chaque hiver pour proposer un simple toit à nos «réfugiés de l’intérieur», alors comment accueillir ces nouveaux arrivants ?
Un préalable, crucial, souligné avec raison et gravité par Louis Gallois, Président de la Fedération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale (FNARS) lors de la réunion du 12 septembre organisé par Bernard Cazeneuve : il ne peut y avoir de « concurrence entre pauvres », pour être clair, ce qui est «donné» aux réfugiés ne peut être pris à ceux qui galèrent. Je suis persuadé, paradoxalement, que tout ce qui est entrepris aujourd’hui, de manière tout à fait exceptionnelle, permettra demain d’apporter des réponses dignes, humaines et surtout plus efficace, à tous ceux qui en France, trop nombreux, ont recours aux services du 115. N’oublions pas que la période d’hiver approche. J’y reviendrais, tant cette crise, laisse entrevoir de nouvelles pistes.

Le pays a mis la démultipliée ces dernières semaines : mobilisation de l’ensemble des acteurs (associations, bailleurs sociaux, collectivités) permettant de libérer des milliers de places de logements décents (anciens foyers logement désaffectés, anciennes maisons de retraite, bâtiments en attente de démolition, casernes inoccupées … ), délais d’obtention du statut de réfugié raccourcis, afin de permettre à ceux qui l’obtiendront de prétendre à un logement social au plus vite, en laissant la place à d’autres arrivants, le gouvernement assumant enfin une « logique de flux », plutôt que la « logique de stock » qui prévalait jusque là.

Bien sur, après reste le plus délicat : l’insertion… Impossible de ne raisonner qu’en terme capacitaire, quantitatif, techno, tant cette problématique doit s’appréhender de manière transversale, qualitative et surtout humaine …
Réussir une intégration est la résultante d’une longue chaine de solidarités, dans laquelle chaque maillon, aussi infime et fragile soit il, a un rôle essentiel : collectivités, Etat, associations, particuliers …  C’est à ce stade que d’autres acteurs, dont les collectivités interviennent, d’ou l’intérêt de visiter le Centre d’Accueil de Champagne en amont …

La compassion née d’un cliché, d’un interview, ne dure trop souvent qu’un temps éphémère, c’est ce que rappelait le Maire de Champagne sur Seine, celui de l’émotion …
Il faut en ce domaine, être efficace, humain, collectif mais plus que tout, tenace, d’autant que cette question des réfugiés risque de devenir une constante des prochaines décennies, et ce pour plusieurs raisons …

 

 

 

 

 

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Le parcours d’un demandeur d’asile

Bernard Cazeneuve le 12 septembre a présenté les procédures mises en place par le gouvernement pour faciliter   le parcours d’un demandeur d’asile, déjà dument balisées par les accords internationaux et la Convention de Genève.
Il a souligné les évolutions initiées par la réforme de la loi asile de l’été, qui donne les moyens légaux et règlementaires d’instruire plus vite, au plus prés, afin de favoriser un parcours d’insertion plus serein et apaisé. Indiquant dans son propos qu’aucune démagogie ne pouvait exister en ce domaine, condition sine qua none pour que les français acceptent l’effort engagé, dans un contexte économique et social contraint; précisant que serait reconduit à la frontière avec fermeté mais humanisme ceux, ne pouvant être  considérés comme des réfugiés politiques, et de ce fait acquérir ce statut.

 

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Quand la géo politique rejoint l’humanitaire

La très grande majorité des réfugiés syriens et irakiens fuient l’Etat islamique dont leurs pays sont les premières victimes. Si nous ne les accueillons pas, comment les, mais surtout comment nous protéger ?
Il en va effectivement de la sécurité de nos états, les rejeter comme le demandent certains, c’est aussi assumer de contribuer au développement du terrorisme.

Cette nouvelle poussée de l’émigration a plusieurs raisons objectives :

Un des syriens rencontré à Champagne, la cinquantaine affirmée, patron de société, nous a indiqué qu’avec sa famille, il s’était installé en Turquie pour attendre  la fin du conflit. Après 5 ans de guerre, devant l’absence de perspectives, comprenant qu’il ne reviendrait pas de sitôt chez lui, il a décidé alors d’émigrer en Europe afin d’offrir un cadre de paix et un nouvel avenir à sa famille.
Attitude compréhensible, surtout lorsque l’on assiste aux derniers développements des bras de fer diplomatiques engagés, non plus entre  seulement Assad et l’Etat Islamique, mais également entre la Russie, l’Iran et le camp occidental !

Ces dernières semaines l’annonce par la Turquie de la fermeture prochaine de ses frontières a entrainé une vague de nouveaux réfugiés, qui fuyaient également les enrôlements de force des islamistes ou de l’armée d’Assad (conscription).
De tous les pays riverains, la Turquie est celui qui s’est montré le plus généreux, le plus accueillant, mais l’augmentation du nombre de réfugiés, le prolongement de leur séjour, l’évolution du conflit kurde, comme la progression de l’islamisme, explique une lente détérioration du climat, tant une certaine saturation des pays d’accueil limitrophes apparait peu à peu …

Pour l’Europe, ne pas agir, c’est prendre le risque prendre de contribuer à terme, à la déstabilisation, non seulement la Turquie, mais également de pays comme le Liban, la Jordanie, ou la Tunisie (pour les Lybiens), et de voir une radicalisation larvée à laquelle travaille les extrémistes se développer.
Cette région est non seulement une vraie poudrière, rien de bien nouveau, mais aujourd’hui ertaines mèches allumées menacent de tout faire sauter. Les conséquences en seraient terribles et déclencheraient une réaction en chaine allant jusqu’à Israël, pays voisin du Liban; la rencontre de son premier ministre il y a quelques jours avec Poutine prouve leur inquiétude face à une évolution de la situation pour le moins préoccupante.

Selon le Monde « La longueur du conflit influe également sur les organisations humanitaires, le montant des coupons alimentaires distribués chaque mois par le programme alimentaire mondial (PAM) est passé de 40 dollars à 13 dollars, alors que les besoins n’ont cessé d’augmenter». Il faut soulager leur action, en les aidant mais également en prenant notre part de réfugiés.

 

Quid de la solidarité européenne ?

L’Europe est confrontée aujourd’hui à une crise migratoire sans précédent depuis la signature de la Convention de Genève (1951). Les situations de crise s’y multiplient et alimentent les médias d’images chocs : noyades de réfugiés traversant la Méditerranée, asphyxies dans des camions de trafiquants d’êtres humains, situation de Calais …
La violence de telles images ne sont que le reflet d’une réalité dramatique, trop longtemps ignorée. Certains spécialistes avancent le chiffre de 30 000 morts en Méditerranée depuis 2000 ! Pour l’agence européenne de contrôle des frontières extérieures de l’Europe, ce sont 283 000 entrées illégales qui ont eu lieu en Europe en 2014 (dont 220 000 par mer).

Deux éléments sont également à prendre en considération. Ils expliquent, outre les valeurs et principes moraux qu’il ne faut pas mettre en doute, la position allemande : les émigrés syriens sont pour la plupart, en pleine force de l’âge, déjà formés, pour beaucoup diplômés et issus des classes aisés. Pour arriver en Europe, le ticket à un prix, entre 3000 et 5000 euros par personne.
Il n’échappera à personne que la démographie allemande a quelques faiblesses.  Cela fait déjà plus de dix huit mois, que les collectivités allemandes préparent avec soin l’arrivée des « chrétiens de Syrie ».

L’Europe objet de migrations mixtes mêlant réfugiés politiques et économiques, est désormais la plus grande destination migratoire au Monde, record qu’elle doit à sa situation vis à vis du bassin méditerranéen : Irak, Syrie, Lybie mais aussi Afrique. Devant ces arrivées massives, elle se doit d’apporter plusieurs types de réponse, même s’il est bon de relativiser quelque peu les chiffres : que pèsent les 430 000 réfugiés syriens devant 500 millions d’habitants (dont 0,1 % de réfugiés) ?

Il lui faut :

  • soutenir les pays périphériques d’accueil et les ONG encadrant les camps,
  • contribuer à trouver des solutions diplomatiques ou militaires en Syrie même,
  • Définir un cadre d’accueil et de solidarité respecteux des valeurs humanistes que portent l’Europe.

Aussi la décision de la Hongrie de Monsieur Orban, non seulement de fermer ses frontières nationales, mais  «de faire la guerre aux migrants», en donnant à l’armée l’autorisation de tirer à balles réelles, et donc de tuer est une atteinte inacceptable à ce qui constitue le socle de l’engagement européen. Il ne s’agit plus ici d’économie ou de déficit, mais de valeurs ce qui est d’autant plus grave, il y a ici rupture de contrat ! L’histoire balbutie, faut il rappeler à Monsieur Orban que c’est plus de 200 000 hongrois qui ont fui ce pays en 1956 et qui ont été accueilli partout dans le monde, 200 000 !

Cette séquence, est un crash test pour les règles de Schengen. Pour l’instant celles ci tiennent, des contrôles pouvant être réinstaurés dans le cas de circonstances jugées exceptionnelles, la période maximale prévue est cependant de 2 mois, quid après ce délai ?
Si la tentation pour certains pays de l’Est est de durcir le contrôle et le blocage de leurs frontières, ils restent paradoxalement attachés aux accords de Schengen. L’incidence économique, sociale et politique sur la libre circulation des biens et des marchandises mais aussi de leurs habitants seraient considérables.

Tout n’est pas si simple, mais l’Europe ne progresse t’elle pas mieux, et c’est bien malheureux, qu’en période de crise !
Mieux vaut d’ailleurs qu’elle progresse, car les conflits régionaux, mais également les aléas climatiques risquent de multiplier les migrations de populations sur la planète. Il lui faudra savoir apporter des réponses solidaires tant au niveau local, que global, cela ne vous rappelle rien ?

Cela commence effectivement avec la Conférence Climat qui se déroule à Paris, dans quelques semaines !