Ligne P : fracture consommée ?

 

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Dans un billet daté de février dernier, j’évoquais la rencontre organisé par Guillaume Pepy, Président de la SNCF avec les Maires des villes de la ligne P (dont Trilport), entretien qui m’avait laissé entrevoir quelques perspectives d’amélioration dont je m’étais fait l’écho, imprudemment cependant, tant la réalité aujourd’hui est malheureusement toute autre.

Nous assistons depuis cet été à une dégradation inacceptable des conditions de transport, pourtant loin d’être idéales jusque là : retards, suppressions de trains, propreté, travaux …  Mais plus que tout, c’est la multiplication du recours aux trains courts lors des heures de pointe, avec tout son cortège de conséquences sur les conditions de voyage (dont beaucoup inadmissibles), qui exaspèrent au plus haut point les usagers dont certains passent prés de 2 heures par jour dans ces trains; et cela sans comptabiliser le métro ou le RER !
Il faut concrètement partager de tels moments pour comprendre tout le ressenti et la colère légitime de voyageurs qui se sentent considérés comme du véritable « bétail » (sic). Aucun sas de décompression, les transports ferrés sont déjà en mode « Metro heure de pointe » dés leur gare de départ !

J’ai adressé à Guillaume Pepy il y a quelques semaines un courrier pour protester comme élu et usager, de cette situation inacceptable qui n’a que trop duré. Petite note positive cependant depuis septembre, le Pass Navigo à prix unique qui atténue une inégalité territoriale devenue de plus en plus pesante et discriminante au fil du temps.

Il est dommageable que tous les efforts consentis depuis 2008 par la Région et le STIF soient ainsi remis en cause par ces dysfonctionnements. Les mesures mises en place, telles le cadencement, l’arrivée de nouvelles rames, la rénovation des voies et des quais mais aussi la tarification, induisent de nouveaux usages de mobilités chez nos concitoyens notamment le week end ou en soirée mais elles font apparaître paradoxalement aujourd’hui en creux, toutes les faiblesses et lacunes d’un réseau sous dimensionné et obsolète qui n’arrive pas à suivre cette montée en puissance. L’obsolescence étant, ne l’oublions pas, la cause principale de la multiplication des incidents rencontrés ligne P.
Cette ligne ferroviaire est représentative des contrastes de l’Île-de-France à l’heure du Grand Paris, elle devrait à ce titre inspirer les candidats aux régionales en les incitant à élargir leur focale jusqu’aux franges les plus lointaines de la région, afin de positionner la problématique des transports de la grande couronne comme une priorité absolue.
Je n’ose suggérer à Monsieur Pepy de prendre quelques minutes pour gouter aux délices d’un aller simple Trilport / Paris aux heures de pointe dans de telles conditions. Si l’on veut prendre les choses du bon coté, il est vrai que lorsque les usagers après un tel périple arrivent enfin à leur travail  ils se sentent libérés ! Mais est il normal de promouvoir l’émancipation par le travail avec un tel procédé ?

Rappelons que longue de 252 km, fréquentée chaque jour par 85 000 usagers, nombre en constante progression, la ligne P dessert 36 gares sur 3 départements et s’étire à plus de 90 km de Paris, allant jusqu’à Château-Thierry ou La Ferte-Milon. Imaginons les analyses que pourraient en tirer Emmanuel Vigneron, sociologue rendu célèbre par ses travaux sur les variations de l’espérance de vie au fil du RER B, ou encore Christophe Giulluy, le spécialiste des fractures entre France des métropoles et France périphérique tant elle illustre la discrimination territoriale du pays et bien des problèmes que rencontrent le péri urbain.
Rajoutons encore une couche, la ligne P est la dernière en Ile de France à avoir des voies encore non électrifiées (Provins / Trilport à La Ferté Milon) ! Anachronisme qui impose des contraintes de gestion de parc, complexes et couteuses, des rames ayant une faible capacité et le recours à des navettes bus de substitution lorsque ces dernières tombent en panne ou en raison du rythme des saisons : été (chaleur, canicule), automne (les feuilles qui tombent à la pelle), hiver (froid, gel et neige), ce doit être également une des raisons pour laquelle les usagers apprécient tellement  le printemps,

Question simple mais importante pour le quotidien de milliers d’usagers de la Grande Couronne :  comment améliorer leur quotidien durablement dans une situation qui aujourd’hui est pour le moins compromise ?

Voici quelques pistes de réflexion dans le cas ou nos décideurs seraient en manque d’inspiration …

 

 

 

 

 

Sanctionner plus durement le recours au trains courts, d’autant qu’il constitue désormais un paramètre de gestion face aux problèmes d’obsolescence du parc machines

  • Dans la palette des indicateurs qualitatifs, susceptibles d’entrainer pour les opérateurs des pénalités financières tels : régularité, ponctualité, humanisation et présence en gare, le recours aux trains courts doit être pénalisé beaucoup plus significativement. Non seulement il contribue à la dégradation du service de transport, constitue une véritable atteinte à la dignité des usagers mais entraine potentiellement des problèmes de sécurité tant les quais et les rames sont bondés
  • Concernant les statistiques qualitatives, il faut relativiser l’importance donné aux indicateurs de niveau de qualité de service positifs, dés que ceux ci résultent d’une globalisation des données par ligne, réductrice de fait. Cette lecture nuit effectivement à une analyse circonstanciée concernant la qualité effective du service accompli sur l’ensemble de la ligne; les dysfonctionnement apparaissant souvent sur les mêmes segments, localisés  généralement en fin de ligne; en ce domaine ce sont les points faibles du dispositif qui importe surtout lorsqu’ils sont lourds de conséquences pour les usagers impliqués malgré eux ! Lorsque les usagers de Lizy s/ Ourcq, Trilport ou de la Ferté sous Jouarre s’entendent dire que les indicateurs de la ligne P sont « plutôt » bons, ils peuvent légitimement penser que l’on se moque d’eux
  • Créer un observatoire des lignes, ouvert aux usagers, accessible par internet qui intègre le reporting des incidents, les montées et descentes par gare, les pénalités infligées, les actions correctives mises en place, la progression ou non des opérateurs en terme de qualité de service sur l’ensemble des lignes. Il faudrait créer un véritable open datas sur cette thématique des mobilités afin de mieux cerner les points faibles du système global.

 

Demeurer extrêmement vigilant sur les limites du « Très Grand Paris Express »

  • L’effort de rénovation à mener en Grande Couronne est colossal, tant au niveau des voies, rames, quais, gares ! De plus en plus d’habitants y vivent, qui représentent autant d’usagers supplémentaires en puissance pour un réseau saturé qui menace de thrombose tout le système de transport régional.
    Usagers et élus ont peur de voir l’essentiel des moyens financiers, surtout en période de diète budgétaire, se concentrer sur le seul réseau du Grand Paris; personne n’ayant oublié comment le réseau de Grande Couronne a été sacrifié lors des décennies précédentes à l’autel du tout TGV, ou du tout Météor.
    D’autant que le « super réseau statosphérique » prévu pour la nouvelle métropole possède son lot de zones d’ombre : sous estimation des infrastructures souterraines, impact financier de la mise en place des reports multimodaux non pris en compte …L’addition risque fort d’être non seulement salée, mais sans commune mesure avec celle initialement envisagée.

 

Prendre en compte les spécificités périurbaines

  • Electrifier les lignes SNCF qui ne le sont pas encore est un minimum. C’est bien évidemment une question d’équité territoriale mais aussi la condition sine quantum qui permettra sur la ligne P de simplifier et fluidifier la gestion d’un parc aujourd’hui hétéroclite, mais également d’ assurer une montée en puissance et en charge lors des heures de pointe pour des centres urbains et gares de plus en plus fréquentées (bassin de vie supérieur à 100 000 habitants) qui aujourd’hui n’ont pas d’autres solutions potentielles en offres avec une population qui ne cesse de progresser !
  • Faire de la multimodalité un enjeu stratégique. Chaque nœud de réseau constitué par une gare, est au centre d’un éco système local de mobilités, qui pour s’épanouir ne doit pas rester au seul stade du concept. Il y a urgence pour ce qui concerne la grande couronne, dont un des maillons faibles est bien la clé d’entrée du réseau de mobilités comme de la chaine des acteurs qui compose ce dernier.
    Le système actuel, celui des « pôles gares» n’est pas satisfaisant : trop administratif, complexe, long à mettre en place puis à mettre en oeuvre, une véritable usine à gaz … Dés qu’un partenaire ne veut pas jouer le jeu (notamment l’opérateur de mobilités qu’était RFF,  champion toutes catégories à ce jeu), c’est tout le processus qui est bloqué. Il faut non seulement un pilote, mais également un facilitateur et un arbitre, permettant d’assurer le respect d’échéanciers raccourcis et d’assurer une gouvernance resserré permettant des décisions rapides suivies d’actions concrètes.
    A mon sens beaucoup de choses sont à revoir sur les dispositifs et procédures en place afin de les rendre plus fluides, agiles, « cognitifs » (notion d’éco systèmes locaux) et surtout réactifs …
  • Assumer le « fait routier » en privilégiant une approche par logique de ligne : le stationnement (vélo, voiture) comme le recours aux bus sont des éléments indissociables de la chaine des mobilités. Si l’usage de la voiture individuelle n’est pas pour l’heure le plus écologique, en grande couronne il reflète une réalité concrète. Elle occasionne pour les « communes à gare SNCF » tout un lot de contraintes et une gestion qu’elles ne sont pas en capacité, surtout lorsqu’elles sont petites, de supporter seules.
    Il est nécessaire de créer pour l’usager un « pack mobilités », intégrant le prix du stationnement au titre de transport (création d’un Navigo Plus), de services complémentaires « add on » et de privilégier pour la gestion des parkings eune logique de ligne (services ajoutées, synergie, investissement permettant de développer la capacité d’offre de stationnement : aménagements, travaux …), afin que les opérateurs spécialisés soient véritablement en appui des collectivités, dont la gestion de ces espaces n’est ni la mission ni la vocation.
    Dans le même esprit, il faudrait développer les pratiques de co-voiturage grâce à une politique d’incitation agressive : emplacements réservés sur les parkings, tarification préférentielle (parking offert si 3 places occupées dans la voiture …).
  • Elaborer un nouveau modèle de Transport à la Demande (TAD), pouvant apporter des réponses originales tant dans les secteurs ruraux, que dans certains quartiers urbains (en complément de l’offre en place) basé sur des concepts innovants reposant en grande partie sur le dividende numérique. Il est possible d’apporter une réponse institutionnelle alternative et socialement régulée à l’Uberrisation tout en utilisant le numérique. Ce secteur représente une piste de croissance potentielle vertueuse, pouvant offrir un complément d’offres particulièrement compétitive et souple afin de renouveler la vision traditionnelle et monolithique du TAD, non seulement sur les périmètres de desserte, mais également sur les amplitudes. L’asymétrie entre offre et demande pouvant être comblées par la souplesse et la complémentarité.

 

Limiter la montée en charge lors des heures de pointe

Diminuer la fréquentation des réseaux de transport lors des heures de pointe, du matin ou du soir, est synonyme d’amélioration directe, concrète et durable des conditions de transport. Baisser la fréquentation ne serait ce que de 3% représenterait pour la collectivité des sources d’économies substancielles, que ce soit en fonctionnement comme en investissement et une amélioration sensible de la qualité de vie et des transports pour des millions d’usagers. Plusieurs axes d’action et leviers peuvent accompagner une telle évolution (révolution) des comportements :

  • Développer le télétravail : il est essentiel et important de soutenir les tiers lieux ou télécentres qui se développent afin que les utilisateurs potentiels (entreprises, administrations, institutions, salariés) pérennisent leur existence via des conventions ou des partenariats, des labellisations, des systèmes d’abonnement préférentiels, la mise en place de contrôle des présences effectives, la création de centrales de réservation.
  • Contribuer au lissage des amplitudes d’ouverture des services, opérateurs, entreprises, universités …

 

Chacun peut le constater, il n’existe pas de fatalité en ce domaine ou de réponse unique, mais bien un faisceau d’actions complémentaires à court, moyen et long terme, à mener par les différents acteurs qui composent et animent la chaine des mobilités.
C’est un enjeu social, économique mais également culturel, car la mobilité est non seulement le droit d’accéder au travail, aux études, mais aussi aux loisirs.
Une des richesses de l’Ile de France, partagées d’ailleurs par beaucoup d’intercommunalités seine-et-marnaises est la diversité de nos paysages, la mobilité doit impérativement tenir compte de la géographie des territoires. Chez nous, ils vont  de la métropole, à l’urbain, puis au rural en passant par le péri urbain …
Plusieurs défis sont à relever de ce fait, dans un contexte budgétaire plus que contraint, ce qui est d’autant plus pénalisant devant la dynamique territoriale en cours depuis plus de 20 ans, notamment dans le 77…  Dans un tel contexte, ne pas progresser est synonyme de régression.
Paradoxe de taille, plus la chaine  des mobilités est complexe à mettre en œuvre, car il s’agit bien d’éco systèmes locaux en interaction cognitive (le copier / coller s’apparente en ce domaine à la faute professionnelle), plus d’acteurs interviennent et de mode de mobilités se combinent (rupture de charges), plus tout doit apparaitre le plus simple aux yeux des usagers, c’est entre autre la mission du STIF.

Je considère pour ma part que l’échelle pertinente pour l’Ile de France dans le domaine des mobilités, mais pas exclusivement, ne peut être que métropolitaine. Jean Paul Huchon avait raison, l’avenir proche lui rendra justice, le « périmètre pertinent » de la métropole du Grand Paris, est, du fait de la nature des liens entre Grande Couronne et métropole notamment, la Région elle même …