Péri urbain, « Mobilis in mobili »?, mirage ou objectif ?

 

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Les « rencontres de la mobilité inclusive » organisées par le laboratoire du même nom*  invitent chaque année les acteurs de la mobilité à une journée d’échange consacrées aux difficultés rencontrées par les publics en situation de fragilité. Cette journée permet également aux jeunes pousses de présenter leurs innovations, une quatrième édition qui illustre l’essor véritable de ce marché des mobilités du fait notamment de l’arrivée de nouveaux acteurs issus du monde du numérique.

J’étais invité à participer à la table ronde dédiée aux mobilités péri-urbaines. Il est bon que les problématiques spécifiques à l’espace péri urbain soient enfin mis en avant dans ce type de rencontre, tant elles concernent des territoires qui se retrouvent aujourd’hui en situation de grande fragilité.
J’ai rappelé l’état de délabrement des réseaux ferrés de la grande couronne, où se déplacer demeure non seulement un enjeu, mais trop souvent un véritable défi, ce qui à la longue et au quotidien devient pesant et pour le moins anxiogène pour ceux qui vivent dans ces territoires. Il serait pertinent pour le péri urbain, de parler plutôt de mobilités non inclusives.

Y répondre nécessite de rattraper plus de 30 ans de désengagement total, que ce soit au niveau du parc roulant, des réseaux ou des gares. Conséquence directe de la priorité donnée au Tout TGV par la SNCF toutes ces années, financé par l’abandon délibéré de nos réseaux ferrés régionaux.
Rattraper un tel retard est difficile, d’autant qu’il faut adapter dans le même temps les infrastructures à la montée en puissance de territoires en plein essor et à la mutation en profondeur de notre société.
Cette situation est assez similaire à celle que nous connaissons avec la transition numérique; avant d’aborder la dimension des usages, essentielle, il convient cependant de régler la question des tuyaux ! Accéder à une mobilité réellement inclusive nécessite le préalable de « gagner » la bataille des infrastructures. Vaste gageure …

Notre société illustre la célèbre devise du capitaine Nemo, « mobilis in mobili ». Ne pas être en capacité de se déplacer en liberté dans une société de plus en plus mobile, conduit inexorablement à l’exclusion et au déclassement.
Avec des conséquences  trés concrètes : contraintes quotidiennes, absence de perspective, ressentiment de plus en plus marqué à l’égard des métropoles, élites et ville capitale, comportements électoraux de rupture (abstention ou vote extrémiste)…
Si ce n’est pas encore la guerre des Gaules, les fractures territoriale, sociale et politique déjà présentes s’élargissent au fil des mois. Gagner la bataille des mobilités péri urbaines constitue désormais un enjeu démocratique de premier ordre et devient une priorité républicaine.

Il est essentiel de remettre l’équité au coeur de la république des territoires, et de maintenir une cohésion sociale aujourd’hui malmenée qui ne tient plus qu’à un fil dans certains territoires et menace de rompre à tout moment.
Les mobilités sont au cœur de nos vies, trop souvent même de nos angoisses quotidiennes, tant se déplacer est vital pour accéder à un emploi, mais également droit à la culture, aux loisirs, au lien social, au temps libre et libéré. De manière plus globale, les mobilités sont une condition sine qanun de l’épanouissement et de l’émancipation de chaque citoyen …

Encore devons-nous adapter l’organisation de nos transports à la réalité du monde actuel et substituer à la logique de silo d’antan, une logique systémique basée sur des éco systèmes locaux de mobilités …

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Auparavant tout semblait simple, immuable … Les transports de grande couronne cadencés selon les flux pendulaires de la trinité métro / boulot / dodo, reposaient sur un modèle industriel de masse, standardisé. C’est ainsi que SNCF, RATP, sociétés de bus ont prospéré au fil des décennies, développant chacun sa mono activité en mode silo, sans se préoccuper des interfaces ou des connections. C’était à l’usager alors de s’adapter.

Le développement des territoires ruraux et péri urbains, l’arrivée de nouveaux habitants majoritairement issus du monde urbain, l’évolution d’une société de plus en plus mobile, obsédée par le temps qui file, s’affranchissant des kilomètres, ont produit l’émergence de nouveaux besoins en mobilité et bouleversé toutes les approches précédentes.
A la vision mono canal d’alors s’est substitué une approche multi modale plus diffuse, mêlant plusieurs modes de transport selon le contexte ou les caractéristiques d’un territoire donné comme les temporalités en jeu. Exigence absolue : faire fi d’une complexité croissante, du degré de sophistication des systèmes mis en place, de la multiplication des acteurs intervenant dans la chaine des mobilités, car pour l’usager tout doit rester simple, lisible, limpide et la moindre ruptures de charge à éviter. C’est au système de s’adapter à l’usager, le paradigme est ainsi renversé.

Un nouveau monde émerge, nous vivons dans une société de l’accélération, certains parlent même « d’accélération dans l’accélération ». L’heure est à la grande métamorphose, du fait d’organisations de plus en plus neuronales dotées grâce aux nœuds, synapses, capteurs, senseurs qui les composent de la capacité de s’adapter au plus prés aux aléas, à l’improbable et de rétro agir …
La souplesse, l’agilité, la réversibilité doivent être au coeur de l’ADN d’une société dont le credo est « mobilis in mobili ».

C’est non seulement la vitalité du réseau, mais plus encore son efficacité qui devient prépondérante. Nous ne sommes plus en présence d’un réseau hiérarchisé à la logique descendante, mais totalement décentralisé et proche du terrain.
Aux paradigmes anciens, le silo, le périmètre, il convient de substituer une logique de ligne, de connections, de bassins de vie le plus fréquemment pluriels, connexes et transverses, d’éco systèmes multiples.
Il devient essentiel de contextualiser, innover, en privilégiant plus que tout l’intelligence collective et en s’appuyant sur une véritable résilience territoriale, tant chaque territoire possède sa propre logique qui dépend des acteurs en place, de son histoire, parfois de sa culture ou lorsque l’on aborde le champ des mobilités, inévitablement de sa géographie et de son urbanisme.

Le Big Data, les progrès de l’intelligence artificielle, l’émergence de l’informatique nomade, de l’internet des objets, la géo localisation, les GPS, les réseaux sociaux, bientôt la réalité augmentée, attirent de nouveaux acteurs issus d’autres univers et  horizons; ils proposent de nouvelles perspectives, trés souvent disruptives, basées sur les concepts de partage, d’esprit collaboratif, de continums, se retrouvant à contre-courant de la culture d’entreprise dominante des grands acteurs traditionnels, obsédés par la propriété d’informations exclusives gardées jalousement au sein de leurs sociétés.

La problématique des mobilités est plus que jamais au cœur de toutes nos interactions, rien de plus logique puisque nous vivons dans une société du mouvement, de liens, virtuels ou réels, dans lesquels l’ubiquité numérique prospère et le temps consacré aux mobilités se retrouve de plus en plus « enrichi » ou « augmenté » par les flux d’informations dispensés par des outils nomades nous suivant en continu …

Ce nouveau paradigme suscite l’irruption d’acteurs jusque-là inconnus, de type UBER, qui proposent des services inédits, nouvelles briques à plugger autour de l’auto partage, du covoiturage, du transport à la demande, mais également l’arrivée de grandes sociétés de l’informatique et du e-commerce aux visées hégémoniques assumées, se positionnant sur ce nouveau segment, véritable eldorado pour leur savoir faire, dans lequel des concepts aussi essentiels que ceux de réactivité, agilité ou souplesse, leviers majeurs du bouleversement en cours, étaient jusque là totalement absents, un comble lorsque l’on aborde le champs des « mobilités » et une véritable opportunité pour les nouveaux arrivants.

Membres du laboratoire
Ademe, AG2R La Mondiale, CNML (Conseil National des Missions Locales), la Croix-Rouge française, FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion), FARE, FASTT (Fonds d’Action Sociale pour le Travail Temporaire), Keolis, le Groupe La Poste, la Fondation MACIF, la Fondation d’Entreprise Michelin, Pôle Emploi, la Fondation PSA Peugeot Citroën, le Secours Catholique, Total, Transdev, Wimoov.