Pour que le 115 ne soit plus aphone

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La publication du rapport annuel de la Fondation de l’Abbé Pierre est l’occasion chaque année de faire le point sur la situation du logement dans notre pays. Ce document exhaustif est désormais la référence sur cette problématique essentielle située à la confluence de beaucoup des fléaux qui touchent notre société. Son édition 2016 (21eme du nom) bénéficie des données de l’enquête INSEE sur le logement qui démontrent l’aggravation d’une situation impactant de plus en plus de personnes vulnérables, dont les sans domicile fixes.
Rappelons que si deux millions de personnes attendent toujours l’attribution d’un logement social, notre pays ne parvient toujours pas à héberger plus de la moitié des sans abris, dont le nombre a quasiment doublé en dix ans pour la seule Ile-de-France (+ de 85 % de 2001 à 2011). Une nouvelle tendance inquiétante se confirme, de plus en plus de familles avec enfants sont concernées et se retrouvent sans logis.

La question des réfugiés a donné lieu à une mobilisation tout à fait exceptionnelle (cf billet précédent), qui a permis d’explorer et de découvrir de nouvelles pistes, dont certaines tout à fait appropriées à l’accueil des personnes sans domicile fixe.
La récupération et l’exploitation politique qu’en a fait un parti comme le Front National, que j’ai vécu en direct lors d’un débat en Conseil Communautaire avec une de leurs élues, laisse pantois. Les représentants de ce mouvement idéologique qui ne s’étaient jamais préoccupés jusque là du sort des exclus, bien au contraire, dénoncent désormais, la « concurrence » entre sans-abri français et réfugiés étrangers et « l’abandon » des SDF de souche au profit de clandestins. La ficelle est un peu grosse …
Plutôt qu’une récupération politicienne indigne et pour tout dire assez minable, la question des SDF exige des réponses concrètes et urgentes, tant le système actuel apparait totalement à bout de souffle : centres d’appel saturés, lieux d’hébergement débordés, seulement une personne sur deux qui appelle le 115 se voit offrir une solution pour la nuit, mais également des conditions d’hébergement très préoccupantes, voir indignes et sans aucun traitement social de fond à la clé.

Il faut arrêter le bricolage social, repenser de manière globale notre politique d’accueil, la refonder, tant il est indispensable de donner à ses familles très fragilisées la possibilité de rebondir et leur permettre effectivement et réellement de sortir de ce qui est devenue une spirale infernale, afin de pouvoir s’intégrer dans la société.

Pour cela un seul impératif, assumer de faire de la question de l’hébergement des sans abris, une véritable priorité, en y apportant des réponses structurelles sur le court, le moyen et le long terme.

 

C’est ce que ce billet vous propose d’explorer, en commençant par un état des lieux quelque peu décapant, qui n’est que le reflet d’une triste réalité.

 

 

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En matière d’hébergement d’urgence, aujourd’hui, c’est le court terme qui s’impose, avec le recours quasi systématique à l’hôtel, tant les 40 000 places des structures d’urgence (centres d’hébergement et d’insertion sociale) gérées par les associations humanitaires et sociale, ne peuvent plus répondre à la demande et ne sont pas non plus adaptées le plus souvent à accueillir des familles, de plus en plus nombreuses dans la rue (couples, mères célibataires avec enfants…).
Ce contexte a amené les acteurs sociaux à recourir à l’hôtel. Ce sont désormais 40 000 chambres qui sont louées chaque nuit pour un coût annuel de 400 millions d’euros;  solution comparée par les travailleurs sociaux à une véritable «drogue dure». Pourquoi ?

  • Réserver des chambres est beaucoup plus facile et rapide que de construire des centres, l’offre immédiatement disponible et souple permet de se d’adapter à la demande, mais inconvénient majeur, cette solution empêche de fait, tout travail social de fond, car l’hébergement hôtelier est par définition provisoire, précaire et réversible.
  • Quand à l’économie réalisée si elle semble évidente, pas d’investissements (aucune structure à créer), peu de masse salariale, elle n’est qu’apparence. Si le coût de 17 euros par nuit et par personne semble raisonnable pour une chambre d’hôtel (notamment à Paris), soulignons que la majorité de ces chambres se trouvent en banlieue, souvent en grande couronne, et que la véritable facture s’élève plutôt à 17 euros multipliés par 2,3 ou 4 (si familles) par nuitée, soit 50 euros voire plus. Nous ne sommes pas dans le cadre d’hébergements ponctuels, mais avec des durées de plusieurs mois (parfois même des années) ; chaque chambre rapporte à l’hôtelier prés de 1500 euros / mois. Voilà pour l’économie.

 

L’ile de France qui est une des régions les plus touristiques au monde, héberge 35 000 personnes sans domicile dans plus de 530 hôtels (soit 15 % de l’offre hôtelière régionale).
Le seul Samu social de Paris loue des chambres dans 78 hôtels de diverses chaînes (Formule 1, Campanile, Première Classe, Balladins…), ce qui représente une dépense annuelle de 180 millions d’euros (totalement financée par l’état) sur les 212 millions de son budget.
En matière de logement d’urgence, les hôtels ont le vent en poupe : 2 500 nuitées en 2005, 14 fois plus aujourd’hui. Le SAMU social a même créé depuis 2007, un « Pôle d’Hébergement et de Réservation Hôtelière » qui gére en temps réel les demandes du 115, et trouve chaque nuit les chambres d’hôtels nécessaires, tant l’offre varie selon chaque chaîne, les périodes de l’année ou évènements du calendrier, au regard de l’attractivité de certaines infrastructures (dont le Stade de France).

Conséquence indirecte et inattendue, ce mode de gestion plonge beaucoup de petites communes, notamment seine et marnaises, dans la détresse et la difficulté.
Certains des hôtels affrétés par le 115, sont implantés pour des raisons économiques (prix du foncier, taxes locales…) dans des petites villes ne disposant d’aucune logistique ou infrastructures adaptées et se retrouvant dans l’incapacité d’agir auprès de familles en difficulté, dont une grande majorité ne parle pas notre langue. Ces municipalités, se retrouvent, totalement désemparées et abandonnées, dans des situations impossibles à gérer, n’ayant ni les services nécessaires, ni les structures adéquates, que ce soit au niveau de la scolarisation des enfants, l’accueil et le suivi de familles vivant dans des conditions souvent inacceptables au niveau sanitaire ou de l’hygiène, ces hôtels n’étant pas aménagés pour ce type de public.

 

Les familles hébergées sont le plus souvent plongées dans des situations administratives difficiles, voir inextricables, loin de tout, autant dire que le contexte ne les place pas dans les meilleures conditions pour rebondir, que ce soit dans les démarches à accomplir, l’accompagnement social des familles, la recherche de travail, la scolarité des enfants…

Nous voilà confrontés à un véritable cercle vicieux qui alimente une filière économique, quelquefois même parallèle. Constat implacable, beaucoup de ces «hôtels sociaux» ne fonctionnent que grâce au 115, proposant des conditions d’accueil dans certains cas dignes des livres de Zola, prosmicuité souvent limite, conditions d’hygiènes notamment pour l’accueil d’enfants déplorables, localisations lointaines, autant de paramètres qui aggravent les drames humains, sur les mobilités, l’emploi, la scolarité, le suivi médical et sanitaire, l’encadrement et le travail social. Une politique d’hébergement qui fait vivre de véritables marchands de sommeil, investissant dans des « appartements » dédiés au logement social, des propriétaires de camping, mais aussi, encore plus incroyable, des intermédiaires dont l’activité principale est de trouver des chambres pour le compte des opérateurs sociaux institutionnels (le SAMU de Paris achetant environ 45% de son « offre hôtelière » via des réservataires), tout cela aux frais de l’Etat.

Conséquence évidente : les familles hébergées à l’hôtel ont le plus grand mal à reprendre une vie autonome, construire après tant d’années d’assistanat un parcours social, régulé, équilibré, stable, d’autant que trop souvent aucun accompagnement de fond n’a pu être effectué.

 

Quelles solutions pour sortir de cette spirale infernale ?

Le système actuel d’hébergement d’urgence produit trop de misère sociale. Il faut lui substituer une nouvelle architecture basée sur un principe central : lier le toit à l’accompagnement social, mais aussi à un contexte local favorisant le développement d’une forme de résilience.
Ce contexte doit proposer des lieux, un tissu urbain, des acteurs locaux en capacité de porter un véritable parcours destinée à inclure les exclus, à leur enseigner notre langue, à protéger et éduquer les enfants, à faire bénéficier les familles d’un encadrement médical sanitaire minimum, afin de les sortir de leur précarité, et de réduire progressivement les freins à l’adaptabilité à notre société.

Il faut changer à la fois de logique et de système, ce qui demandera du temps, assumer le fait de construire un réseau de Centre d’Accueil et de structures relais différentes et complémentaires, pouvant proposer des solutions adaptées aux différentes familles. L’hébergement hôtelier, doit rester seulement ce qu’il aurait du toujours être, une simple variable d’ajustement éphémère à la marge, et non un des piliers du système.

L’organisation mise en place pour l’accueil des réfugiés, recèle de vraies pistes de réflexion, n’y manque que l’essentiel, le lien humain. Nous avons la chance, en France de bénéficier d’associations humanitaires de qualité qui peuvent être autant d’opérateurs. S’il faut effectivement construire et bâtir, le territoire national dispose de locaux scolaires, maisons de retraite, foyers de jeunes travailleurs ou d’apprentis, sous-utilisés, et même de logements HLM vacants dans certains villes petites et moyennes que les bailleurs sociaux envisagent de détruire (au rythme de 9 000 à 16 000 appartements par an, parce inutile).

 

Il est grand temps de tout mettre à plat et de changer littéralement la donne, il ne s’agit plus ici de charité ou d’assistanat mais bien d’organiser le Service Aprés Vente d’une société qui produit de plus en plus d’exclus du système, d’apporter enfin des réponses dignes, humaines, respectueuses des femmes et des hommes, soucieuses du devenir des enfants et plus que tout efficace, mais plus que tout enfin efficaces, permettant aux accidentés de la vie de rebondir.

 

 

 

Annexes

Factuel

D’après l’enquête INSEE logement 2013, 5,1 millions de personnes ont connu au moins un épisode sans logement dans leur vie. Plus de 2 millions ont déclaré avoir eu une absence de logements pendant au moins un an et 440 000 pendant plus de 5 ans.

Hébergement institutionnel : 800 000 y ont eu recours à un moment de leurs parcours de vie. En dernier recours, des lieux non prévus pour l’habitation sont sollicités : 340 000 personnes ont déclaré y avoir vécu dans leur vie.

Pour l’INSEE est sans abri toute personne qui ne dispose pas d’un lieur couvert pour se protéger des intempérieset dort soit à l’extérieur, soit dans un lieu non prévu pour l’habitation.

 

Les résultats du rapport annuel 115 pour 2014 de la FNARS sont sur la même longueur d’onde. Durant l’année 2014, 97 600 personnes ont appelé le 115 dans l’espoir d’être hébergées dans une structure sociale. Si les hommes seuls restent les principaux demandeurs, la FNARS observe une sollicitation croissante des familles avec enfants (+16 % depuis 2012, les familles représentant 39 % des appels en 2014), des femmes seules (+12% depuis 2012) et des travailleurs pauvres (10% des appelants déclarent avoir un emploi). La précarité des enfants s’intensifie également avec plus de 20 600 mineurs dont les parents ont appelé le 115 cette année, ce phénomène est en hausse : +18% entre 2012 et 2014.

Le recours au numéro d’urgence est en progression ces deux dernières années, avec une hausse de 4% du nombre de personnes qui demandent un hébergement d’urgence, sur les 37 départements du baromètre de la FNARS.

Le rapport annuel 2014 montre une nouvelle fois que le droit à l’hébergement d’urgence pour toute personne en détresse sociale reste en grande partie inappliqué faute de places suffisantes : 48 000 personnes ont eu une réponse négative à chacun de leur appel au 115.

La hausse du nombre de places, surtout en hôtels (+78%) n’a pas pu compenser la hausse des demandes. L’absence d’offres d’hébergement suffisantes éloigne le numéro d’urgence de ses missions premières et génère l’épuisement et le non-recours des personnes, tout comme une perte de sens et une frustration des professionnels.

La FNARS a réalisé une enquête auprès des 115/SIAO de 18 départements entre le 15 décembre 2015 et le 10 janvier 2016 pour proposer un état des lieux de la situation de l’hébergement et du logement des personnes sans-abri et mal-logées.

Les 3/4 des places créées l’ont été en hôtel (6 450 places), contre 2 250 places supplémentaires en centres d’hébergement d’urgence ou en hébergement d’urgence dans le logement.

Les places d’hôtel supplémentaires ont été ouvertes, en volume, essentiellement à Paris et en Seine-Saint- Denis (à 84 %).

L’augmentation du recours hôtelier concerne cependant plus largement d’autres départements. Ainsi, le volume de places d’hôtel a augmenté de 50 % à plus de 90 % dans quatre départements (Haute-Garonne, Loire-Atlantique, Gironde et Rhône).

Dans les départements enquêtés, les places d’hôtels représentent 60 % du parc d’hébergement d’urgence. Dans neuf départements, l’hôtel est résiduel et représente moins de 25 % des places. Dans cinq départements, il représente entre 26 et 60 % du parc (33, 37, 44, 68, 95), et dans deux départements plus de 75 % (75, 93).

Dix départements sur les 18 déclarent que leur territoire s’est engagé dans le plan de résorption des nuitées hôtelières, annoncé par le gouvernement en février 2015. Pour les départements franciliens, l’objectif poursuivi est celui de la baisse du flux du recours à l’hôtel, soit une réduction de l’augmentation. Pour les autres, l’objectif est celui d’une baisse du stock – soit une diminution des nuitées hôtelières avec la mobilisation parallèle d’alternatives en hébergement ou en intermédiation locative. »

 

Liens

L’hôtellerie sociale : un nouveau marché de la misère ? Le cas de l’Île-de-France [Erwan Le Méner / Politiques sociales et familiales Année 2013 Volume 114 Numéro 1 / Lien 

France Inter : « Hébergement d’urgence : la spirale infernale » /’émission du vendredi 15 janvier 2016 / Lien

FNARS / Rapport annuel 115 pour l’année 2014 / Lien 

 

et bien sur

Fondation de l’Abbé Pierre : 21 eme Rapport sur l’Etat du mal logement / Lien