Éducation, une nouvelle donne est nécessaire (1/2)


L’Éducation constitue une priorité essentielle des politiques publiques portées par nos communes. Le coup de projecteur donné sur la situation dramatique des écoles de Marseille l’a rappelé à celles et ceux qui en doutaient encore et témoigne du rôle et de la responsabilité des élus dans la mise en place de structures éducatives dignes de ce nom comme de l’importance de leur action au quotidien.
Une priorité soulignée ces derniers mois par une crise sanitaire qui se poursuit. Les 12 millions d’élèves qui ont effectué en septembre dernier leur rentrée scolaire ont retrouvé une école toujours perturbée par la pandémie qui met sous tension depuis plus de 18 mois enseignants, familles, élus et agents territoriaux … Ces derniers ont du trop longtemps appliqué des protocoles sanitaires pour le moins « éloignées » de la réalité du terrain, parfois même « hors sol » et tatillons, les plaçant plus souvent que raison en porte à faux du fait d’injonctions contradictoires ou impossibles à mettre en œuvre localement au quotidien.
Ce contexte quelque peu schizophrène a mené les élus locaux à demander avec insistance, sans succès dans un premier temps, à être associé un minimum à l’élaboration de procédures élaborées directement de Paris, en mode descendant, ne tenant pas compte de la réalité du terrain et de la nécessité absolue de s’adapter à des situations locales contrastées.
Nous avons été enfin entendus en mai dernier et depuis la concertation entre les associations d’élus et le Ministère est effective, ce nouveau climat de travail favorisant l’adoption à l’été de protocoles sanitaires enfin clairs, accessibles et applicables, s’adaptant à l’évolution de la pandémie et cerise sur le gateau communiqués dès fin juillet.
Le Ministère, après un faux départ ( le monde d’avant mai 😉 ), invite aujourd’hui les élus, via leurs associations, à une concertation consacrée au Bâti scolaire. Les Petites Villes de France , comme toujours (cf la contribution aux Etats Généraux du Numérique pour l’Éducation) seront partie prenante et s’impliqueront dans une réflexion qu’elles souhaitent collaborative, la problématique du bâti scolaire les concernant au premier chef et non seulement comme payeur.

A quelques mois d’élections nationales majeures, il convient également de rappeler combien notre système éducatif, malgré l’importance de son budget, demeure l’un des plus inégalitaires des pays développés et sans doute celui où l’origine sociale pèse le plus sur le devenir scolaire.
Cette situation est la résultante d’une tendance de fond de plus de vingt ans, soulignée par toutes les enquêtes internationales successives comme par le pourcentage de jeunes laissés sans solution à la fin de leur scolarité. Tous les indicateurs relatifs au « darwinisme social » du système (François Dubet) vont dans le même sens, l’école, au sens large, semble toujours régie par ce « système d’héritiers » que dénonçait Bourdieu en 1964, l’égalité théorique dite « républicaine » ayant été préféré au principe d’équité, qu’elle soit sociale ou territoriale.
Conséquence : la France demeure le pays dans lequel le déterminisme social et local influe le plus sur la réussite scolaire. Une panne de l’ascenseur social et territorial non seulement inacceptable, mais lourde de sens et de symboliques. Aucun gouvernement jusque là , de gauche comme de droite, n’y a apporté de solution concrète et pérenne durant ces vingt dernières années.
L’assignation à résidence rime le plus souvent avec déterminisme social, le constat est cruel : pour beaucoup de jeunes des Quartiers Prioritaires de la Ville ou issus du monde rural ou péri urbain, c’est double peine.

Autre fait indéniable soulignée également par la crise sanitaire, la transformation du monde s’accélère, certains auteurs parlent même (Rosa) « d’accélération dans l’accélération » ; phénomène qui a pris encore plus d’ampleur avec les conséquences du COVID ; confinement, digitalisation, télé travail, hybridation des enseignements, ont non seulement déstabilisé totalement l’institution « Education Nationale » et la relation éducative, mais révélé des failles très profondes qui doivent interpeller tous les acteurs de la communauté éducative, dont les élus locaux. Nous devons nous interroger collectivement au plus vite sur l’action engagée et explorer résolument de nouvelles pistes …

Comment inverser la tendance et tendre vers une éducation plus équitable ne laissant personne au bord du chemin et tenir compte de l’évolution d’un monde en pleine transformation ?
Quelle place pour un projet politique local qui fasse de l’Éducation, au sens large, une priorité, y compris hors école ?

Avant d’aborder dans un prochain billet quelques pistes de réflexion sur l’action locale au concret, deux, trois choses qu’il me semble important de rappeler, que certains peuvent considérer comme des points de détails mais qui pour moi ne le sont pas.

Robert Doisneau : écoliers sur la route de Wangerbourg – 1945

« Le monde change, et avec lui les hommes et la France elle-même. Seul l’enseignement français n’a pas encore changé. Cela revient à dire qu’on apprend aux enfants de ce pays à vivre et à penser dans un monde déjà disparu. »,

Ce constat, d’une actualité troublante, qui date pourtant de 1946, est signé Albert Camus …

L’Éducation constitue un pilier majeur de la société tant elle la structure en profondeur et en prépare l’avenir. Dans la crise actuelle, trois éléments me semble t’il, sont à prendre en considération si l’on veut analyser ou agir concrètement sur notre système éducatif, des éléments, à mon sens, trop peu souvent évoqués :

La durée d’une scolarité.

En 2015-2016, l’espérance de scolarisation (ou encore « durée moyenne espérée de scolarisation ») d’un enfant âgé de 2 ans, était estimée à 18,3 années. Elle se décomposait ainsi : 8,2 années dans le primaire, 6,9 années dans le secondaire hors apprentissage, 2,7 années dans le supérieur hors apprentissage et 0,5 année en apprentissage.
Vouloir juger du bien fondé d’une réforme éducative à l’ambition systémique ou structurelle sur deux seules années, apparait non seulement dérisoire mais erroné. Toute politique publique pour être efficace sur le moyen terme, nécessite un minimum de constance et de sérénité.
Constat qui ne signifie nullement qu’il ne faille pas corriger ou changer le cap si besoin, ou adapter les actions comme la politique publique initiée à de nouveaux aléas, à l’évolution du monde, aux urgences du pays ou aux enjeux qu’il se de doit relever.

Les « stop and go » successifs auquel notre système éducatif a été confronté ces dernières années en fonction des alternances politiques, des égos ou des inimitiés entre les uns et les autres, selon les écoles de pensée, ont eu un effet délétère et démobilisateur qui a grandement contribué à la faillite collective du système. Les études PIRLS et PISA comme l’ensemble des indicateurs l’illustrent chaque année.

Le concept de communauté éducative

« Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières. »

Montesquieu

L’éducation est effectivement une responsabilité que se partage plusieurs acteurs, dont les collectivités, nous y reviendrons dans le billet suivant.

L’éducation, au sens large, s’adresse à plusieurs dimensions, qu’elles soient sociales ou sociétales. Elle se doit d’être inclusive et émancipatrice, aborde des problématiques touchant au collectif, au « vivre ensemble », à la citoyenneté, mais également directement à l’individu, et ce dans sa sphère la plus intime, sa construction personnelle et son épanouissement.
Cette dimension multi factorielle et multi dimensionnelle doit mener chaque acteur à se considérer comme partie d’un tout et non le tout à lui tout seul, fut il Ministre, professeur des écoles, maire ou parent d’élève.
Chacun peut avoir des convictions en matière éducative, des idées, un projet, mais également l’honnêteté et l’humilité de reconnaitre qu’il ne peut incarner la vérité à lui tout seul. Cette dernière ne peut être que le fruit d’une sagesse collective et de compromis successifs négociés, non l’apanage exclusif d’un seul acteur.
Il devient urgent de fédérer les différents acteurs de la Communauté Educative autour d’un projet structurant mobilisateur et partagé qui se doit de s’adresser au temps présent mais de ne pas oublier ceux à venir …

Le rapport au monde, au temps qui passe et à ses enjeux

L’éducation se doit d’intégrer la notion du temps long et de la nécessité d’outiller les élèves pour qu’ils deviennent non seulement autonomes, mais également en capacité de s’adapter afin de pouvoir relever les défis à venir, y compris lorsque ceux ci sont encore incertains …
C’est une des grandes difficultés de l’exercice … permettre à chacun, quelque soit son origine sociale, son parcours personnel ou les difficultés qu’il rencontre, d’être en mesure de discerner « le complexe et le contexte », aujourd’hui et plus encore demain.
« Vivre, c’est naviguer dans un océan d’incertitudes, à travers des archipels de certitudes » écrivait Edgar Morin.
N’oublions jamais que l’enfant qui entre en maternelle, sortira du système scolaire et universitaire dans 20 ans et connaitra inévitablement un monde bien différent . Autre paramètre à prendre en compte, loin d’être un détail, une carrière d’enseignant dure 40 ans, La formation continue des professeurs, sur un tel intervalle temps, doit constituer une priorité absolue de l’institution Éducation Nationale, chacun s’accorde à reconnaitre que c’est loin d ‘être le cas aujourd’hui …

Viser le temps long n’exclut pas pour autant de faire évoluer sa trajectoire selon l’évolution du monde et les défis ou les aléas que doit relever le pays. Nous disposons de différentes batteries d’indicateurs « objectifs », qu’ils soient quantitatifs ou qualitatifs pour ce faire, batterie qui au fil du temps s’enrichira ou se diversifiera.
Des indicateurs qui peuvent utilement renseigner et documenter les analyses, d’autant qu’il devient possible de les décliner de manière beaucoup plus fine et immédiates, que ce soit au niveau de nos différents territoires comme des inter relations qui animent notre société.
L’Open Data ouvre de nouveaux champs du possible et la possibilité d’effectuer des recoupements permettant de mieux appréhender toute la complexité de la société, d’évaluer certaines trajectoires afin de permettre de les améliorer ou de les faire évoluer, d’établir même des prospectives.
Le succès et l’utilité d’une application comme Covid Tracker, initié par un bénévole et non une institution, rappelons le, démontre toute l’utilité de ce type de démarche et l’intérêt d’ouvrir le plus possible l’open data.

La crise des recrutements que rencontre l’école aujourd’hui est symptomatique d’un malaise général, allant bien au delà de la simple rémunération, y compris si cette dernière n’est que le reflet de l’importance que la société accorde à son système éducatif. Cette crise, comme celle de la santé publique, est avant tout et surtout systémique, ce sont nos modèles qui doivent être revu, tant le monde depuis les années 1970 s’est transformé et a évolué en profondeur devenant de plus en plus complexe. Il y a urgence, car tout s’accélère.

Le débat sur l’Éducation, ne doit ni cliver, ni opposer, mais au contraire rassembler et fédérer, il en va du devenir de notre société.
Changer et transformer le modèle actuel constitue une nécessité qui exige le préalable d’une discussion ouverte, respectueuse des uns et des autres, transparente. Les débats futurs se doivent d’aboutir non seulement à un projet fédérateur, mais aussi à un cap commun et partagé à atteindre.

Cet objectif ambitieux ne peut résulter que de compromis négociés et non de la victoire d’un camp sur l’autre. N’oublions jamais que lorsqu’il y a victoire de l’un, il y a défaite de l’autre.

Les élus locaux doivent prendre part à ce ou ces débats, juste à leur place, mais à leur juste place …