#jesuisenseignant

L’assassinat de Samuel Paty, horreur sans nom, doit devenir un électrochoc. Qui peut admettre qu’un professeur de la république, semeur de citoyenneté et éveilleur de conscience, soit mis à mort pour une leçon de liberté ?
C’est inacceptable et intolérable. Le fanatique qui a commis cet assassinat a également porté atteinte à la république. C’est pourquoi à Trilport, nous avons déployé au fronton de chacune de nos écoles, comme à celui de la Mairie, un message de solidarité et de soutien aux enseignants, à proximité directe des valeurs républicaines : Liberté, Egalité, Fraternité.

Cette tragédie doit nous ouvrir les yeux, il ne peut y avoir de compromission sur des valeurs qui constituent nos fondations, notre ADN.
Le vivre ensemble, la laïcité, la liberté de parole et de pensée, autant de trésors fragiles et rares à l’échelle de la planète et du temps, qu’il nous faut défendre et protéger. Protéger comme la prunelle de nos yeux qui nous permettent de voir et d’être éveillés, comme le tympan de nos oreilles qui nous permettent d’écouter et de progresser, comme la langue ou les doigts de nos mains qui nous permettent de nous exprimer et de créer …

Liberté … liberté d’expression, liberté de culte entre eux « qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas » (Aragon), liberté d’aimer également, mais plus que tout, liberté de vivre, bâtir, dialoguer et semer ensemble, afin de produire du commun, du partagé, dans le respect de nos différences, c’est cela « faire société ».


Dans notre pays l’école, par essence et nature, constitue le creuset dans lequel se fonde la citoyenneté ; en cela elle se doit d’être sanctuarisée et respectée. C’est à l’école que l’enfant commence hors de la cellule familiale à vivre avec d’autres, s’enrichît de leurs différences, apprend le respect envers autrui, des valeurs de la république et enfin de lui même, grâce au libre arbitre qui émancipe, libère et élève.
Si la France est pays des lumières, c’est à l’école d’éclairer le chemin du citoyen en devenir, en éloignant tout obscurantisme d’où qu’il vienne … « Face aux ténèbres, j’ai dressé des clartés, Planté des flambeaux, à la lisière des nuits, Des clartés qui persistent, des flambeaux qui se glissent entre ombres et barbaries »(Andrée Chedid)

Comment exiger des enseignants de devenir « passeurs de valeurs » pour assumer une mission que la société a déserté depuis des décennies, pour laquelle ils n’ont même pas été formés et dont contours et contenus changent quasiment à chaque nouveau Ministre de l’Éducation ?
Comment exiger des enseignants qu’il soient respectés et fassent respecter les valeurs de la République, quand leur institution elle même ne les respecte pas, et parfois capitule face à des demandes communautaristes en provenance de parents d’élèves ou de directeurs de conscience, tel le salafiste de Conflans qui a inspire le lynchage de Samuel Paty ?

Je garde en mémoire l’affaire des foulards. Dire qu’il a fallut la loi loi du 15 mars 2004 pour qu’enfin la République assume le fait de faire respecter la laïcité dans l’enceinte même de ce sanctuaire qu’est l’école ! J’avais à l’époque défendu cette loi, si décriée alors : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.. ».
Qui peut nier aujourd’hui qu’elle ait apaisé les tensions une fois pour toute, et que chacun désormais la respecte simplement, quasi naturellement.

Il faut savoir rappeler avec fermeté et pédagogie les repères essentiels qui balisent le vivre ensemble. Dans l’école de la république la fille est l’égale de l’homme et se doit de suivre les même enseignements, sans exception, ce n’est pas négociable, c’est non seulement un droit mais un devoir.

Depuis trop longtemps, notre société avait capitulé … Il a fallut les morts de Charlie Hebdo pour rappeler que la liberté d’expression avait un prix, une valeur, une saveur, celle de la liberté, et qu’il était indispensable de la défendre et de rallumer les flambeaux pour éloigner tous ceux qui veulent éteindre les consciences.
Rappelons à cet évêque catholique déclarant « qu’on ne peut pas se permettre de se moquer des religions » que dans une dictature tout est blasphème, le simple fait de penser autrement … Il fut un temps ou la sainte inquisition était synonyme d’obscurantisme et de fanatisme, ne l’oublions jamais.

Samuel Paty est mort d’avoir fait simplement son boulot, d’avoir rempli sa mission avec passion et détermination. Il est mort d’une cabale lancée sur les réseaux sociaux par quelques uns, qui en s’amplifiant est devenue fatwa … Cette réalité doit nous amener à intervenir et agir pour que les réseaux sociaux respectent les mêmes règles que celles de l’espace public et que dans tous les cas ils proscrivent les appels à la haine.

Notre société semble réagir, enfin … Mais au delà des paroles, des déclarations enflammées à la presse, des incantations, il nous faut des actes. Les « hussards noirs » du XXIe siècle que sont les professeurs ne doivent plus être esseulés dans ce combat contre l’obscurantisme, ajouter une matière, quelques heures de sensibilisation ne sont pas des réponses à la hauteur … le ver est dans le fruit …
Les enseignants sont certes des transmetteurs de valeurs, des passeurs du « vivre ensemble » mais ils ne doivent plus être les seuls défenseurs de la laïcité et des valeurs de la république face aux communautarismes qui se développent dans le pays. Nous devons faire bloc, faire société, développer, c’est dans l’air du temps, une « immunité collective » face aux virus des intégrismes, quels qu’ils soient …

S’interroger sur l’importance d’une valeur comme celle de la laïcité revient à se poser la question existentielle du sens à donner à une société qui en manque cruellement, tant elle peine « à faire corps » et à faire rêver.
Il nous faut fixer des repères clairs autour de règles de vie partagées, les faire respecter par tous et toutes les communautés, mais plus que tout, proposer un cap, des perspectives, or il n’en est rien. Aujourd’hui trop de nos concitoyens pensent que l’action collective est inutile et vaine ; l’individualisme, le scepticisme, les communautarismes montent en puissance et étendent leur emprise, isolant les uns et les autres dans des bulles dont ils deviennent prisonniers
Les valeurs de la république cimentent la cohésion nationale et constituent la meilleure garantie d’un avenir commun et partagé. Elles permettent au pays de ne pas être morcelé, fragmenté, éclaté, divisé, à la République d’être une et unie, riche de ses diversités et de ses différences, mais encore plus du commun et du partagé que nos différences produisent ! Encore faut il que chacun trouve un sens à donner à sa vie, sinon le pire est à craindre, tant la nature a horreur du vide et le vide mène au néant

je joins à ce billet une tribune parue dans la revue « Communes , département et régions de France «  que j’avais écrite en Mai 2015, suite aux attentats de Charlie.

Luz / Charlie Hebdo / 12 janvier 2015

Laïcité : la question du sens, un projet commun et partagé

Tribune parue dans la revue Communes , département et régions de France / Numéro spécial de Mai 2015 / Laïcité une garantie de liberté

Deux France s’éloignent ostensiblement l’une de l’autre. Cette fracture territoriale et sociale se double d’une crise identitaire douloureuse, car existentielle, concernant en premier lieu ceux se sentant rejetés et exclus de la communauté nationale. Les jeunes issus de l’immigration ont toujours autant de difficulté à trouver une place dans la société, et à intégrer les valeurs d’une République qui n’est égalitaire qu’en apparence et discriminatoire au quotidien.
Le non respect de la minute de silence qui a tant fait débattre, bien évidemment condamnable, n’est que la conséquence de cette réalité sociale trop longtemps ignorée

La laïcité́, hier considérée comme ringarde par beaucoup, a pris une autre dimension depuis le 7 janvier ; encore ne devons-nous pas la réduire à un concept fourre-tout, vide de contenu et entretenir une ambiguïté qui ne satisfait plus personne, pour certains elle constitue une forteresse destinée à nous « protéger » de l’Islam, pour d’autres transmettre les valeurs républicaines apparaît inutile. D’autant que la laïcité constitue une quasi «anomalie» en Europe, le mot n’existe ni en anglais, ni en allemand, et suscite à l’étranger beaucoup d’incompréhension.

Valeurs à partager

Comment exiger des enseignants qu’ils soient des « passeurs de valeurs » pour remplir une mission que la société a désertée depuis des lustres, pour laquelle ils n’ont pas été formés et dont les contours changent à chaque nouveau Ministre de l’Education?
Les professeurs comme les éducateurs se retrouvent de fait totalement démunis; si dans une salle des professeurs on demande à chacun de définir concrètement ce qu’il entend par laïcité, les copies risquent fort d’être différentes !

L’école doit retrouver son rôle de creuset de citoyenneté républicaine autour de la laïcité et redevenir une véritable fabrique à « produire du commun»; la laïcité n’est pas un talisman immuable et doit s’adapter au temps comme à l’évolution de la société.
Au delà des manifestations d’appartenance religieuse est posée la question essentielle de la transmission des valeurs communes à partager, problématique majeure concernant l’ensemble d’une société en panne d’intégration.
La France de 2015 n’est plus celle de 1905, notre pays abrite désormais les plus importantes communautés islamiste et juive d’Europe, situation qui pose nécessairement la problématique des relations entre religion(s) et Etat.
Cette question s’est posée à un moment donné à tous les cultes; aucun ne se révélant spontanément laïque, tous ont eu besoin d’un temps nécessaire d’adaptation plus ou moins long (un siècle pour la seule église catholique).
Si la loi n’interdit pas aux cloches des églises de sonner, elle en précise les conditions; faut il rappeler que ces dernières sont entretenues par les collectivités, contrairement aux autres lieux de culte, ce qui pose tout de même un sérieux problème d’équité républicaine !
La France doit s’interroger sur sa relation particulière à l’Islam, et assumer enfin cette religion avec raison, dignité et respect, en arrêtant de la sous traiter avec l’étranger, que ce soit l’Arabie Saoudite, le Quatar ou d’autres états.
Nous avons le plus grand besoin d’un Islam de France, afin de remplacer celui des caves et des imams venus des émirats, porteurs d’obscurantismes en provenance directe des califats.
Imams comme aumôniers musulmans des prisons doivent être recrutés, formés en France et parler notre langue, c’est un minimum !
Il n’existe toujours pas aujourd’hui au niveau national de communauté musulmane organisée, et d’autorité religieuse reconnue de tous. Une absence préjudiciable qui se traduit par un manque de régulation, de médiation mais aussi de transparence sur les modes de financement.
L’Islam n’est présent en France que depuis peu, rappelons le et intégrons que ce culte, comme tous les autres avant lui, doit «se formater à la laïcité à la française » et adapter ses pratiques; encore faut il que la République propose un cadre concret et non un « entre deux » pour le moins ambiguë.
Nous devons veiller à protéger la liberté de croire ou non, défendre la liberté d’expression, dans toute sa plénitude, réprimer tout acte raciste, anti sémite ou islamophobe.
Il nous faut également fixer des repères clairs permettant de définir le cadre d’une laïcité adaptée à la France d’aujourd’hui, multiculturelle et multi confessionnelle, aux règles de vie partagées et respectées de tous.
Ne pas agir dans ce sens est faire le lit du communautarisme. Les attentats de janvier dernier, quelque soit leurs motivations, doivent interpeller notre société en profondeur sur sa capacité à proposer des perspectives de monde meilleur aux jeunes générations afin de résoudre la grave crise spirituelle que ces générations traversent.
La question du sens est centrale, on ne peut réduire le projet de toute une vie à l’amélioration de la compétitivité, de la croissance ou à la seule réduction des déficits, aussi efficace soit elle.
Les douleurs humaines ne sont pas virtuelles, mais concrètes et ressenties comme telles. L’homme a besoin de foi, au sens laïc et philosophique du terme, pour être en capacité d’aller de l’avant et de se projeter dans l’avenir, il a également besoin de liens sociaux et de se retrouver dans un projet commun et partagé avec d’autres …
C’est cette foi en un avenir meilleur qui lui a permis de s’élever puis d’entamer sa longue marche, pas à pas. La nature a horreur du vide, y compris spirituel. Si rien n’est proposé, le pire peut se produire, d’autant que les jeunes générations sont conditionnées dés le plus jeune âge à la violence la plus extrême, souvent virtuelle, ou l’on oublie que le sang est douleur, que le sang est malheur, que le sang est terreur.
Se poser la question de la laïcité, s’est s’interroger avant tout, sur la question du sens à donner à une société qui en manque cruellement, et qui peine « à faire corps ».
Se poser la question de la laïcité c’est surtout et plus que tout proposer une vision du monde et de l’humain, une vision bâtie autour de l’émancipation, du respect d’autrui, dans ce qu’il est et ce qu’il pense, «délimitation profonde entre temporel et spirituel »

La grande idée, la notion fondamentale de l’Etat laïque, c’est à dire la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel, est entrée dans nos mœurs de manière à ne plus en sortir. »
Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction publique 1887