L’Ancre de lune largue enfin les amarres (2/2)

« Nul parpaing et nulle truelle » pour la première pierre symbolique de l’Ancre de lune mais une simple projection de béton de chanvre, mélange de chaux et de chanvre (chènevotte) afin d’illustrer une des singularités de l’éco quartier : le choix du bio sourcé. Une technique qui sera utilisée pour réaliser les deux collectifs du Foyer Rémois (46 logements) dont nous célébrions le lancement, une première en Ile de France pour ce type d’opération. Emblématique de l’Ancre de lune également, le volet végétal de cette opération : 60% d’espaces verts favorisant l’infiltration des eaux pluviales via des noues paysagères.
Si les nombreux présents, dont la Présidente de Région Valérie Pécresse, ont été impressionné par la démonstration, soulignons que le chanvre utilisé provenait de cultures locales, peut-être même de Trilport, et a été transformé à la fabrique d’Aulnoy, située à moins de 15 km.

Le choix du bio sourcé s’est imposé à nous pour des raisons :
Écologiques : le BTP est non seulement énergivore mais émet beaucoup de GES. Aussi il est utile d’intégrer l’impact environnemental des matériaux utilisés sur l’ensemble de leur cycle de vie : conception, production, transformation, transport, mise en œuvre et recyclage. Pour faire simple : tenir compte de leur bilan carbone. Celui du chanvre est exceptionnel, sa culture ne nécessite pas de produits phyto sanitaires et le produit lui-même possède de multiples qualités : très bonne efficacité thermique, excellent isolant phonique et acoustique, robuste dans le temps, il permet au bâti de « respirer » et de « transpirer », favorise la régulation de la température et de l’hygrométrie, résiste aux nuisibles (mites, cafards, rongeurs). Il est agréable à travailler, sain et offre un véritable confort d’été (déphasage thermique conséquent), ce qui constitue désormais un atout essentiel compte tenu du réchauffement climatique. Enfin il est démontable, réutilisable et biodégradable …
Économiques, lié concrètement et directement à l’émergence d’une économie plus circulaire basée sur les circuits courts. Le chanvre est une filière locale prometteuse, source d’emploi pour notre région tant agricoles que liés à sa production ou au BTP.

Cette dimension locale est essentielle. J’ai fait partie il y a quelques années du groupe d’experts sur la ville durable chargé par le Ministre de l’Environnement de « construire » le référentiel national destiné à faciliter la création d’éco quartiers.
S’il y a un enseignement que j’ai retenu de cette expérience passionnante, c’est bien celui de la contextualisation. Le « copier / coller » n’apparaît pas comme la démarche la plus pertinente, y compris si des éléments de reproductibilité peuvent éventuellement être exploités ou reproduits. Tout projet urbain authentique se doit d’être en résonance avec son environnement, au sens le plus global et multidimensionnel du terme … Chaque contexte local est un métissage particulier, lié à l’histoire, la topologie des lieux, la nature des différents espaces qui investissent le territoire et dialoguent ou non entre eux, les usages de vie des habitants ou usagers du quartier … Nous n’avons jamais succombé à la tentation tech, les habitants ne sont pas des rats de laboratoire, mais privilégie bien être, qualité du bâti, confort de vie, et sobriété énergétique, l’énergie la plus durable étant d’abord celle que l’on ne consomme pas … Il est également important de tenir compte des fonctions du quartier, de la typologie des flux qui l’animent, des effets leviers et synergies à créer, accompagner ou animer … Un territoire réagit selon des logiques qui lui sont propres, une ville est avant tout un tissu vivant qui répond aux logiques d’un métabolisme urbain toujours complexe et quelquefois fragile.
A Trilport nous devions répondre à la nécessité de construire de nombreux logements pour respecter nos obligations SRU et ne pas pénaliser la ville. L’Ancre de lune nous a donné cette opportunité en nous offrant la possibilité d’inscrire la démarche initiée sur le temps long et d’éviter tout étalement urbain afin de préserver les espaces agricoles et naturels et de reconstruire la ville sur la ville. Ce site stratégique rapprochant habitat, infrastructure de transport (gare), écoles, Centre-ville …

Reprenons le fil du récit de l’Ancre de lune, notamment la phase du choix de l’aménageur de la ZAC support de l’éco quartier, cruciale s’il en est …

Le passage de relais entre les élus porteurs du projet depuis l’origine et l’aménageur, dont le job et la mission sont de transformer ce projet en opération concrète d’aménagement, constitue une phase d’autant plus délicate que ce dernier a des ambitions qualitatives affirmées et assumées.
Une dialectique que l’on pourrait résumer ainsi : aux élus le champ des possibles, à l’aménageur celui des contraintes …Oui mais voilà, l’Ancre de lune est tout sauf un projet théorique hors sol. Depuis l’origine, il est nourri des contraintes locales, que ce soient celles du site ou de la collectivité : foncières, financières, temporelles ou politiques. Pour les élus la problématique s’est révélée en fait simple, voir simpliste : agir pour que les contraintes n’annihilent pas le champ des possibles, mais au contraire l’alimentent.
Deux axes ont été privilégié : l’action sur la gouvernance de l’opération, son management opérationnel et environnemental, et la maitrise du volet foncier et financier, le monde de l’aménagement étant tout, sauf un monde de bisounours.
Première étape, définir non seulement une méthode de gouvernance, mais la renforcer de toute une batterie d’indicateurs et d’objectifs de réalisation rassemblés et rappelés dans un document cadre : le référentiel durable .   Ce dernier servant de base à l’appel d’offre de l’aménageur. Nous avons doublé cette démarche dans le cahier des charges avec l’obligation de respecter une Approche Environnementale de l’Urbanisme (AEU) mené en collaboration avec l’ADEME durant le déroulement du projet.

Cela n’est cependant pas suffisant. La maitrise du volet foncier et financier est essentielle pour mener à son terme toute opération d’aménagement urbain surtout lorsqu’elle est exigeante. L’apport de l’EPF et le travail continu de veille et d’acquisition foncière réalisé depuis 2009 a été déterminant et pas seulement pour l’acquisition des parcelles nécessaire. Cette collaboration directe nous a permis également d’acquérir une bonne connaissance des couts d’acquisition du marché de l’immobilier, de ceux liées à la viabilisation Ou au dimensionnement et à la réalisation des infrastructures nécessaires à toute opération d’aménagement ( réseaux, voiries, mobilités…). Dans ce type d’operation Il est essentiel de privilégier une approche « globale » et de sortir du simple périmètre d’une parcelle en analysant toutes les connections et inter relations avec l’environnement immédiat … Un quartier est un bout de ville de et dans la ville, et participe à ce titre à un eco système !

Afin de sélectionner le « bon » aménageur nous avons constitué un jury pluridisciplinaire. Jury que nous avons renforcé lors des phases de sélection des candidats et de négociation du contrat de concession par un cabinet juridique spécialisé, support se révélant très utile pour sauvegarder les intérêts de la collectivité.

Il était important que la ville soit un interlocuteur éclairé, exigeant et vigilant face aux professionnels de l’aménagement. Parmi les 4 postulants c’est l’AFTRP (futur Grand Paris Aménagement) qui a été choisi, du fait de la grande qualité du projet élaboré par Françoise Hélène Jourda (une pionnière de l’architecture environnementale) et des choix environnementaux proposés (matériaux bio-sourcés, place laissée au végétal et au cycle naturel de l’eau).
Travailler avec une telle professionnelle a été une joie et un plaisir, ce fut incontestablement une belle rencontre humaine. Le rêve de cette grande dame de l’architecture et de l’urbanisme, disparue depuis, n’était-il pas de … « de construire un morceau de ville, sur la ville, dans la ville, pour changer la ville … et apporter du bonheur aux gens » …

Est venu ensuite le temps de l’appropriation du projet par les équipes de l’aménageur et celui de la concertation avec les habitants (2013), prolongeant la longue séquence de co construction et de médiations initiées les années précédentes par la Mairie. Cette dimension participative est depuis une véritable marque de fabrique.
L’elu local Que je suis est perduaf’de qu’il est essentiel de tenir compte du degré d’acceptabilité de tout projet et pas seulement en matière d’amenagement, non pour renoncer mais intégrer les réticences, craintes éventuelles et en tenue compte. Une opération de ce type doit être considérée comme une greffe urbaine et humaine, il faut se donner les moyens pour que la greffe prenne, le facteur temps y participe.
Si nous voulons préserver nos espaces naturels et agricicoles nous n’avons pas d’autre alternative que de reconstruire la ville sur la ville . Encore faut-il réussir les greffes urbaines permettant à nos villes de se développer et de se renouveler sur elle même …

Ce travail de concertation et de co construction permet non seulement de tisser des liens mais contribue a créer la trame d’un récit collectif. L’agence choisie par l’aménageur, « Ville Ouverte », effectue remarquablement le suivi de cette mission, fil rouge d’une démarche intégrant les habitants et qui se poursuivra tout au long du projet, qui débuté avant même le choix de l’équipe de maitrise d’œuvre (urbaniste, paysagiste, réseaux et infrastructures ).
Les résultats de cette concertation initiale ont alimenté très en amont la réflexion de l’équipe de main d’oeuvre qui a ainsi pris connaissance des ressentis, inquiétudes ou demandes exprimées. C’est assez inhabituel dans ce type d’opération pour être souligné, cette concertation allant même jusqu’à co construire le plan masse de la phase un de l’éco quartier.

Tout semblait sur les rails, mais c’était sans compter sur un aléa qui a pas mal retardé la mise sur orbite de l’Ancre de lune : la transformation de l’AFTRP en Grand Paris Aménagement … Période de longue, très longue mutation, durant laquelle l’Ancre de lune disparait quelque peu des radars de l’aménageur. Que pèse la grande couronne face au Grand Paris ?
Nous avons alors pris « le taureau par les cornes » et décroché sinon la lune, du moins le label national des éco quartiers (2016), devenant également la même année le premier lauréat seine et marnais de l’appel à projet de la Région Ile de France des « 100 quartiers écologiques et innovants ». Une reconnaissance officielle qui nous a permis non seulement d’obtenir de nouvelles subventions importantes mais d’avoir avec l’aménageur un dialogue franc débloquant le sujet « Ancre de lune » : nouvelle équipe, échéancier d’actions et objectifs de réalisation annuels puis lancement des travaux de viabilisation..
Signalons dans le même temps le démarrage des travaux du pôle gare (accessibilité des piétons), l’occasion de rappeler que l’éco quartier comprend plusieurs sites dont la gare et ses abords.

A Trilport, tous les habitants bénéficient des avancées ou avantages apportés par l’Ancre de lune, c’est ainsi que les subventions acquises, plus de trois millions, ont été utilisée pour adapter ou créer des équipements publics destinés à tous les habitants !

Le meilleur exemple en est la politique scolaire. Nous avions décidé de rénover et agrandir les écoles en place plutôt que d’en construire de nouvelles, pour des raisons :

  • de citoyenneté. L’école de la République, creuset privilégié de la démocratie, rassemble au-delà des différences d’origine ou de quartier tous les enfants d’une ville qui apprennent à fabriquer ensemble du commun et du partagé
  • d’équité : les élèves de Trilport bénéficient des mêmes conditions de scolarité et les subventions obtenues pour les nouveaux arrivants bénéficient à tous
  • pour optimiser la dépense publique : non seulement vis à vis du foncier mais également du fonctionnement de ces écoles : isolation, rénovation, adaptation aux nouvelles normes, mutualisation des espaces, équipements et personnels.

 Notre ambition est de faire de cet éco quartier, non un lieu d’exception, mais une terre de diffusion et de partage, ayant la capacité de rétroagir le territoire, pour contribuer à ce que celui ci devienne plus durable … 
Outre le chanvre, nous désirons contribuer au développement d’autres filières bio source, dont celle du bois francilien. Avec le CAUE 77, nous avons répondu à un appel à projet régional portant sur la création de mobilier urbain conçu en bois feuillus local … Premier pas menant à la constitution progressive d’une filière permettant non seulement de développer emploi et richesse, mais de préserver et mieux entretenir notre capital forestier et environnemental.

Si nous avons, avec l’Ancre de lune, placé la barre assez haut, ce n’est pas pour « décroisser la lune» comme le chantait le Grand Jacques, mais pour l’ancrer à notre quotidien, avec la volonté de nous rapprocher de la planète et de ses cycles naturels et de fabriquer collectivement du commun et du partagé. 

« Ce qui rassemble les gens dans un lieu, c’est le récit que l’on partage, le récit du territoire, du passé vers l’avenir. Il faut créer du commun, et non du collectif » Jean Viard