L’Ancre de lune largue enfin les amarres (1/2)

Inauguration de l’Ancre de lune / Photo D. Douche – Ville de Trilport

« On ne peut bâtir qu’accordé à demain » Andrée Chedid

Malgré un agenda hyper chargé, Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile de France, avait tenu à participer à la pose de la « première pierre » de l’Ancre de lune. Sa venue était d’autant plus attendue que sans la Région Ile de France, l’éco quartier n’aurait jamais vu le jour, ayant bénéficié du soutien successif de l’exécutif de Jean Paul Huchon puis de celui présidée par Valérie Pécresse.
Deux autres raisons expliquent également sa présence : ses responsabilités à Ile de France mobilités (la gare SNCF de la trop fameuse ligne P est au cœur du projet) et sa qualité de présidente de Grand Paris Aménagement, l’aménageur de la ZAC support de l’Ancre de lune, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Valérie Pécresse était en fait chez elle.

Avant d’aborder cette nouvelle étape , un rapide rappel des épisodes précédents, permettra de mieux comprendre les spécificités de cette aventure collective particulière à plus d’un titre qui répond à trois défis :

  • faire de ce projet urbain non une opération d’aménagement de plus, mais un enjeu attirant les meilleurs professionnels de la ville durable,
  • agir et anticiper pour ne pas subir l’insupportable,
  • contribuer à façonner une ville aimable, désirable, durable et solidaire.

Si à bien des égards, l’Ancre de lune est un projet hors norme, rien ne nous a été donné, loin s’en faut, et nous n’avons pas pris les voies les plus rapides et faciles pour arriver à bon port. Il n’est pas si fréquent de rencontrer un éco quartier reconnu (lauréat de labels nationaux et régionaux) porté par une aussi petite ville, de voir une telle opération s’inscrire dès l’origine dans la durée afin d’avoir le temps de « prendre racine », inhabituel que soit privilégiée une approche environnementale aussi globale qui ne tombe pas pour autant dans la recherche de performances technologiques à tout prix.
Le « green tech » n’est pas dans l’ADNdu projet qui privilégie un retour aux sources de la construction durable et d’un aménagement urbain respectueux du contexte local et de l’environnement. Autre volonté et non des moindres, anticiper les conséquences du réchauffement climatique. La ville pour être durable se doit de développer ses capacités de résilience ; il y a urgence !

L’innovation a été autant sociale qu’urbaine : démarche initiée, objectifs poursuivis, capacité de co construire avec les acteurs de terrain et les habitants des actions concrètes utiles et viables, tout au long du projet ( « le chemin se fait en marchant » écrivait Machado) … Autant d’items exigeant expertise, créativité, sens de l’innovation, et plus que tout capacité à se remettre en cause, à rebondir, à être agile.

Depuis son lancement, l’Ancre de lune n’a jamais été un long fleuve tranquille, comme toute aventure humaine et collective un brin ambitieuse. D’autant que nous portons une ambition difficile à concrétiser devenue un véritable mantra  : la ville durable se doit non seulement d’être désirable et désirée mais de faire également rêver … C’est aux professionnels de la ville durable d’y répondre …

Mais abordons la « partie immergée » de l’Ancre de lune, en premier lieu l’origine de l’aventure …

Des fondations solides 

Tout débute en 2006 par une pétition de riverains excédés demandant au Maire que je suis, d’intervenir pour stopper les nuisances causées par une friche industrielle à l’abandon : occupations illicites, squats, insalubrité, insécurité …
Afin d’y répondre et d’appréhender toutes les contraintes de ce qui est un véritable no man’s land à l’époque et une zone de non droit, nous lançons une étude urbaine. Outre les conflits d’usages relevés, celle-ci indique la présence de sols pollués, la dégradation d’une entrée de ville pourtant stratégique de la ville mais souligne toutes les potentialités d’un site de 7 hectares non bâtis proche de la gare, des écoles, des commerces et services. L’ étude souligne l’intérêt pour la collectivité de maitriser le développement futur du site afin d’éviter tout développement incontrôlé
Afin de définir un projet utile aux habitants et qui soit en résonance avec le territoire, et de ne pas nous contenter « d’empiler des logements », nous prenons partons du contexte local ( localisation du site, besoins des habitants et du territoire …) et invitons différents partenaires et quelques habitants impliqués à participer à une démarche collaborative destiné à réfléchir à un projet partagé. Au regard de la priorité donnée à l’environnement dans l’action municipale nous privilégions la piste d’un éco quartier.
C’est ainsi que deux années durant, avec des acteurs institutionnels et associatifs du territoire (monde social, économique, urbanisme, mobilités) et des habitants, nous travaillons collectivement sur des axes d’actions concrets adaptés aux besoins réels autour de priorités clés :

  • créer un parcours résidentiel, le plus complet possible, afin que chacun puisse disposer d’un logement adapté à ses besoins, ses ressources, son handicap ou son âge, dans un environnement préservé et des logements agréables à vivre et écolos,
  • déployer des services autour de la petite enfance et des seniors,
  • améliorer l’offre de soins,
  • promouvoir les mobilités douces et la nature en ville …

Certains services sont depuis en place et démontrent tous les jours leur utilité, illustrant la qualité de la réflexion collective initiée : petite Enfance (RAM, LAEP …), logements seniors (un logement sur 5 construit respecte le label Habitat Seniors, Service) …

Aide toi le ciel t’aidera

L’importance d’un projet urbain qui devrait dans les 15 ans (nous étions en 2008 alors) accueillir un Trilportais sur cinq incite les élus à s’impliquer concrètement afin de préserver les valeurs d’une ville qui a su rester en harmonie avec la nature et à placer l’humain au centre de son projet.

Trilport ne disposant d’aucune ressource financiere ou fonciere, nous postulons avec succès en 2009 à l’appel à projets de la Région Ile de France des « Nouveaux Quartiers Urbains » (ou NQU). Si initialement ce concours était conçu pour les communes de plus de 50 000 habitants, nous en sommes toujours la plus petite ville lauréate, et de loin.
Les subventions obtenues nous permettent de lancer les études amont, des actions de médiation culturelle, environnementale, urbaine dans la ville, les écoles et de financer des équipements publics (dont l’école Andrée Chedid), pour faciliter la co-construction nous ouvrons un site internet dédié remplacé depuis par celui de l’aménageur).

Aucun outil méthodologique n’existant alors pour les éco quartiers, nous élaborons avec nos partenaires un référentiel durable composé de deux volets :

  • un document cadre (à télécharger) permettant de cadrer le projet : planter le décor, rappeler ses caractéristiques», le contexte local, les enjeux auxquels le territoire doit répondre, identifier les acteurs, leurs stratégies …
  • un document stratégique (à télécharger), intégre les éléments de contextualisation indispensables, les contraintes techniques, matérielles ou humaines, ces paramètres influant le plan d’action à mettre en œuvre et les niveaux d’exigence attendus

Jeune pousse en devenir, l’Ancre de lune est repérée par l’Etat qui initie alors une réflexion autour de la démarche Eco quartiers. A titre personnel, je rejoins le groupe de pilotage national animé par le Ministère de l’Environnement et participerais un peu partout en France à ses travaux, explorant les multiples facettes d’une problèmatique aussi globale et complexe que celle de la Ville durable. Notre mission débouche sur le référentiel durable national des eco quartiers, encore en viguer actuellement.
L’éco quartier de Trilport est suivi par les services de la DDT de Seine et Marne et d’Ile de France qui se sont beaucoup impliqués sur notre projet et le soutiennent toujours .

La ville contracte un partenariat stratégique avec l’Établissement Public Foncier d’Ile de France, qui durant toutes ces années va acquérir le foncier utile au projet. Soyons clairs, sans l’EPF, l’Ancre de lune ne serait jamais sorti de terre.
Outre l’attention particulière apportée à une petite ville comme la nôtre (quasiment du « sur mesure ») l’EPF nous a apporté deux éléments clés déterminants : l’expertise de ses équipes et sa puissance d’action, mais aussi et surtout une certaine maitrise du temps …
Grâce à l’EPF nous aavons disposé du temps de nous poser, de réflechir avant d’agir, de planifier, étudier, anticiper, mettre en place les scenarios les plus adaptés, non aux intérêts particuliers des promoteurs, mais du territoire et ainsi mieux lutter contre la spéculation foncière.

Une performance environnementale « naturellement » exceptionnelle

Limiter la problématique des éco quartiers à une somme de « gestes techniques » est un non-sens, tant le sujet dépasse le filtre réducteur de la seule performance technologique ! Dérive dont beaucoup aujourd’hui reviennent.
Un éco quartier est tout autre chose qu’un concept « hight tech » répondant aux tendances ou aux effets de mode, il doit viser la meilleure performance écologique globale.  Dans cette approche se limiter aux seules consommations des bâtiments ou production en électrécité est réducteur.
L’élaboration des matériaux, leur localisation et origine, leur capacité́ à être recyclé, constituent autant de paramètres essentiels. Le défi énergétique aborde d’autres domaines, dont celui des mobilités, grand pourvoyeur planétaire en GES, sans omettre la dimension des usages, si souvent négligée et pourtant essentielle.
La démarche éco quartier se doit d’apporter également un supplément d’âme, de poser un autre regard sur la vie «de et dans la ville», de privilégier une gouvernance plus collaborative, axée sur une vision à long terme intégrant démarche transversale et continue au service de l’efficience environnementale. L’épanouissement des habitants et usagers du quartier ne peut être considéré comme une simple variable d’ajustement ! 

Comment concrètement de tels principes et réduire au maximum l’empreinte écologique de l’éco quartier ?
A Trilport, pas de performance technique de type maison passive ou positive, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’y en aura pas dans les prochaines années, mais l’application de règles de sobriété et de robustesse.  

Premier axe, une localisation stratégique en cœur de ville
à proximité immédiate de la gare (Paris à moins de 40 minutes), des commerces et services du Centre-Ville, des écoles, comme de deux patrimoines naturels aussi remarquables que sont les bords de Marne et la forêt domaniale de Monceaux. Le bilan carbone dû aux mobilités résidentielles est ainsi limité au minimum, tous les pôles créateurs de mobilité étant accessible à pied.

Second axe, reconstruire la ville sur la ville
Il nous est apparu essentiel de réduire au maximum la consommation d’espace agricole ou naturel. La superficie du site permet de répondre aux besoins en logements de la ville (obligation de la loi SRU), y compris si le cout immédiat est plus onéreux (acquisition, démolition, dépollution, aménagement …)

Troisième axe, construire durable et sobre
 Cet obectif lie impérativement l’organisation urbaine du quartier, la gestion des flux, la prise en compte des schémas fonctionnels et de leurs contraintes et des choix liés au bâti en intégrant le principe de leur mutabilité (rez de chaussée). Pour le bâti, nous avons privilégié la piste des matériaux bio sources, notamment agricoles tenant compte des filières courtes locales et du cout global des matériaux (énergie grise, cycle de vie, capacité à être recyclé), performance énergétique de l’isolation du bâti (été comme hiver), 

Quatrième axe, renforcer la résilience de la ville
Il faut préparer la ville et ses habitants aux conséquences du changement climatique : création d’îlots de fraicheur, gestion des eaux de pluie pluviale à ciel ouvert, infiltration … Le volet végétal du moindre projet urbain est un pas vers un futur plus ou moins durable, en fonction des choix effectués …

Ne restait plus ensuite, qu’à sélectionner l’aménageur, en charge de la fameuse friche de 7 hectares. Un choix grandement facilité par le travail amont effectué autour du référentiel durable , véritable outil d’aide à la décision.

C’est l’objet prochain billet …

Tout un programme …