Ligne P : « Soyons réalistes, demandons l’impossible ! »

Départ de feu sur la motrice desservant La Ferté Milon / Paris, mercredi 19 décembre (Photo Actu.Fr)

Bien des similitudes existent entre la colère exprimée par les gilets jaunes et celle plus latente, mais tout aussi présente des usagers de petites lignes de proximité sinistrées telle la ligne P du Transilien.
Outre le fait qu’un grand nombre n’ait pas d’autre alternative que celle d’utiliser leur voiture pour se rendre à la gare, la galère vécue au quotidien témoigne de l’état d’abandon des espaces périphériques qui ont été ignoré depuis plus de 30 ans !
Ce qui dégage un sentiment d’injustice d’autant plus puissant qu’il est légitime : d’un coté priorité donnée au Tout TGV et au développement des réseaux de transports des « villes monde » très en pointe sur les mobilités inclusives, de l’autre rien sinon l’absence cruelle et continue d’investissements, d’entretien, de rénovation, de modernisation de réseaux ferrés exsangues et d’un parc roulant à l’agonie.
Telle est la réalité des lignes de proximité du pays, appelées par certains « petites lignes » (comme s’il y avait des « petites gens » ?) que les associations d’élus comme celle des Petites Villes de France qui maillent les territoires de notre arrière pays défendent.

N’oublions pas non plus l’incidence de plusieurs phénomènes, qui cumulés aggravent une situation déjà fort compromise faute d’investissements préalables :

  • la « métropolisation à la française » qui voit les « territoires péripériques « accueillir un ombre croissant de familles en provenance de la petite couronne, grandes consommatrices de services de proximité, d’équipements publics et de mobilités,
  • la part croissante des transports en communs dans les mobilités quotidiennes des français. Une société « souple », flexible, « agile », « en mouvement », exige des citoyens mobiles en capacité de se déplacer au quotidien,
  • l’urgence environnementale et les contraintes croissantes liées à l’utilisation des voitures particulières, qu’elles soient financières ou liées au stationnement.

Autant de paramètres qui influent et influeront durablement sur nos mobilités.

Exemple type , la ligne P du francilien …

Photo © Maxppp – Nicolas KOvarik – France Bleue

Force est de constater que la grille de lecture des décideurs reste figée, bloquée, reposant sur des modèles statistique qui ignore ou minore l’incidence des nouvelles dynamiques autour de mobilités en plein bouleversement … Nous changeons effectivement de modèle.

D’un coté, un réseau continuant à se dégrader, de l’autre des usagers en constante augmentation qui utilisent et utiliseront chaque jour de plus en plus les transports en commun, cherchez l’erreur ?
Conséquence : des conditions de transports indignes, qui de plus régressent, et des usagers qui ont le sentiment croissant d’être considérés comme des citoyens de second rang, y compris en Ile de France, une des régions les plus riches d’Europe.
Sur certains axes, du fait des problèmes récurrents de régularité, fiabilité, de multiplication des pannes, la « situation dégradée » s’impose peu à peu quasiment comme la norme. Les habitants des espaces périphériques de l’arrière pays sont condamnés à la galère quotidienne à « perpett », sans aucune perspective d’amélioration sur le moyen et le long terme. Une situation simplement intolérable

D’autant que dans le même temps, au travers de leurs impôts, ils contribuent à financer les milliards d’euros consacrés aux « très grands projets d’infrastructures », sans doute utiles mais très éloignés de leurs problématiques quotidiennes. Phénomène pour le moins aggravant, ces derniers se révèlent devenir de véritables gouffres financiers, tel en Ile de France, le Grand Paris Express et CDG Express. Pour les usagers de la Grande Couronne, c’est triple peine.

La situation devient littéralement explosive … Une tectonique des plaques périlleuse qui peut déclencher des éruptions volcaniques de plus en plus fréquentes et violentes, car désespérées. Les accès de colère type « gilets jaunes » risquent si l’on y prend garde de se multiplier.
D’où la reprise de ce slogan soixante huitard dans le titre. Il semble cependant important de relativiser la portée du mot « impossible » : disposer de conditions de transport enfin normales, dignes en réalisant les investissements nécessaires.

Il est urgent également que les mesures concrètes liées à la transition énergétique s’imposent. Les lignes de proximité apportent des réponses utiles et concrètes, il est essentiel pour juger de l’utilité de leur maintien de ne pas oublier cette dimension vitale pour notre société comme la planète.

Quelques éléments relatifs à la ligne P

Nous parlons ici de la ligne la plus longue du Transilien, qui s’étire sur 252 km allant jusqu’aux Hauts de France (Château-Thierry ou La Ferte-Milon), dessert 36 gares sur 3 départements.
Prochainement ce seront 100 000 usagers / jours qui l’utiliseront. Imaginons l’analyse qu’aurait pu en faire Emmanuel Vigneron, sociologue rendu célèbre par ses travaux sur les variations de l’espérance de vie au fil du RER B (plus on s’éloigne du centre de la métropole, plus on meurt jeune), ou tant de spécialistes des fractures sociales, territoriales et culturelles !
La ligne P est la dernière en Ile de France dont certains axes demeurent non électrifiées (Provins et Trilport / La Ferté Milon). Anachronisme qui impose des contraintes quasi insolubles en matière de gestion de parc roulant (six types de matériels !), une maintenance complexe et couteuse, des rames à très faible capacité, obsolètes pour beaucoup d’entre elles depuis des années.
Aussi plus souvent que raisonle fonctionnemnt quotidien est en mode « système D et bricolage », avec pour conséquence, une multitude d’incidents, et le recours fréquent à des bus de substitution. L’aléa météo étant également à prendre en compte au fil des saisons : été (chaleur, canicule), automne (feuilles des arbres), hiver (froid, gel et neige), c’est sans doute pour cela que la saison préférée des usagers restent incontestablement le printemps.
La Cour des Comptes a publié en 2015 un rapport éclairant sur l’état de vétusté d’un réseau qui demeure de loin pourtant, le plus utilisé au niveau national. Rappelons simplement que la loco qui a pris feu en gare de Meaux, avait l’âge du slogan qui a inspiré le titre de ce billet … 1968 !

Si depuis 2006, quelques améliorations ont apporté un peu de réconfort aux usagers de la Grande Couronne ( mise en place du cadencement : véritable révolution dans les usages, amplitude élargie et tarif unique du Pass Navigo), désormais nous sommes dans le dur.
Le parc roulant et les réseaux ne cessent de se dégrader au quotidien. L’incendie qui a embrasé le mercredi 19 décembre une motrice en gare de Meaux n’est qu’une illustration de plus de cette situation. Une motrice utilisée indifféremment pour le transport du fret et des usagers qui avait plus de 50 ans !
Collectifs d’usagers et élus locaux sont mobilisés depuis des années. A titre personnel, j’alerte les décideurs successifs, qu’ils soient régionaux ou de la SNCF, depuis plus de 12 ans des conséquences directes de ce désengagement sur des territoires en développement croissant.
Faute d’écoute, il y a deux ans, j’avais suggéré a la Direction SNCF de Paris Est de rassembler dans une instance de concertation les différents acteurs du dossier : Ile de France Mobilités, SNCF, représentants des collectifs d’usagers et d’élus d’Ile de France et des Hauts de France.
La SNCF avait repris l’idée avec l’initiative P Plus. Force est de constater qu’aucune amélioration sensible et concrète après plus d’un an d’échange, n’est au rendez vous, pire la situation se dégrade malgré la mobilisation constructive, continue et positive des collectifs d’usagers comme des élus qui contribuent à animer cette instance.
Aucune feuille de route ou propositions d’amélioration réelle n’est proposé pour 2019, alors que chaque jour pour les usagers la galère est au rendez vous, aucune perspective sur le moyen terme, sinon celle « inespérée » de récupérer en 2021 lorsque l’électrification de l’axe de Provins sera inaugurée, le vieux matériel utilisé, aucun annonce non plus sur le plus long terme d’électrification de la ligne de La Ferté Milon après celle de Provins. Dvant une telle situation de blocage, il convient d’être réaliste et de demander l’impossible !

Faut il rappeler que …

  • cette ligne dessert également les gares de Trilport mais surtout de Meaux, bassin de vie comptant bientôt plus de 100 000 personnes,
  • la création du Grand Paris Express cumulée aux changements sociétaux vont amener de plus en plus d’usagers sur le réseau ferré,
  • la politique initiée par Valérie Pécresse en faveur du développement du bus et du transport à la demande, apportant enfin les avantages de la multi modalité aux espaces dits périphériques, ne trouvent et ne trouveront de débouché que si l’offre ferrée suit,
  • le développement de l’utilisation des transports collectifs répond à un enjeu environnemental majeur …

Changer de paradigme, de modèle, de dimension ou de braquet …

Autant d’éléments qui imposent à chacun de prendre les mesures qui s’imposent. Il est grand temps pour la SNCF, l’Etat et les Régions d’honorer ce rendez vous avec des usagers ignorés et méprisés trop d’années.
Il faut des réponses sur le court terme, afin de rétablir fiabilité, régularité, afin que personne dans une entreprise ne soit « virée » du fait de l’incertitude planant sur ses conditions de transport indignes mais également des perspectives plus lointaines.
L’électrification de cet axe apporterait non seulement confort, simplification d’une maintenance appaisée et standard mais égalment le développement d’un offre capacitaire accrue permettant de répondre à l’inexorable montée en puissance de territoires en pleine croissance, dont celui du Pays de Meaux.

Plaçons en perspectives quelques montants en jeu :

  • pour le CDG Express il apparait que le gouvernement aurait décidé de dédier 2 milliards € et 100 ingénieurs pour une ligne qui « fera » 20 000 passagers par jour, des passagers V.I.P ayant les moyens de payer leur billet 27 €, et dont travaux comme localisation de la gare d’arrivée (gare de l’Est) aggraveront encore la situation de la ligne P,
  • le Grand Paris Express pour lequel nombre d’usagers de la ligne P acquittent chaque année un impôt, coutera vraisemblablement bien plus des 40 milliards d’euros estimés actuellement. J’engage chacun à lire le rapport que la Cour des Comptes a consacré à ce dossier, il est édifiant.

Combien d’euros pour rénover la ligne P ?
Pour donner une petite idée, les premières estimations sur l’électrification de l’axe La Ferté Milon tournent autour des 80 millions d’euros.
Usagers et élus locaux ne demandent pas la lune, simplement « l’impossible », même pas un ré équilbrage des investissements consentis sur d’autres projets « emblématiques », tout juste un réajustement à la marge, qui témoignera enfin d’une marque de respect attendue d’usagers méprisés au quotidien depuis trop d’années.

Collectifs d’usagers et élus sont mobilisé comme jamais, ils ont répondu présent au rendez vous du dispositif P Plus, y apportant leur juste contribution. Ils constatent avec regret et colère que malheureusement rien n’a changé depuis, aussi si aucune annonce d’amélioration rapide ne suit, notamment après « l’incident » du 19 décembre, ils feront entendre leur voix, tant leur exigence est légitime …